En Afrique centrale, il est des noms que nul ne peut prétendre ignorer. Parmi eux figure celui de Wenge. Le groupe musical Wenge Musica vit le jour à la fin des années 80 au Congo, appelé Zaïre à l'époque. L'origine de ce nom n'est pas vraiment connue, mais il est un autre Wenge, très répandu dans cette partie du continent, dont on parle assez peu. Ce Wenge-là est une des essence d'arbres les plus rares et les plus recherchées que l'on trouve dans la dense flore du grand bassin du Congo, la forêt équatoriale. La haute qualité du Wenge en fait l'espèce la plus prisée des exploitations illégales de bois d'Afrique centrale. Dans le milieu des années deux mille, ce sont surtout des individus d'origine chinoise qui dominaient ce trafic illégal de bois rare, aidés de quelques autorités Congolaises ainsi que de particuliers. Un de ces particuliers à avoir fait fortune dans ce trafic se nommait Gérard Kabeya. Pour blanchir son argent, Kabeya, 76 ans, collaborait avec le cercle des hommes d'affaires Libanais qui dirigeaient une bonne partie des activités criminelles dans la capitale. Inutile de préciser que ce cercle jouissait des faveurs du pouvoir en place, qu'il arrosait en retour.
Un incident se produisit un soir à Kinshasa dans la résidence d'un certain Khalid Mediani, sujet Libanais. Une jeune femme avait perdu la vie. Les personnes présentes sur les lieux ce soir-là prétendirent qu'elle avait fait une chute dans un escalier. Mais l'un des policiers qui se rendirent sur place remarqua des bleus et autres blessures, signes que la victime avait été battue avant de décéder de ses blessures.
L'autopsie du corps corrobora l'hypothèse du policier. Les travailleurs de la résidence et des voisins rapportèrent alors que des incidents violents envers des femmes n'étaient pas rares dans cette résidence. Une perquisition fut organisée et plusieurs éléments indiquant le déroulement d'activités tant illégales que perverses furent recueillis. Des têtes devaient tomber, les faits étant trop graves pour que l'on put simplement bénéficier de la protection du pouvoir en place. Deux Congolais participaient à la soirée où débuta cette affaire. L'un d'eux était Gérard Kabeya, le vieux trafiquant de Wenge. L'homme ayant déjà eu avant cela d'autres démêlées avec la justice, se retrouva parmi les condamnés. Il écopa de cinq ans de prison. Les sujets Libanais se virent, quant à eux, expulsés du pays.
Après deux semaines de séjour dans le plus grand établissement pénitentiaire de la capitale, enfermé dans la précarité choquante de ce lieu, Kabeya connu des problèmes graves de santé qui contraignirent la justice d'autoriser qu'il aille se soigner à l'étranger, les hôpitaux locaux n'étant à la hauteur de l'individu. Le trafiquant rendit l'âme deux jours après qu'il eut quitté son pays, laissant une veuve malade et deux filles. A la tristesse de sa famille s'ajoutait la rage envers la police qui avait fait emprisonner le riche Gérard Kabeya. Un jeune capitaine en particulier incarnait le succès de cette opération de police. Les filles Kabeya jurèrent sa perte.
Il faut signaler que ce capitaine descendait d'une lignée de d'habiles chasseurs. Son père avait tenu à apprendre à ses fils l'art subtil de la traque des carnassiers sauvages. Seuls son frère cadet et lui devinrent d'excellents chasseurs, surpassant même leur père à bien des égards. Adroits tireurs, pisteurs inspirés, les deux frères étaient prédestinés à entrer dans l'armée ou la police, leur disait-on. Et la vie en décida de même.
Le plus jeune des deux s'appelait Jonas. L'autre, on l'aura compris, s'appelait Bosco. En réalité, Bosco et Jonas n'étaient pas des frères biologiques. La femme qui enfanta Jonas l'abandonna au père de Bosco, prétendant que c'était le fils de ce dernier. Cette femme se débarrassa de Jonas sans le moindre scrupule et quitta la capitale, laissant derrière elle un être âgé de moins d'une semaine. Elever un tel enfant ne fut pas de tout repos pour le père de Bosco. Son épouse commença par refuser de s'en occuper.
Autant dire que l'enfance du petit Jonas ne fut pas tendre. Il était la honte de la famille Masaki. Lui, Jonas, ne s'appelait pas Masaki. Il ne le pouvait pas. Il n'avait personne avec qui jouer, et s'était résigné à accepter d'être de trop dans cette famille. Le père Masaki aimait pourtant Jonas, mais pas comme un fils. Malheureusement, le bien-être d'un enfant se décide souvent par la maitresse de la maison, et non son maître. Ici, en plus, l'enfant était le fruit d'une faute de ce dernier. Bosco était de quatre ans plus âgé que Jonas. Il était aussi, dans le plus grand secret, son unique ami. Le jeune Bosco se sut injustement privilégié et se prit de compassion envers l'infortune d'une âme mal née.
Jonas était cependant loin d'être persécuté par la mère Masaki. Il était traité plus sévèrement que ses frères, et n'était pas apprécié autant qu'eux. Là où une insulte suffisait, Jonas en recevait bien deux de plus. Là où une faveur se méritait, Jonas se voyait oublié. Bosco frappait Jonas tel qu'un grand frère frappe son petit frère, comme qui aime bien châtie bien. Le père Masaki ne leva, lui, jamais la main sur Jonas, contrairement au reste de sa famille.
En entrant dans l'adolescence, le petit Jonas développa une personnalité rebelle. On eut dit qu'il désirait déjà se faire chasser de la maison. A l'école, il se battait même avec des élèves de classes supérieures. Il devint subitement un méchant garçon, méprisant les règles de la société. A 16 ans, il respectait encore l'autorité des parents Masaki, mais on sentait que tôt ou tard un incident de taille pouvait survenir, mettant à mal ses réserves envers sa famille. Puis vint un moment où il n'obéissait plus qu'à son frère Bosco. Les autres n'étaient que des hypocrites à ses yeux, indignes de sa considération. Il se mit entre autres à fréquenter une troupe de jeunes musiciens faisant partie de l'une des branches nées de la dislocation de l'orchestre Wenge Musica. Là il apprit la guitare, son refuge dans la vie.
Jonas venait d'avoir 17 ans lorsqu'un jour il tomba gravement malade et dut être hospitalisé. Les médecins recommandèrent une transfusion sanguine. Il s'avéra alors, à la grande surprise de tout le monde, que ni le père Masaki, ni sa mère biologique, n'étaient des donneurs compatibles. Cela signifiait que Jonas ne pouvait être le fils biologique du père Masaki, ce qui lui ôta de facto sa nature d'enfant bâtard. Il avait en réalité été, durant toutes ces années, un enfant adopté dans la famille Masaki. Un sentiment de culpabilité s'empara alors de ces derniers. Les fervents chrétiens qu'ils étaient réalisèrent qu'ils avaient discriminé un enfant abandonné dès sa naissance au lieu de l'aimer comme leur prochain. La mère Masaki se sentit la plus coupable et en pleura, sachant que sa haine envers le pauvre Jonas ne tenait qu'au fait qu'elle croyait qu'il était l'enfant que son mari lui avait fait dans le dos. Elle était en effet connue pour être généreuse, sauf lorsqu'il s'agissait de Jonas.
Quand il sortit d'hôpital, la famille Masaki lui pria de la pardonner et de lui offrir une chance de se rattraper. Cela changea quelque peu les sentiments de Jonas envers sa famille, mais, pour certaines raisons, pas ceux envers la société. Dans le quartier, on le surnomma « Bolos », abréviation de diabolos, qui signifie « le diable », à cause de son cœur de pierre et sa dureté envers tout, y compris lui-même. A 18 ans, Jonas s'enrôla dans l'armée nationale. Cela fut la séparation définitive avec la famille Masaki, sauf Bosco, à l'insu du reste du monde.
Les deux frères se parlaient au moins trois fois par an : à leurs anniversaires respectifs, ainsi qu'à chaque nouvel an. Il ne se virent qu'une fois, le jour où Jonas partit en formation à l'étranger, et où il réalisa qu'il savait encore pleurer, lui le diable. Le petit frère avait merveilleusement évolué dans les rangs des Forces Armées de la République. Son grand frère en était fier et le lui avoua. Bosco se maria en l'absence de son petit-frère bien aimé. Jonas décida, lui, de ne jamais fonder de famille.
A la mort du père Masaki, personne ne vit Jonas. Ce fut aussi le cas à la mort de la mère Masaki. Cependant Bosco reçut un message de condoléance de la part de Jonas à chaque fois.
'' Ne te sens pas obligé d'être présent à mon enterrement. Promets-moi seulement que tu veilleras sur ma famille après ma mort, '' réagit le capitaine au message de son frère.
Ce à quoi Jonas répondit :
'' Tu es tout ce que j'ai. ''
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Capitaine MASAKI, Un paradis aux âmes mal nées
Misteri / ThrillerAu lendemain de l'assassinat de trois policiers à la résidence d'un sénateur influent, le capitaine Masaki, de retour d'un long congé, se réjouit de se voir écarté par sa hiérarchie de l'affaire, dont ni les coupables ni les victimes n'intéressent l...