L'hypothèse d'une attaque par des assaillants, telle que décrite par Madrid, ne me semblait pas tenir la route. La police, postée à cinq cents mètres de la résidence, ne fût alertée qu'après que des militaires eurent envahi et contaminé le lieu du crime, c'est-à-dire plusieurs heures après le drame. Me charger d'une telle affaire fut la dernière chose que je souhaitai. J'espérai vraiment que le général Kasonga ne mêle pas mon équipe à ce casse-tête, qui avait tout l'air d'un bourbier. Pour la bonne forme, je dus rencontrer le sénateur avant de quitter sa résidence ; une formalité dont je me fus passé volontiers. J'invitai Madrid et ses deux collègues à coopérer avec les militaires sans afficher le moindre intérêt vis-à-vis de cette affaire ; elle n'en valait pas la peine.
Un homme en costume noir vint m'informer que le sénateur m'attendait dans sa maison. Je rencontrai l'honorable Kiyungu pour la deuxième fois, la première ayant été à ma prise de fonction, lors de la présentation obligatoire de mes civilités aux autorités du quartier. Il était encore en pyjama, assis dans un patio, en compagnie de deux invités qu'il ne prit pas la peine de me présenter.
'' Votre secteur devient de plus en plus invivable, Monsieur le sous-commissaire, '' me dit-il.
'' Honorable, votre police fait de son mieux. Seulement, il y a toujours quelques attaques difficiles à prévenir. ''
'' Faire de votre mieux ne suffit pas, visiblement, '' dit l'un des invités du sénateur. '' Nous apprenons chaque jour qu'il y a des vols et des enlèvements dans ce quartier. A quoi sert réellement la police, à part à extorquer aux gens de l'argent et leurs téléphones la nuit ? ''
'' J'ai personnellement sollicité un supplément d'au moins dix policiers de patrouille, et du matériel afin de pouvoir mieux couvrir le périmètre et contrôler efficacement les points clés du quartier. Mais la hiérarchie m'a mis en attente depuis l'année dernière, évoquant un manque de moyens pour la prise en charge de ces éléments supplémentaires. Nous sommes conscients du problème que vous évoquez. ''
'' Ce n'est pas une question du nombre d'hommes, '' réagit le deuxième invité. '' Nous connaissons la chanson, monsieur le sous-commissaire. C'est la qualité des hommes qui fait cruellement défaut dans le cas présent. Combien d'entre vous savent seulement orthographier correctement leurs propres noms ? ''
'' Aujourd'hui, tout le monde peut entrer dans la police. Aucun critère de sélection ne permet de filtrer la racaille. Voilà pourquoi j'ai exigé que le général Kasonga en personne prenne en main cette affaire. Je ne souhaite nullement que vos OPJ (Officier de Police Judiciaire) m'offrent une parodie d'investigation, comme ils en ont l'habitude, '' ajouta le sénateur.
'' Nous resterons tout de même à votre service, '' lui répondis-je.
'' Quelles informations avez-vous pu récolter à ce stade ? '' me demanda-t-il.
'' Nous écartons l'hypothèse qu'une simple bande de voleurs aient eu le cran d'opérer pareil coup. C'est certainement l'œuvre d'un groupe de criminels suffisamment entrainés, venant loin d'ici, '' lui répondis-je, ne pouvant avouer ne rien savoir.
'' Ils en voulaient certainement à ma vie et à mes biens ! Ils avaient commencé à défoncer une porte à l'arrière de la maison lorsque ma courageuse épouse réussit à démarrer l'alarme. Sinon, je serais mort à l'heure qu'il est, '' dit-il.
'' Nous sommes tous très reconnaissants envers le Très-Haut d'avoir épargné toute votre famille, Honorable, '' lui dis-je.
'' Et ça fait deux jours que j'attends les techniciens qui doivent réparer mon dispositif de télésurveillance. Autrement, nous aurions enregistré toute la scène et reconnu chacun des assaillants. Encore un exemple de la qualité qui dégringole dans tous les corps de métier. Vous nous enviez sans savoir par quelles épreuves nous sommes passés dans la vie. J'ai étudié du temps colonial, moi. A l'université j'avais des enseignants Européens. Et dans la vie, je me suis battu dur pour arriver à acheter chaque bien que je possède. Aujourd'hui, les gens s'imaginent que c'est la chance qui rend riche. L'argent plaît à tout le monde mais le dur labeur et les sacrifices n'intéressent personne, '' raconta-t-il. '' Vous pouvez à présent disposer, Capitaine. C'est peut-être le général qui aura besoin votre disponibilité, '' dit-il en me renvoyant de la main.
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Capitaine MASAKI, Un paradis aux âmes mal nées
Детектив / ТриллерAu lendemain de l'assassinat de trois policiers à la résidence d'un sénateur influent, le capitaine Masaki, de retour d'un long congé, se réjouit de se voir écarté par sa hiérarchie de l'affaire, dont ni les coupables ni les victimes n'intéressent l...