Hôtel Luciani

Chapitre 5

Antone est redescendu après m'avoir salué, me laissant seule dans la chambre 102, la tête en vrac. D'accord j'avais entendu parler de coup de foudre toute ma vie, dans les films, dans ses romans et même dans les chansons que j'écoute, mais je n'y croyait pas. Je me souvient d'une citation d'Alphonse Allais lu un jour dans un article d'un magasine qui parlait de la vente de rose le jour de la saint-valentin, il décrivait le coup de foudre : C'est comme un coup qu'on reçoit là, pan ! dans le creux de l'estomac. C'est exactement ça, j'ai l'impression qu'on m'a frappé en plein dans le ventre, mise KO juste avec un simple regard, un simple sourire, une simple poignée de main. Je ne le connaît même pas, je ne sais de lui que son prénom et son nom de famille. C'est peut-être une ordure de première, il est peut-être macho, violent, il est peut-être du genre à se moquer des autres, il était peut-être dans le camp des harceleurs quand il était au lycée. Je ne sait rien de lui, je ne peux pas craquer sur un inconnu comme ça d'un seul coup en pleins milieu du ménage d'une chambre, lors de mon deuxième jour de travail et je ne peux définitivement pas craquer sur un inconnu qui s'avère être le fils de ma patronne faisant de lui, dans la logique, mon responsable aussi.

Il faut que je me décide à descendre, je dois libérer Claire et éviter que cette dernière pense qu'il me faut plus d'une heure pour nettoyer une chambre. Je prends mon courage à deux mains et prend la direction des escaliers. Tout ça n'est qu'une terrible illusion, je vais me ressaisir. A vrai dire je n'ai pas eu contact avec les hommes depuis un long, très long moment, une des conséquences de ma solitude, et non, le livreur de pizza ne compte pas. Je mets donc ma réaction sur le compte de ce manque de communication avec la gent masculine et non pas sur le fait qu'un homme charmant, avec qui j'allais devoir travailler, a plongé son regard dans le mien et m'a fait oublier la notion du temps juste en me souriant. Donc, non, je n'ai pas été frappé par l'amour, ça m'a seulement fait bizarre de le trouver charmant, ça ne peux être que ça.

Une fois en bas, je remarque qu'Antone est en train de parler avec son père, je suis soulagée qu'il soit occupé ailleurs et reprend mon poste derrière l'accueil. Claire a déjà dû quitter l'hôtel vu que je ne la voit nulle part. Je fixe bêtement l'ordinateur quand une présence me fait lever les yeux. Antone se trouve juste devant moi.

-Tu as déjà travailler dans un bar la nouvelle ? Demande-t-il.

-Non jamais, et je m'appelle Alba, dis-je plus sèchement que je ne l'aurais voulu.

-Je sais, mais ici on a tous des surnoms, et avant de t'en trouver un, ce sera la nouvelle, rigole Antone. Tu vas venir avec moi, mon père va te remplacer. Je vais te former à un nouveau poste.

-Ta sœur m'a dit de ne pas bouger de l'accueil ce soir.

-Oui, mais elle n'est pas là, moi si. Alors tu me suis la nouvelle ? Dit-il en tournant les talons.

Je le suis sans rien dire et prie intérieurement pour que ce moment passe vite et que je puisse partir me réfugier derrière mon comptoir à nouveau. Antone passe derrière le bar et m'invite à faire de même. Il commence par m'expliquer à quoi servent les différents verres et je me dis qu'il doit me trouver vraiment stupide pour croire que je ne fais pas la différence entre un verre de soda et un verre à vin. Il insiste sur le fait qu'il faut une tasse, une sous-tasse, une cuillère et un sucre quand on sert un café et je me dis que la soirée va finalement être plus longue que prévu. Et quand il explique que Madame Louise, une petite-mamie qui vient prendre son thé tous les jours à l'hôtel sans pour autant prendre une chambre ici, aime qu'on lui mette un peu de lait au fond de sa tasse et que c'est important d'y faire attention, je me dis qu'il ne doit donc pas être une ordure comme je l'ai honteusement espérée.

-Tu habite dans le coin ? Demande Antone tout en me montrant comment fonctionne la tireuse à bière.

-À 3km d'ici, dans la maison de mes parents. J'ai toujours vécu à Sainte-Lucie.