Les Échos du District (Chp 1 -3)

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 Elle fit quelques pas en direction de sa caisse et poussa le bouton d'un émetteur suranné et grisâtre, avant de laisser échapper quelques mots :

— Sam ? T'es là ?

— Salut ma vieille ! Comment tu vas ?

— Arf... ça va... J'ai atteint mon quota électrique... C'est vraiment la galère, il fait tout noir là-dedans ! J'ai l'impression d'être dans une boite à chaussures ! Et toi alors, ça va ?

— Encore une longue journée chiante qui nous attend. Heureusement que tu es là, en quelque sorte !

— Toi au moins, tu as de beaux ravitailleurs à te mettre sous la dent !

— Oh, ne m'en parle pas... L'autre jour, un de ces idiots s'est pointé à Brightenway en oubliant la moitié de sa cargaison ici... Je peux te dire qu'il est revenu aussi vite qu'il est parti, et la queue entre les jambes !

— Sérieux ? Encore heureux qu'il soit revenu avec la tête bien vissée sur ses deux épaules surtout, poursuivit Phénix en enroulant une mèche de cheveux entre ses doigts. Ça me rappelle ce type-là... Tu sais, celui qui avait volé de la nourriture...

— Benden ?

— Oui, Benden, c'est ça. Le pauvre... Il avait déjà été attrapé en train de fabriquer des faux tickets de ravitaillement. Il aurait mieux fait de ne pas essayer de douiller la milice. Notamment pour gratter deux-pourcents de la cargaison.

— Tu m'étonnes. Ça lui aurait évité bien des déboires. Enfin bref... En tout cas, cet imbécile de ravitailleur n'est peut-être pas très futé, mais il est loin d'être laid, ça me fait une distraction ! pouffa Sam, à l'autre bout du fil.

Phénix gloussa et secoua la tête en constatant qu'une fois de plus, Sam était en capacité de balayer les mauvais souvenirs en une fraction de seconde.

— Ça me changerait d'avoir quelques beaux mecs à la boutique... Je me tape que les vieux du quartier, perso !

— Arrête ! tu aimes trop ton boulot, tu ne pourrais pas t'arrêter ! Et en plus, tu ne fous rien la moitié du temps !

— C'est bien le problème... Je commence à avoir du mal à joindre les deux bouts... murmura Phénix, le regard fermé.

— Mon offre tient toujours. Tu pourrais venir travailler avec moi, proposa Sam en reprenant un ton plus sérieux.

Un silence s'installa. Phénix lorgna sur une pile de livres à l'autre bout de la pièce. Ses yeux devinrent rouges, puis humides. Une boule s'engouffra jusqu'au plus profond de sa poitrine et elle porta ses ongles à sa bouche, avant de murmurer :

— Je ne peux pas. J'ai bossé trop dur. Et tu sais ce que cet héritage représente pour moi.

— Ça ne ramènera pas ce vieux Gordy, tu sais bien. Et puis franchement... Qui en a vraiment quelque chose à foutre de tous ces vieux machins que t'entasses dans ta boutique ?

— Je sais bien, mais il m'a tout appris, et il m'a fait confiance. Cette tâche m'incombe à présent. C'est le seul qui ait eu confiance en moi jusqu'à ce jour, alors je ne compte pas laisser tomber.

— Et bien... Quel joyeux discours... Oh, tiens d'ailleurs ! En parlant de joyeuseté... Salut Teddy... Comment va mon beau brun préféré ? s'exclama-t-elle à travers la radio, avant de poursuivre en chuchotant, bon, je te laisse ! Les ravitailleurs sont arrivés !

Phénix n'eut même pas le temps de répondre. Son interlocutrice avait déjà coupé la communication après avoir commencé à flirter avec un jeune homme visiblement très réceptif à son charme. Phénix sourit seule un moment, en imaginant son amie faire les yeux doux à tous les ravitailleurs qui venaient s'enregistrer à son poste d'accueil.

— Sacrée Sammy...

Elle ôta sa longue veste et la jeta nonchalamment sur un fauteuil dans la minuscule réserve, faisant retentir dans toute la pièce le bruit sourd des boucles en métal attachées au manteau en Ripstop.

Comme à peu près chaque jour, elle ne vit pas foule dans le magasin. Elle passa donc la quasi-totalité de son temps de travail à lire des recueils historiques du siècle dernier. Elle accueillait de temps à autre quelques clients, mais les gens étaient pour la plupart trop fauchés pour acheter ne serait-ce qu'une vieille babiole des années deux-mille soixante-dix. Ou alors trop incultes à cause de l'abolition du système scolaire à Riven District et la rétention du savoir par Brightenway.

L'enseigne était encore debout par on-ne-sait quel miracle. Souvent, les gens du quartier venaient juste rendre visite à Phénix pour la saluer, ou bien l'encourager à continuer "Parce qu'on a besoin de jeunes comme elle, ici !". Alors, elle s'efforçait chaque jour à continuer d'essayer de vendre ce tas de choses inutiles et dépassées, dans l'espoir qu'elles puissent potentiellement intéresser quelqu'un.

Elle fut tirée de sa lecture par un bruit strident qui la fit sursauter : Le quartier sud était soudainement envahi par le hurlement perçant de l'alarme du district. Cela était généralement annonciateur d'un discours émanant de Brightenway. Une nouvelle loi en vigueur traditionnellement. Elle se précipita sur le pas de la porte et constata que tout le monde était déjà dans la rue à attendre ce que les hauts parleurs leur réservaient, la peur au ventre.

Phénix aperçut au loin un jeune homme trainé au sol par une dizaine de miliciens armés jusqu'aux dents. Il se débattait de toutes ses forces :

— Non ! Pitié ! Je vous jure que c'est faux ! Je vous le jure ! Je vous en supplie !

— Pas le choix mon petit gars. Fallait y réfléchir à deux fois avant de faire ta connerie !

Phénix se figea sur place, la bouche ouverte. Les hauts parleurs crachèrent finalement :

"Mesdames et Messieurs. Citoyens de Riven District. Nous vous rappelons qu'il est strictement interdit et puni par la loi de commettre tout acte de résistance ou de créer des groupes qui envisagent une révolte envers le peuple de Brightenway. Tout citoyen ne respectant pas la loi se verra retirer ses droits d'accès au District, ou, dans les cas les plus graves, subira sans préavis la peine de mort. Merci de votre attention."

Son cœur battait la chamade. La plupart des citoyens du District avaient connaissance d'un groupe de rebelles, appelés les Charognards, et qui avaient pour ambition de renverser Brightenway et de s'approprier la citadelle et tous ses avantages. Mais jamais, ils n'étaient encore passés à l'acte, principalement par manque de ressources nécessaires pour s'attaquer à la citadelle.

Mais si la milice était là, et qu'elle s'en prenait à ce jeune homme, cela ne pouvait signifier que deux choses : Soit ils étaient passés à l'acte sur l'une des quatre portes du rempart, soit l'un des Charognards avait vendu des informations.

Dans les deux cas, cela ne sentait pas bon, puisque ça signifiait que la milice renforcerait ses effectifs de surveillance au cœur du District.

La victime, âgée d'à peine une vingtaine d'années, hurlait encore et toujours. L'un des gardes de la milice s'empara de son bras et déchira violemment son t-shirt. Ce tatouage... Pas de doute. Il s'agissait bien d'un Charognard.

Tout le monde était agglutiné autours de la scène, mais personne n'osait bouger le petit doigt. Et pourtant, la milice était bien inférieure en nombre. Le cœur de Phénix se contractait dans sa poitrine, et la sueur dégoulinait le long de sa colonne vertébrale. Elle préféra rentrer à l'intérieur avant de voir ce qui allait advenir du jeune homme. Elle referma la porte et plaqua son dos tout contre, levant les yeux au ciel et expirant lentement.

Elle tressaillit lorsque le coup de feu retentit.

Phénix et le dernier Dragon - Tome 1, L'Éveil d'Yldren.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant