A la suite de ma mutation au commissariat du quartier Masambila, je fis une tournée de courtoisie des postes de police voisins. A la limite du quartier se trouvait un sous-commissaire du nom de Bole. Sa gaieté s'effaçait à mesure que nous nous rencontrions, rencontres qui se produisaient plutôt rarement d'ailleurs. A la limite entre court et moyen, le teint éclairci à l'hydroquinone, des lèvres de fumeur, aimable roublard, et parfait parvenu, Bole était ambitieux à la façon des notables de son quartier. Ensemble ils envisageaient de faire de leur quartier la plaque tournante du divertissement pour adultes de toute la commune ; cette description étant un euphémisme, s'il peut y en avoir le moindre, de ce que cela signifie. Le terrain choisi se prêtait magnifiquement à l'entreprise mais le décès inattendu de son propriétaire laissa place à des querelles familiales de succession qui mirent le projet longtemps en suspens. La famille exigeait désormais trop d'argent, ce qui refroidit les promoteurs du projet. Une dizaine d'années plus tard, l'un de ces promoteurs associa un sujet Indien que tout le monde appelait Lalit. Celui-ci avait accepté de payer la majeure partie des millions exigés par la famille du défunt propriétaire du terrain, et de s'accaparer tant de la majorité des parts du business que de sa gestion. Le projet Balcon, tel qu'on l'appelait, repris finalement vie. Un imposant bâtiment à étages avait été érigé et approchait la dernière phase de sa construction. Le recrutement du personnel se déroulait dans des conditions incontrôlables, du fait de la présence de quelques intouchables, tels qu'un ancien Secrétaire Général du parti au pouvoir, ou encore le feu sénateur Kiyungu, dans l'actionnariat. Le lieu se trouvait près de l'arrêt de bus appelé Mère Canon, et c'est précisément sur ce site en construction que se rendirent Médard Kumbu et l'étrange personne qui le conduisait. Le mur de clôture était complètement achevé mais il manquait encore un portail, ce qui me permis d'avoir une vue sur l'intérieur de la parcelle. Le gros SUV gris de Lalit était visible dans l'enceinte du Balcon à côté de trois autres voitures, dont celle de mon adjoint Jean-Pierre Kazamuadi. Personne ne prenait donc la peine de se cacher. Kumbu resta en dehors de l'immeuble. L'étrange personne entra seule.
Mon informateur concernant le projet Balcon fréquentait le même bar que moi, non loin de Mère Canon. Il s'appelait Basile, ou « Zile » pour les proches. Les prix de Zile devenant arbitraires et ses prestations peu utiles, j'avais décidé de mettre une pause à notre collaboration, quelques mois auparavant, en attendant qu'il y ait vraiment du concret au sujet du projet. J'espérai alors qu'il puisse m'aider à comprendre ce qui liait Lalit, Kazamuadi, Lokuli et le Balcon à la tentative de mon assassinat. Je restai jusqu'à la sortie de la personne étrange, qui monta à bord d'un SUV Hyundai où se trouvait un chauffeur, laissant Kumbu repartir à moto. Je suivis le grand véhicule qui roula pendant un peu plus d'une demie heure avant de pénétrer la clôture d'une villa luxueuse située non loin de la résidence d'un ancien gouverneur de la ville, dans la commune voisine de Ngaliema. Je m'arrêtai à distance raisonnable du portail pour observer ce qu'il se passerait dans les prochaines minutes. C'était une rue peu fréquentée d'un quartier chic, et sur le motocross de mon mécanicien, je ne pouvais vraiment espérer me fondre dans le paysage. Une heure plus tard je décidai de rentrer à l'hôpital puis récupérer ma moto.
Zile ne répondit pas aux appels que je lui fis durant l'heure qui suivit. Cela ne s'était encore jamais produit. Mon amie Liza me téléphona, m'annonçant qu'elle arriverait sous peu, alors que j'allais et venais dans un couloir de l'hôpital, tourmenté et de plus en plus inquiet. Ma femme allait mieux selon les médecins. Je me devais de rester confiant afin que Jeremy ne perde espoir non plus. Liza et son époux, Éric, apparurent ensuite dans le hall où je les attendais. Ils eurent pour mon fils et moi des mots d'encouragement qui tombèrent au moment où nous en avions le plus besoin. Éric invita Jeremy à faire un tour avec lui pendant que sa femme et moi discutions.
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Capitaine MASAKI, Un paradis aux âmes mal nées
Misterio / SuspensoAu lendemain de l'assassinat de trois policiers à la résidence d'un sénateur influent, le capitaine Masaki, de retour d'un long congé, se réjouit de se voir écarté par sa hiérarchie de l'affaire, dont ni les coupables ni les victimes n'intéressent l...