Chapitre 1

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Sur le trajet jusqu'à la plage de Pinarellu, et pour ne pas changer, je me retrouve à me poser deux fois la question qui revient sans cesse dès que je quitté la maison est-ce que j'ai bien fermé la porte à clé ?

Je fais partie de ses personnes qui souffrent de tocs. Heureusement pour moi, ça n'en ai pas particulièrement handicapant au quotidien, seulement un peu emmerdant. Je regarde l'heure deux fois, je vérifie toujours que j'ai bien refermé la porte du frigo, bien éteint le four, je retourne toujours dans la dernière pièce où je suis allé pour vérifier que j'ai bien éteint la lumière.

Je me dis parfois que toutes ces petites choses sont bien plus que des tocs. Je ne ferme par exemple jamais l'œil de la nuit si la télé n'est pas allumée en fond. Le silence m'angoisse. Puis un jour, j'ai pu réaliser que ce n'était pas le manque de bruit le problème, mais justement le fait que ma tête en était pleine. Je suis du genre à toujours penser au pire, à angoisser pour un rien. Je m'entend penser tous les soirs à ce qui pourrait arriver à mes proches, aux choses

que je doit faire le lendemain, aux choses que j'aurais dû faire autrement. J'éspère chaque soir que ma tête finira par devenir une de ses cocotte-minute qui laisse la vapeur s'échapper, je rêve que les pensées qui m'angoisse tant, soit aussi légère que de la vapeur et me laisse la tête vide. Alors quand la télé est en route, je n'ai pas à penser à tout ça, la voix des présentateurs, des acteurs de téléfilms ou même celles des personnages de dessins animés suffisent à me faire penser à autre chose. Pour résumé, je suis ce qu'on appelle une grande stressée.

Seul le bruit des vagues vient briser le calme de cette matinée. C'est pour ça que je me lève si tôt, je peux être tranquille sur cette plage d'habitude pleine à craquer. Surtout en pleins mois de juin. Se lever à 6h est donc un faible sacrifice comparé au paysage fou qui se présente à moi chaque matin. Je ne croise seulement que quelques retraités faisant leur balade matinale ou des plus jeunes traversant la plage pour aller rejoindre leur lit après une soirée plus que tardive. Soirée que je n'ai pas vécu depuis longtemps.

Mes orteils s'enfoncent dans le sable avant de remuer bêtement tandis que je cherche en vain à me souvenir de la dernière fois que j'ai eu la gueule de bois. L'ai-je déjà eu d'ailleurs ?

Après le départ de mes parents pour le continent il y a 5 ans, je suis devenue plus que sérieuse, je m'occupe de la maison, du jardin et je nourris même les poissons du bassin derrière leur terrain. Seul point noir sur ce quotidien plus que tranquille : le chômage. Je vis dans la maison de mes parents, ce qui heureusement me fait économiser un loyer. Pour les courses et le reste, je me débrouille avec les aides que je reçois de la part de l'Etat. Mais passer ses journées seules et sans travail n'est pas quelque chose qui m'emballe. Mon téléphone, rempli d'application de recherche d'emploi ne sonne que pour m'indiquer un appel de ma mère ou un démarchage téléphonique me ventant l'importance de posséder des volets électriques ou un portail connecté. Le confinement de 2020 a laissé des traces sur cette île, le manque de touriste pendant deux ans a fait fermer quelques commerces et limité le nombre d'employé présent dans chaque établissement. Même si la saison a déjà commencé et que les rues commencent peu à peu à se remplir de monde, il n'y a rien à faire : personne n'embauche en ce moment.

Le bruit d'un camion de livraison me tire de mes pensées. L'énorme véhicule floqué de toute part au couleur de la Pietra, la bière corse par excellence s'arrête pour livrer un hôtel juste derrière. Déranger par les bruits incessants des klaxons et des automobilistes enragés par le camion qui bloque la rue, je décide qu'il est temps de retrouver ma solitude en rentrant chez moi. Je traverse la rue et m'arrête un instant devant l'hôtel. Cette petite bâtisse en pierre importé de Sardaigne, comme on en voit beaucoup ici, n'a jamais retenu mon attention. Comme beaucoup d'autre bâtiments, je passe tous les jours devant sans forcément y lever les yeux. Une grande porte automatique, une façade propre et trois étoiles qui trône fièrement sur le store banne bleu marine, me font me dire que l'hôtel doit être plus qu'une petite auberge. Devant, des panneaux trône, invitant les touristes à y séjourner : cinquante euros la nuit, petit déjeuner compris, chambre familiale, suite vue sur mer et bar à l'intérieur. Je lève un peu plus les yeux et aperçoit la devanture de l'hôtel, écrit en lettre doré : Hôtel Luciani. Je me demande un instant comment j'avais pu ne jamais l'apercevoir depuis la plage. Ma mère m'aurait sûrement dit que j'étais trop étourdie et mon père, toujours dans la lune et pour la première fois depuis longtemps je leur aurais donné raison.

– Tu peux te décaler ma petite, on aimerait passer.

Je sursaute, je me trouve en pleins milieux du trottoir, je me retourne pour apercevoir deux paires de yeux me fixer, les livreurs ont l'aire peu patients. Je m'excuse timidement et reprend le chemin de chez moi. Pendant un instant, quelque chose m'en empêche. Je m'arrête net, manque de rentrer dans une des boites aux lettres jaune de la poste et fait demi-tour. Si je n'avais jamais fait attention à ce petit hôtel, je n'y avait donc jamais postulé. Chose rare étant donné que presque la totalité de la ville possède aujourd'hui mon CV. Je me suis déjà plusieurs fois imaginé à quoi il pouvait servir maintenant : Feuille de brouillon, avion en papier, feuille de dessin pour enfant ou même ballon de basket pour les poubelles de bureau. Je fouille dans mon sac et m'aperçoit rapidement que je n'en ai pas sur moi aujourd'hui. Me présenter sans documents, les mains dans les poches, je ne l'avais jamais fait. Me présenter en short de sport, basket et tee-shirt trouvé dans les vielles affaires de mon père encore moins. Mais si mon CV, mes lettres de motivation et mes tenues tirés à quatre épingles ne m'avaient pas aidé à trouver un emploi, peut-être que mon naturel d'aujourd'hui me donnerait plus de chance. Je secoue la tête tant cette idée me semble stupide puis me pince mentalement et entre.


Hôtel LucianiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant