8. Communal

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Michael Katshiya, alias "petit Mike," était orphelin des deux parents depuis son plus jeune âge. La sœur de son père le recueillit à cinq ans et fit ce qu'elle put pour ne pas le laisser en proie à l'impitoyable misère qui enchaîne les enfants des rues. Cependant la rue devint rapidement le terrain privilégié du gamin. A quatorze ans, il faisait déjà partie du plus violent gang d'adolescents de son quartier. Trois ans plus tard, après plusieurs séjours dans des cachots de police, Mike organisait des attaques meurtrières contre des gangs voisins et, quelques fois, des locaux commerciaux. Condamné à cinq années de prison pour complicité de meurtre, il retrouva ensuite sa liberté et choisit de s'installer loin de Kalamu, la commune où il avait grandi.

Depuis trois ans, il avait élu domicile à Masambila, le quartier où se situait mon poste. Il contrôlait toutes les activités illégales à l'intérieur du grand terminus de taxis. Les chauffeurs, les chargeurs, les vendeurs ambulants et les pickpockets lui payait des droits d'exploitation. Les vols qui survenaient dans les magasins et résidences privées du quartier remontaient généralement à lui. A l'aide de sa cruelle ingéniosité, il avait entrepris de contrôler tous les quartiers de la commune en plaçant des caporaux, membres de famille, à leur tête. Pour cette raison on le surnomma « Mokonzi ya Commune », qui signifie « le patron de la commune. » On l'appelait plus simplement « Communal. »

Le jeune Mike avait bien appris de ses erreurs passées en réservant désormais aux uniformes bleus (policiers) leur part. A Masambila, quelques anciens criminels lui donnaient du fil à retordre. Parmi eux se trouvait le proxénète Yvon van Buyt, alias Leblanc, né d'une mère Congolaise et d'un père Belge.

Dans le paisible quartier habitaient plusieurs personnalités du pays, des colonels et des généraux de la police et de l'armée, de riches hommes d'affaires, et plus. Leblanc n'entendait pas se laissait malmener par Mike, un petit nouveau, dans son territoire, où ses activités prospéraient depuis une décennie. Il s'en remit essentiellement aux nombreux policiers du quartier, ceux sous mes ordres ainsi que les gardes de personnalités civiles, qui constituaient une part importante de sa clientèle, afin de tenir Michael Katshiya en laisse. Mais ce dernier, en criminel plus impitoyable et plus ingénieux, décida qu'il arriverait à ses fins, quoi qu'il en coûte. C'était pour l'un une guerre de positionnement, et pour l'autre, une guerre de maintien.

Le lendemain matin, un homme guettait ma station, posté devant la parcelle voisine, afin de signaler mon arrivée à Leblanc, me parut-il. Il était six heures moins dix à ma montre, et mes agents, qui avaient passé la nuit au service, paraissaient informés de mon arrivée en avance ce jeudi matin-là. J'ordonnai à l'agent Malik d'informer le guetteur que je ne tolèrerais aucun retard de la part de Leblanc. Celui-ci se pointa au poste à six heures précises. J'invitai le mulâtre d'une quarantaine d'années, au regard méprisant, à prendre place dans mon bureau et fis refermer la porte, exigeant à mes agents de se tenir loin de ma porte, le temps de l'entretien.

'' Comment allez-vous ce matin, monsieur Leblanc ? '' lui demandai-je en sortant quelques affaires de mon sac.

'' Je vais bien, capitaine, '' répondit-il, désintéressé.

'' L'incident survenu la nuit du dimanche est ce qui vous amène ici. On cherche quelqu'un à qui faire porter la responsabilité du triple meurtre qui s'est produit chez le sénateur Kiyungu. Votre profil est compatible avec les suspects potentiels. Vous n'êtes ici que pour me convaincre de vous disculper. Est-ce que nous nous comprenons ? ''

'' Je ne sais rien et n'ai donc rien à vous dire, monsieur le capitaine. ''

'' Je peux également vous faire coffrer pour proxénétisme, ce qui serait encore plus simple et s'avèrera être un plaisir, étant donné que je ne suis pas de vos clients, et ne m'attristerai donc pas de la fin de votre business. Je sais bien que certains de mes agents vous ont garanti leur couverture, mais, même s'ils ont des entrées chez un ou deux de mes supérieurs, ils n'ont pas le dixième de mon influence dans la haute hiérarchie policière du pays. Mon temps est compté, Leblanc. ''

'' Je ne sais pas de quoi vous parler et j'attends d'ailleurs toujours savoir pourquoi exactement vous m'avez convoqué. ''

'' Dites-moi ce que vous savez de la tuerie qui a eu lieu chez le sénateur Kiyungu, ou bien ce que vous avez entendu à ce sujet. Et donnez-moi une raison de ne pas vous menotter à la fin de cet entretien. Tout ce qui se dira dans ce bureau y restera. ''

Après quelques secondes d'hésitations, la vue de l'expression sur mon visage le convainquit qu'il n'avait pas de choix. Il devait m'avouer ce qu'il savait.

'' Les gardes avaient l'intention d'arrêter de travailler chez le sénateur, peu avant leur exécution,'' dit-il, prudent, à voix basse. ''Je ne sais pas exactement pourquoi mais ce serait lié à l'un des fils du sénateur qui a quitté le pays il y a environ un mois, et vit aujourd'hui en Europe. Une fille s'est enfuie de chez le sénateur il y a quelques semaines. Une nièce à lui... On raconte qu'il se passe des choses anormales dans cette résidence. Très anormales. Mystiques, en fait... C'est peut-être pour cela que les policiers tenaient aussi à partir. ''

'' Deux d'entre eux y travaillaient pourtant depuis plusieurs années... Parlez-moi plutôt de ces choses anormales. ''

'' Des rites de magie noire peut-être, je n'en sais rien. Cette famille pratique des sciences occultes, à ce qu'on raconte. ''

'' Une idée sur le lieu où serait la fille qui s'est enfuie ? ''

'' Non, aucune idée. ''

'' Et sur les assaillants du dimanche dernier ? ''

'' Peut-être des militaires de la même unité qui a débarqué le matin de l'incident. Ils ont achevé le policier blessé dans leur véhicule sur le trajet vers l'hôpital, d'après les infirmiers qui avaient examiné le corps. ''

'' Je vous laisse quarante-huit heures pour permettre à vos ouvrières de récolter toutes les informations nécessaires concernant les choses anormales qui se passeraient chez le sénateur et tout ce qu'il faut savoir sur la jeune disparue. Rendez-vous ici samedi à la même heure, Monsieur Van Buyt. ''

Deux faits allaient à l'encontre de l'hypothèse selon laquelle le sénateur aurait commandité le meurtre des trois gardes du corps. Le premier était, comme je l'expliquai à ma femme, que l'honorable Kiyungu n'aurait jamais consciemment mis sa propre famille en danger en faisant exécuter ses policiers dans sa propre résidence, sachant combien une telle opération est susceptible de mal tourner. Deuxièmement, parce que le troisième garde, qui était seulement blessé à la jambe et encore vivant à l'arrivée du colonel Kams et ses hommes, aurait compris et révélé la raison de l'attaque à toutes les personnes venues à son secours ; ce qui serait compromettant pour le sénateur, s'il avait un secret à garder en éliminant ses gardes.

Capitaine MASAKI, Un paradis aux âmes mal néesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant