Hereditas

CHAPITRE 8 : LA VALSE DE L'AIGLE ET DU LION

LEANDER :

Il ne leur fallut pas longtemps pour être remarqués, par Elias évidemment, qui ne sembla pourtant pas surpris. Sa sœur et Leander avaient tous deux disparu depuis un temps plus que notable. Il étudiait la scène, prostré contre un mur, comme on scrute une partie d'échecs ou le plan d'un champ de bataille. La tête haute, le pas lent, savourant chaque regard qui se tournait dans leur direction, Leander amena sa cavalière vers la piste de danse comme si les hoquets de surprise ne le faisaient pas rugir de plaisir. Dain s'étouffa avec un breuvage ambré, et Valerian laissa transparaître une grimace de dégoût, comme s'il avait été forcé d'avaler un œil de crapaud.

Parfait, pensa-t-il.
"Parfaite," murmura-t-il, alors que sa main droite s'accrochait à celle d'Helena et que sa gauche se glissait avec une facilité déconcertante dans le dos de cette dernière.

On n'entendait désormais que le son lourd et pesant des instruments animés par magie dans le fond de l'immense salle décorée de rouge et d'or. Seuls les pas des deux danseurs venaient s'accorder à cette mélodie. Dans son amour pour la provocation, Leander rapprocha sa cavalière pour qu'il puisse lui murmurer à l'oreille :

"Dame de la cour et fine stratège donc, tu as réussi à me rendre curieux. Quel autre talent dissimules-tu derrière ton masque de porcelaine ?"

HELENA :

Comme de coutume, Leander finit par saisir et arracher de force toute l'attention.
Cependant, cette fois-ci, il entraîne la jeune Serdaigle avec lui, aux côtés du protagoniste, et celle qui a toujours souffert d'être cloîtrée dans l'ombre des hautes ambitions de sa mère, se retrouve enfin dans la pleine lumière.
Les teintes froides de la robe d'un bleu pâle de la Serdaigle, ainsi que celles de ses yeux, de sa chevelure, de sa peau et de son être, se distinguent violemment de l'ambiance chaleureuse et des couleurs flamboyantes, installées en l'honneur de la maison Gryffondor. Elle incarne une étrangeté délibérée, un éclat tranchant de glace, dans un brasier agité.
C'est parfait ainsi, que tous les regards se posent sur elle ; elle est née pour briller.
Les yeux des convives, avides et suspicieux, suivent les héritiers qui se déplacent au centre de la salle, captivés par ce duo inattendu. Les murmures accompagnent chacun de leurs pas et les enveloppent d'un nuage de curiosité et de fascination.

Helena, l'air de rien, maîtresse dans l'art de l'observation discrète – à l'instar de son fraternel –, note tout. L'étincelle de surprise fugace qui traverse le regard de sa génitrice, assise derrière la grande table aux côtés des fondateurs, alors qu'elle ne laisse habituellement aucune émotion la trahir ; l'interrogation muette d'Elias, qu'elle ne saurait interpréter ; le sourire en coin satisfait sur le visage d'Altea ; les chuchotis des commères qui s'offusquent de la voir aux côtés de l'héritier Gryffondor ; et ceux admiratifs, devant ce duo qui s'est formé et qui ne manque pas de subjuguer. Deux jeunes gens, nés de belles lignées, choyés par la nature.
Helena note tout, jusqu'à ce que la main de Leander déserte la sienne, pour venir se loger dans son dos, contre sa colonne vertébrale. Sa poitrine se gonfle d'oxygène, et elle se redresse, comme pour échapper à ce contact brûlant, pour éloigner cette paume de quelques millimètres pour s'offrir la nécessité de mieux se préparer. Mais sa main persiste, elle se rapproche encore et finit bel et bien par s'apposer contre son dos, contre ses os, contre sa chair et contre son âme.
Se ressaisir. Prestement.
On les regarde, bon sang.

« Hm ? Je ne vois pas à quoi tu fais allusion. »

Son stratagème fonctionne à merveille.
Elle est parvenue à s'accaparer une portion de l'attention de Leander Gryffondor.
Ils tournoient au rythme des luths, des cornemuses, des vièles enchantés et Helena, austère, digne, prestigieuse, ne marque aucune fausse note dans ses pas de danse.
La perfection, c'est ce dans quoi elle s'est sculptée.