Petit-frère - 3

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C'est la seule fois où je l'ai vraiment vu.

Il a suffi d'une fois. Une seule fois.

Inutile de me demander à quoi il ressemblait ; c'est un peu comme si j'essayais de décrire la mort, ou la pire peur issue de mes cauchemars. C'était une sensation. Une présence horrible qui n'avait rien d'humain.

Je me souviens juste de son odeur âcre. Une odeur aussi forte que celle d'un corps qui se serait entièrement changé en transpiration. Ses joues grises étaient couvertes de boutons de chair. Oui. Je me rappelle aussi de ça. Ses joues épaisses et flasques. Quand il me parlait, elles frémissaient comme des voiles sous l'effet d'un vent terrible.  

Une peur moite m'a gelé le cœur.

J'étais figé. Paralysé. Transformé en une marche de l'escalier moi-même, les pieds tellement collés au bitume que je pouvais sentir les vibrations des pas d'autres enfants qui, comme moi peut-être, étaient pris au piège.

Il a avancé sa main gercée vers moi, et là, j'ai enfin crié :

"Me touche pas ! Me touche pas !"

J'avais la glotte dans la gorge. Les mots étaient sortis n'importe comment, aigus, étranglés, je ne sais même pas si l'Ogre m'a entendu. Mais il a lentement monté les escaliers, frôlant mon épaule, et a rigolé. Un rire rauque, atroce.

"Tu es libre de descendre, délicieux petit enfant."

J'aurais tellement aimé avoir l'intelligence de reculer avant qu'il ne me coince et de remonter vers la maison. C'était trop tard. Trop tard !!! Quel imbécile...la peur a aveuglé mon esprit, mes yeux, elle a inondé ma bouche et mes poumons, et j'ai dégringolé le long de l'escalier le plus vite que je pouvais, sans me rendre compte que j'avais retrouvé l'usage de mon corps au moment précis où l'Ogre m'avait invité à descendre.

J'étais venu à lui.

Il m'attirait maintenant le plus loin possible de ma mère, de mon frère, du couloir chaleureux de ma maison.

"Cours, " dit l'Ogre. "Cours. Mais fais attention, ou tu risques de tomber tout au fond. Tu veux que j'allume la lumière? Comme ça, tu pourras mieux voir, oui; tu pourras me voir."

Je sentais son haleine et ses joues tremblantes qui couraient derrière moi.

"Tu ne veux vraiment pas que j'allume? Vraiment pas? Délicieux petit enfant."

Non, je ne voulais pas.

Non, je ne voulais pas.

Non, je ne voulais pas.


L'escalierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant