Ma tête tourne.
Je sens mon nez rentré à l'intérieur de mon crâne. Par réflexe, je le touche, mais il est bien là.
J'arrive pas à me souvenir de mon nom.
Putain, je suis fracassé.
Mes yeux sont ouverts ou fermés ? Tout est blanc et noir, parsemé d'étincelles.
Une vague d'angoisse étrangle mon cœur mais repart aussitôt. Je sais que suis là pour une bonne raison. Peu importe où. Peu importe comment. Mon cerveau redémarre comme une mauvaise sauvegarde Windows mais il a gardé l'essentiel, il s'est contracté sur la seule chose qui valait le coup d'être retenue. Clément a été enlevé. Mon petit frère...ce petit con...que j'aime tant...je dois le retrouver.
C'est ça...
Je suis tombé. Bordel, ça fait tellement mal ! La douleur n'était pas partie, elle attendait juste que mon cerveau rebranche sa prise.
L'homme dégueulasse...je suis sûr qu'il était réel. C'est pas possible que j'aie rêvé ça. Le manège se calme un peu à l'intérieur de mon crâne. Je l'entends me dire, comme un écho : "Quand j'en aurais fini avec lui, je te mangerai la langue. Maintenant, saute."
Et j'ai sauté comme un débile? Merde, merde, merde !
J'arrive enfin à décoller les paupières - ah ouais, en fait j'avais encore les yeux fermés.
Le sol est dur, lisse, métallique. Je ne vois aucun mur ni aucun plafond. Tout est nu et froid. Il n'y a pas de vent, ici, mais je sens pourtant un courant d'air glacial me traverser de part en part.
Brrr.
Je regarde en arrière, vers le haut : l'escalier a disparu. Comment j'ai pu arriver là ? Et pourquoi il m'a laissé tranquille ?
Il y a quelque chose qui cloche.
J'entends pas ma mère. Elle a beau avoir raté sa vie et ne rien comprendre à la façon d'élever des gosses, jamais elle nous laisserait comme ça. Je suis sûr qu'elle est descendue elle aussi. Il faut que je l'attende ? Est-ce qu'il cherche à nous éloigner d'elle ? Putain, si j'attends, Lucas risque de crever. Je veux pas qu'il crève.
Je me lève - j'arrive pas à croire que j'ai rien de cassé, c'est pas normal ça non plus - et j'avance.
J'avance.
Sur le sol froid.
Une lumière bizarre, blanche, qui tombe depuis le néant, me suit comme un rideau de douche. Quand je recule, elle recule. Quand je fais un pas de côté, elle se décale et revient exactement à l'endroit où je me trouve. C'est con, mais dans ce genre de situation, je suis sûr que tout le monde ferait comme moi : suivre les odeurs. Il y en aura forcément une, même faible, qui m'indiquera vers où je dois aller.
Je ferme les yeux.
J'y crois pas. Je sens de la merde. Cet endroit pue la merde. C'est tellement fort que j'arrive pas à sentir le reste. Mes côtes se soulèvent, j'ai envie de vomir, j'ai envie de dégueuler toute ma rage sur ce sol aussi lisse qu'un capot de bagnole. Ma colonne vertébrale aspire mon estomac, un œuf brûlant remonte dans ma gorge mais au dernier moment, je le ravale, je récupère ce qui me reste de dignité dans ce trou pourri. Il m'aura pas. Je dégueulerai pas, je chialerai pas. Je trouverai Lucas et crèverai ce fils de pute si je le retrouve sur mon chemin.
Quand je pense que les gamins ont peur des placards, des caves, même du dessous de leur lit...là il pense quoi, Lucas ? S'il est ici, dans un coin, perdu comme moi ? Il tiendra pas, bordel. Mais j'entends rien...je pensais au moins entendre ses cris...ou ses pleurs, oui, même ses pleurs, merde ! Au moins je saurais qu'il est encore vivant.
Tout-à-coup, je la vois.
Une porte claire qui déchire le noir. En m'approchant, je distingue des lettres grossir au-dessus d'une poignée jaune :
CLEMENT
Je me barre loin et le plus vite possible.
Vite. Faut que je me barre.
J'ai les mains moites rien que d'imaginer comment ce fils de pute peut connaître mon prénom.
Mes pas résonnent dans le noir et peu à peu, sans que je m'en aperçoive, la colère qui ravageait mes poumons s'est perdue dans une fatigue qui me broie les jambes. Je suis écorché de partout. J'ai la gorge en sang. Je marche en espérant qu'une odeur, un bruit, peut-être ceux de Lucas, perceront le néant.
Combien de temps je vais tenir ?
Combien de temps il lui reste ?
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L'escalier
Gizem / GerilimJe lève la tête de la console, j'entends la voix de ma mère dans la cuisine. Elle me dit que le déjeuner est servi. Je gueule que j'arrive. Je bâille. En sortant de ma chambre, Lucas me frôle en criant que je ne le trouverais jamais. Je l'ignore, je...