Moi - 1

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On parle toujours des guerres, des maladies, des choses horribles qu'il y a dans ce putain de monde. A force de regarder ça à la télé, ça fait peur, j'avoue. Mais la vérité, c'est que ce sont les histoires les plus banales qui foutent le plus les jetons. Je vais vous en raconter une qui m'est arrivée à il y a deux ans. A l'époque, je pensais savoir ce que le mot "terreur" voulait dire. Je me trompais.

C'était avant qu'on déménage à Paris. J'étais avec ma mère et mon petit-frère, ce petit connard de Lucas. Me demandez pas où était mon père, il s'est barré quand j'avais 2 ans. Ok, donc on était dans notre maison à Compiègne. Vous emballez pas : dans le côté cassos de Compiègne, en bordure de la forêt. Et la maison était franchement pourrie.

C'était la fin de l'hiver et je me souviens que j'étais obligé de me balader en jogging et sweat à capuche tellement il faisait froid à l'intérieur. Oui parce que la cheminée n'avait jamais marché et qu'apparemment faire chauffer les radiateurs dans une grande baraque, ça coûte trop cher. Sérieux, 79m², c'est une grande baraque ? Bref. Je me souviens que la journée était cool, il faisait assez beau dehors et Maman nous avait appelés pour déjeuner. J'étais dans ma chambre, comme d'hab. En train de jouer à Fifa, je crois. Ou un autre jeu, je sais plus mais on s'en fout.

Je gueule : « J'arrive, c'est bon ! » et j'entends Lucas qui court dans le couloir et passe devant ma porte pour aller se cacher. Oui, c'était son truc en fait, de se cacher dans la maison quand on allait manger. C'est pour ça que je dis que c'était un petit connard. Sans son jeu débile, rien de tout ça ne serait arrivé.

Je sors de ma chambre et je claque la porte pour bien montrer à ma mère que ça me fait chier de quitter ma partie. Avant d'aller dans la cuisine, je jette un coup d'œil rapide dans le placard de 2m sur 2 où Lucas se cache à chaque fois en espérant que je sois assez con pour l'oublier. Personne. Je rigole : "il a compris, enfin...", et je prends le couloir, celui qui allait de ma chambre jusqu'à la cuisine, avec les grosses traces noires de moisi sur les plinthes, en traînant les pieds.

En passant, je remarque que la porte du couloir est ouverte. "Il est vraiment bête", je me dis. J'arrive dans la cuisine, je me pose en faisant un vague signe du menton à ma mère qui me lance un de ses regards suspicieux :

"Et Lucas ? Il est passé où ?"

Je réponds en bougeant à peine les lèvres. "Il est descendu dans la cave."

Là, ma mère me fixe comme si je venais de lui annoncer que j'avais eu 20/20 à mon dernier devoir de maths :

"Quelle cave ?"

Je sais pas si vous avez déjà vécu ce genre de moments où vous apprenez une nouvelle tellement horrible que votre cerveau se bloque, mais genre il gèle, vraiment, et où tout s'arrête. Tout. Dans ces moments-là, l'espace autour de vous devient comme une ombre informe qui se rétrécit et vous comprime la gueule et le bide au point que plus rien n'existe hormis une image, un son, une odeur, qui restera à jamais gravé dans votre mémoire.

Il n'y a pas de cave. On n'a jamais eu de cave.

Quand je reprends mes esprits, je tremble tellement que je vois deux tables et ma mère qui bascule de gauche à droite sur sa chaise. Les battements de mon cœur  font rebondir la  pièce devant mes yeux.

"Clément ? Ca va ?"

Je me lève sans lui répondre. Je me suis forcément trompé, c'est ça. Je vais aller dans le couloir et il n'y aura plus de porte, rien, et j'entendrai le rire stupide de Lucas qui s'est trouvé une super nouvelle cachette dans le salon.

Putain. Elle est encore là.

"Clément ?"

J'avance comme dans un cauchemar, les jambes dans le coton, le temps suspendu. Mon cœur me défonce les côtes et m'envoie du sang métallique dans la bouche. Je pose ma main sur la poignée - ronde, froide comme la mort - et j'ouvre la porte. Le bruit qu'elle fait en cognant le mur fait soupirer ma mère.

C'est un escalier qui descend dans le noir.

Je me retiens de me pisser dessus, parce qu'une partie de moi le reconnaît. C'est le noir hurlant, celui dont on a peur quand on est gosse et que les parents ne comprennent jamais, celui des griffes et du sang qui coule. 

  

  

L'escalierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant