CHAPITRE 14 : JOUR DE MARCHÉ À PRÉ-AU-LARD

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ROSE :

Rose fixa un instant le sorcier avec des yeux ronds avant qu'un léger rire n'illumine son visage, faisant disparaître un instant les marques de la tristesse tracées sur son front. D'un geste assuré, la jeune femme déroula son écharpe. Elle coinça une première partie sur sa tête et l'autre devant son visage, dissimulant ainsi ses cheveux et son visage du nez au menton. Seuls ses grands yeux désormais rieurs se démarquaient de l'étoffe usée, alors qu'elle s'inclinait de manière légèrement grotesque.

"Mon seigneur est très aimable."

Elle n'était absolument pas en train de se moquer, mais personne ne l'avait habituée à la galanterie et surtout pas pour se prévenir de quelque chose d'aussi sommaire qu'une petite rafale de poussière.

"N'ayez pas peur, Seigneur Serdaigle, je ne suis faite que de boue et de poussière !" s'écria-t-elle en cachant son sourire derrière son écharpe.

Enfant sauvage à l'air candide, elle avait eu l'enfance des prés, des rivières et des forêts. Aucune parure, mais une véritable richesse humaine berçait ses souvenirs les plus lointains. Sur la route qui menait au village sorcier, on devinait désormais l'agitation d'un marché et cette nouvelle fit pétiller le regard de la médicomage qui attrapait sans gêne le bras du Serdaigle pour hâter sa marche. Peut-être retrouverait-elle sur les étals quelques mets ou odeurs lui rappelant sa terre natale qui lui manquait tant. Mieux encore, les quelques ingrédients qui lui manquaient depuis son arrivée, oubliés dans son départ précipité et dont elle n'avait pas réussi à se procurer au château.

Le naturel reprenait son emprise sur le caractère optimiste de la jeune femme. Elle avançait vers le village sans trembler quand quelques calèches frôlèrent son épaule à toute allure. Un léger juron dans une langue oubliée lui glissa entre les lèvres quand les sabots d'un cheval heurtèrent une flaque qui éclaboussa la sorcière sur tout son côté droit. Elle voulut s'excuser de cette mauvaise conduite, jurer même dans une autre langue n'était pas à faire devant un professeur de Poudlard. Mais quand elle tourna le regard vers Eldrin, il était lui aussi recouvert d'éclats de boue qui parsemaient sa cape comme les étoiles dans un ciel nocturne.

Et voilà le retour de l'éclat de rire qui perce à travers le bruit du chemin habité. Rose s'approcha et tapota sur la cape du Serdaigle avant de relever ses grands yeux rieurs dans sa direction.

"Eh bien, il semblerait que cela soit votre cas aussi désormais... Je suis navrée pour vos beaux habits. Peut-être devriez-vous monter sur votre cheval avant de ressembler à un simple mortel comme nous."

ELDRIN :

Eldrin sent son corps se raidir involontairement au contact inattendu de la médicomage qui, avec une spontanéité déconcertante, saisit son bras. Il n'a pas l'habitude de telles familiarités, on ne se montre jamais aussi tactile et naturel avec lui, alors ses pommettes hautes se colorent légèrement et il réprime un raclement de gorge, dans l'espoir de préserver une contenance digne ; et s'efforce de suivre le rythme pressé de sa compagne de route, qui se hâte vers l'habituel marché de Pré-au-lard.

Hélas, leur progression est interrompue lorsqu'une carriole les frôle dans un élan malheureux qui les couvre malencontreusement tous deux de boue. Le Serdaigle, qui était impeccablement apprêté, est désormais vêtu d'une couche de bourbe. Il baisse la tête pour examiner sa tenue souillée et soulève le bas de sa tunique d'un air navré, avant de la laisser retomber.

« Par Merlin, soupire-t-il, en voilà une malchance. »

Son regard remonte vers la médicomage qui s'est approchée et qui ne semble guère affectée par cette mésaventure. Pourtant, il constate qu'elle aussi a souffert de la flaque. Une sorcière bien singulière, décidément, se dit-il. Elle s'autorise même à le taquiner, avec une légèreté déconcertante.

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