Chapitre 2 : Hors des ombres

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 Jamais les grands tremblements qui ont agité les bas quartiers d'Hillmoore, qu'ils soient émeutes, épidémies, ou bien l'incendie d'un orphelinat ayant supposément causé la mort de centaines d'enfants, n'ont empêché les bonnes gens de la Haute de vaquer à leurs activités. Bien à l'abri des ces vaines agitations derrière le métal et le verre de leurs tours élancées qui les éloignent un peu plus chaque jour des préoccupations des gens du commun grattant le sol de leur cité.
L'opéra fait partie de ces divertissements d'élite où se presse tout le gratin d'Hillmoore. Les gradins et parterres bien remplis de ce grand bâtiment à l'intérieur fastueux dégorgent de moulures dorées à la feuille, de fauteuils et de parapets tapissés d'un épais velours écarlate absorbant les feux scintillants d'un lustre tellement lourd qu'il est retenu au dôme de d'acier orné de riches moulures du plafond par quatre épaisses chaînes, agrémentées elles aussi de clous d'or sur tout leur pourtour.
L'opéra est un joyaux clinquant comme le diamant trop lourd ornant la gorge d'une de ces courtisanes en vogue que l'on voit se presser en la compagnie de belles dames et beaux messieurs de la Haute. Rejoignant la foule de diplomates et dignitaires étrangers venus rejoindre Hillmoore pour le tricentenaire qui se tiendra d'ici deux semaines à peine.

Peu de ceux qui, parés de leurs plus beaux atours, fourrures et cuir de qualité assortis pour l'occasion aux plus belles soieries et aux perles obèses pendant à leurs oreilles, regardent avec une attention feinte la fin du solo d'une cantatrice donnant du vibrato à s'en décoller les gencives sous le clairon d'un orchestre aux accents ronflant, ne sont en réalité là pour la musique. Il s'agit de se faire voir, de se placer en vue des puissants des PrésiDuchés. De commérer, de comploter, de se tenir au courant des ragots qui pourraient accorder à l'un ou l'autre une faveur quelconque.

Enora contemple le parterre de cette basse-cour en habits de lumière avec détachement. Elle non plus n'est pas là pour la musique. Et quelle musique, en vérité... Les gens d'opéra sont une espèce à part d'artistes. Loin des Ménestrels jugés, à de rares exceptions, trop populaires pour monter sur de si prestigieuses scènes. Ces musiciens, souvent filles et fils de quelques familles de l'Oeil, tournent en circuit fermé, ayant fait leurs apprentissages dans des écoles d'un snobisme achevé, ne se produisant que pour la Haute. Et le résultat est...
Enora lève un sourcil presque déçu, en entendant ces vocalises qui se voudraient déchirantes mais qui, maintenant qu'elle a passé tant de temps avec ses comparses des Manteaux Bleus, lui semblent à présent bien fades. Emyl, à côté d'elle, qui se mord la lèvres inférieure pour ne pas rire, ne l'aide pas beaucoup à apprécier le spectacle mais lui offre tout de même une petite distraction bienvenue.

Elle n'aime pas l'opéra, lui préfère les Manteaux Bleus, de loin. Mais ni son oncle, ni Lady Tally, qui a pour habitude ces derniers temps de se faire beaucoup trop présente dans sa vie, ne sont de grands mélomanes, et leur position si élevée dans la chaîne alimentaire des grands d'Hillmoore les dispense de se prêter à ces petites démonstration sociales auxquelles ils préfèrent largement dîners et galas. Tally, d'ailleurs n'est pas un animal qui cherche par trop la compagnie de ses congénères, étant restée des années durant terrée dans son manoir à mener son commerce et diriger les travailleurs de la ville depuis ses bureaux. Elle n'en est sortie que récemment... Directement dans les bras de l'Oncle Langley.
Enora soupire.

Son nom et sa rente lui ont heureusement permis de privatiser une loge au second balcon de l'opéra. D'où elle ne voit pas parfaitement la scène, mais peut observer la foule à loisir, ce qui l'intéresse bien plus. Sans compter que le petit renfoncement de sa loge de trois ou quatre places leur permet à Emyl et elle de rester relativement à l'abri des regards des curieux qui voudraient les observer. Voir sans être vus. Ce qui leur convient tout à fait. Là, quelque part, se trouve peut-être la personne responsable des ravages politiques hors du commun qui agitent Hillmoore, et la PrésiDuchesse demeure déterminée à trouver son identité, scrutant la foule à la recherche d'une attitude suspecte, ou du moins, inhabituelle. Quel que soit cet individu, il finira bien par commettre un faux pas.

Dans les autres balcons et à travers le parterre, les spectateurs murmurent entre eux, plus intéressés par les cancans du jour que par ce spectacle d'une qualité discutable. Enora laisse glisser ses yeux sur ces braves gens de la Haute, connaissant déjà le sujet de leur conversations.
L'incendie de l'orphelinat a eu des retentissements divers en ville. Et il a vite été décidé par l'Assemblée d'accuser publiquement Finnegan de l'incident. Salissant le nom des Blake en même temps qu'on fait passer le ThreeSix pour un infanticide.
Enora a beau savoir que la Révolution avait prévu cet état de figure, et même, avait orienté son action en ce sens, elle a beau savoir que Finn lui même s'était porté volontaire pour servir d'épouvantail à la Révolution et ne pas entacher leur réputation auprès du peuple qui commence à peine à se rendre compte de son existence, chuchotant des rumeurs dans les ruelles sombres de Basse-terre... La PrésiDuchesse ne peut s'empêcher de trouver cette situation injuste et de se trouver dégoûtée par l'avidité malsaine avec laquelle les gens de la Haute traînent dans la boue un homme qu'elle apprend de jour en jour à voir comme un allié... Un ami... Peut-être un peu plus. Le couteau qu'il lui a donné ne quittant jamais la poche de sa robe. Par instinct de protection, se dit-elle, sans vouloir s'avouer son sentimentalisme.

"Tiens, regarde moi ça," chuchote Emyl à son oreille. "Et elle, tu crois qu'elle vient pour la profiter de cette fantastique performance?"
Il donne une tape sur son épaule, la sortant de sa rêverie, et lui montre une autre loge, plus loin, dans laquelle deux hommes discutent avec animation, tandis qu'une femme, le visage carré, les cheveux blonds paille et courts, garde les bras croisés, observant la cantatrice d'un air visiblement peu amène.
La PrésiDuchesse met quelques instants à la reconnaître, ne l'ayant jusque là pas vu sans son armure, mais en prenant ses lorgnons pour observer de plus près, elle peut détailler ce visage dur, et ces tâches de rousseur.
"Alcestia?"
"Elle s'intègre de plus en plus dans la Haute, cette petite crevure," commente Emyl, s'appuyant nonchalamment contre le dossier de son siège, sa main éternellement posée sur son sabre. "Tu parles que suite à la décision de mettre au vote son titre de Maréchal de la Garde, elle doit au moins veiller à se faire bien voir de ses protecteurs. Faudrait peut-être qu'elle apprenne à sourire, ça va finir par se voir qu'elle les méprise."

Enora note l'air suprêmement ennuyé de la Chevalier Capitaine. Ayant revêtu une robe verte qui lui donnerait une allure presque humaine hors de sa lourde casaque de la Garde, et qu'elle semble porter plus comme un costume que comme des vêtements qu'elle aurait revêtu de bon cœur.
"Elle a lancé une chasse à l'homme sur Finn," commente Enora avec inquiétude, ayant appris la nouvelle dans la matinée par des domestiques. "Son observatoire va être attaqué, la Garde a prévu d'investir les rues dès demain à la recherche des ThreeSix qui pourraient traîner en ville..."
"Elle espère probablement précipiter son avancement en ramenant sa tête." Emyl renifle, un peu dédaigneux. Devant l'air défait de son amie, qui tremble un peu à cette idée, il pose une main rassurante sur son épaule. "T'en fais pas, va. Finnegan n'est pas assez bête pour se laisser choper comme un lapin de deux jours. Il va rester bien au chaud dans son Observatoire. C'est une forteresse mieux protégée que les casernes de la ville. Le ThreeSix est un gros poseur, mais il n'est pas totalement crétin."
"Je l'espère," avoue la PrésiDuchesse. Pensant avec un brin d'angoisse à quoi s'est exposé cet homme si déterminé. Cette nuit, il n'a pas hésité à abattre le Candyman. Enora remercie presque les horreurs de la prison de l'avoir rendue insensible à des visions telles qu'un sol d'acier recouvert de cervelle mousseuse. Et quelque part...
Elle ne peut approuver le geste de désespoir du terroriste. Pas avec ce qu'elle a juré de défendre. Mais elle comprend ses raisons. Peut-être, après tout, que le monde se porte mieux sans la présence du Candyman...

Sur un vibrato à vous vriller les tympans, la première partie du spectacle s'achève, des centaines de flammèches de gaz s'allumant en cliquetant dans le grand lustre de cristal.
"C'est pas dommage..." persifle Emyl, s'étirant.
"Parce que tu préfères les galas avec les PrésiDucs, toi?" Enora se lève, sentant le besoin pressant d'aller rendre une petite visite aux commodités.
Le sabreur renifle.
"Finalement, Basse-Fosse avait ses charmes...."
Emyl lui ouvre la porte des loges, reprenant son rôle de garde du corps scrupuleux tandis qu'ils parcourent les couloirs de l'opéra, ornés de lourds brocards et de lambris sculptés recouverts d'or. Clinquant et tapageur mélange de métal et d'écarlate sous la lumière jaune des appliques de gaz disposées le long des murs.

Emyl ne pousse pas le vice de la protection rapprochée jusqu'à l'accompagner dans les toilettes communes, restant, raide comme la justice, les bras croisés, à l'extérieur de la pièce, ignorant superbement les regards curieux des gens déambulant dans les couloirs pendant ce bref entracte.
Enora profite avec délectation du silence tacite de ce lieu qui arrive quand même à dégager une notion de richesse ostentatoire dans le marbre veiné d'or de ses vasques.
Personne ici ne se parle, et elle s'en trouve soulagée, en se lavant les mains devant le grand miroir prenant toute une partie de la pièce. Elle jette un coup d'œil à son reflet.
Sa mise, ce soir, est plutôt simple. Une robe noire avec quelques rehauts de vert, étendard des Langley, pour rappeler son appartenance à sa famille sans l'afficher tout à fait. Ses cheveux ont été tressés de mèches cuivrée plus sages que le blanc éclatant ou l'or qu'elle arbore pour certains galas. Elle en replace une derrière son oreille, dégageant les tatouages visibles sur son cou, et son estomac se tord involontairement. Alcestia, dont la silhouette musclée la rend menaçante malgré sa taille presque modeste, apparaît le dans le miroir, venant d'entrer à son tour dans la pièce.

Enora ne souhaite pas la croiser plus longuement. Cette femme est un tortionnaire de la pire espèce, mais elle est aussi fine mouche et profondément rusée. Se retrouver en sa présence est un danger pour elle.
La PrésiDuchesse baisse les yeux avec un air qu'elle espère naturel, finissant de rincer ses mains avec des gestes détachés, n'ayant plus un regard pour son reflet. Ne désirant pas s'attarder.
Mais quand elle se retourne, c'est pour se retrouver face à face avec la Chevalier Capitaine. Qui la regarde, les bras croisés, sans rien dire.
Enora manque de perdre contenance, mais le masque d'héritière dédaigneuse qu'elle arbore en public est comme une seconde peau pour elle à présent, et elle relève le menton de toute sa condescendance.

"Que puis-je faire pour vous, Chevalier?" demande-t-elle, avec un ennui feint.
"Chevalier Capitaine," relève Alcestia, qui n'a pas l'air sensible à son petit numéro. Sa voix est rude et cassée par des années d'ordres hurlés à ses troupes.
"Peu importe..." souffle Enora, marchant vers la sortie. "Intéressant choix de couleurs..." Note-t-elle néanmoins, contemplant la robe verte de la soldate.
"J'ai eu un soudain intérêt à porter du vert, dernièrement," se moque ouvertement Alcestia, se dirigeant vers les toilettes, sous les regards courroucés des Messieurs Dames n'appréciant pas que l'on trouble la tranquillité du lieu.
"Vous m'en direz tant." Enora tourne les talons, sans s'encombrer de la politesse qu'elle ne doit pas à une personne de rang si inférieur. "Profitez bien du spectacle, Chevalier."
"Et vous aussi, Dame Langley..." Entend-t-elle dire la soldate alors qu'elle passe la porte. Elle pourrait jurer avoir entendu une pointe de sarcasme dans cette voix croassante de soldate.

Une fois dans le couloir, elle fait signe à Emyl de la suivre rapidement. Le garde du corps ne peut totalement dissimuler son air inquiet.
"J'ai vu passer ta meilleure copine," dit-il à voix basse alors qu'ils retournent prestement vers sa loge. "Tout va bien?"
"Pas ici," souffle-t-elle. "Mais elle a l'air de s'intéresser à nous de trop près. Je n'aime pas ça. Elle veut probablement séduire ma famille."

Elle laisse Emyl lui ouvrir la porte de la loge, et vérifier que personne ne les attend à l'intérieur. Mais quand il lui fait signe que tout va bien et qu'elle entre à son tour dans ses quartiers, elle se sent soudain suivie de près, presque poussée, par quelqu'un qui s'engouffre dans la petite pièce à sa suite.
Elle se retourne prestement, une main sur son couteau tandis qu'Emyl s'élance déjà.
"Bonsoir, Nora..."
"Je retire ce que j'ai dit tout à l'heure," souffle le garde du corps, rengainant son arme à moitié sortie en un chuintement de métal. "Il est complètement con."
"Finn?"

Un petit rire lui répond, et un sourire de chat se laisse entr'appercevoir sous une perruque de cheveux grisonnants et des postiches de barbe épaisse ornée d'impressionnants favoris. Un lourd maquillage cachant le tatouage sur son front.
Il est habillé comme un beau monsieur en costume d'Émissaire d'Ermir, avec sa redingote noire, et son pantalon rouge rutilant sous sa chemise blanche. Invisible à celui que ne l'aurait jamais croisé au naturel.
Enora est presque soulagée de le voir, suite aux évènements de la veille, et elle le regarde s'asseoir tranquillement à l'arrière de la loge, bien cachés aux regards de ceux qui voudraient les observer. Son attitude est décontractée. Un peu trop pour quelqu'un dont la Garde a juré la mort.

"Mais qu'est-ce que tu viens faire ici, tu es fou," souffle-t-elle, s'asseyant à son tour près d'Emyl qui lève les yeux au ciel. "Tu es un homme traqué. Tout l'Oeil veut ta peau. La récompense sur ta tête a doublé, tu vaux presque plus que toute la Guilde des Voleurs réunis."
Le ThreeSix, qui s'installe avec toute la raideur et l'emphase due à un noble étranger, pouffe.
"Oh, il peuvent faire monter la récompense, oui... Il n'y a pas un... Pas un de ces petits bâtards, chiens de l'armée, soldats... Pas un qui pourrait m'attraper. Je suis en sécurité ici, mmh. Bien au chaud, dans le nid du serpent." Il se penche vers elle, s'appuyant élégamment sur la canne à pommeau doré qui complète sa tenue. "J'étais juste venu... Simplement venu prendre de tes nouvelles. Comment vas-tu, Nora?"

Elle pourrait presque entendre Emyl rouler des yeux à côté d'elle, et ne peut nier que l'attention que le ThreeSix lui porte la touche profondément. Mais elle ne va pas le laisser s'en tirer à si bon compte.
"Si tu me dis que tu as pris tous ces risques juste pour me voir, je te jure que j'appelle la Garde directement dans la loge pour te punir de ta bêtise, Finn. Cet endroit est dangereux. Alcestia est là. Elle a juré ta peau, ta capture pourrait la faire élire plus vite."
Le ThreeSix a un petit rire sifflant, mais il regarde sa posture fière de dignitaire tout en jetant un regard vers elle, ses yeux noirs luisant de malice.

"Oh, cette chère Alcestia, ahah... Avide arriviste de la violence... Oui j'ai senti son odeur de loin, on se reconnaît entre nous, les assassins, les tueurs de sang froid, mais... Non, Nora, même si je n'ai aucun regret de ce petit détour pour te voir... Tu en vaut la peine, tu sais," il lui fait un clin d'oeil qu'elle reçoit en levant un sourcil, ignorant le petit frisson qui la parcourt, "Il n'y a pas que ça qui m'emmène ici..."
Il a un geste de la main, désignant son costume.
"Quel élégant noble je sais, quel parfait... Parfait diplomate, comploteur, arnaqueur de l'étranger, quel.. C'est un habit parfait pour me mêler aux gros poissons... Aller observer de près leurs petites agitations, petites... Petites combines... Comprendre... Personne ne questionne d'où je viens, regarde."
Il toussote, mettant sa main devant sa bouche avec des gestes affectés.
"Oh mais si très chère, ce Finnegan Blake, quel abject individu," son fort accent d'Ermir est presque convaincant, Enora doit se retenir de ne pas rire nerveusement, "pensez vous ces pauvres enfants, quelle misère. Dans mon pays, jamais on ne verrait pareille indignité, jamais. Vos Gardes devraient réagir avec plus de fermeté, votre politique est donc si fragile que ce genre de choses soient possibles dans votre capitale!"

Enora dissimule son amusement sous une couche d'agacement bien authentique.
"Tu profites de ton déguisement pour salir encore plus ton nom?" demande Emyl, incrédule. "Je ne sais pas si c'est du génie ou de l'inconscience..."
"Génie?" Finn quitte son attitude de noble d'Ermir pour se pencher totalement sur sa canne, avec un air de conspirateur. "Du génie, mmh, non. Une opportunité, peut-être? La Révolution, maintenant... J'en fais partie non? Un Révolutionnaire, une... personne du peuple... Autant faire ma part, envoyer l'Assemblée sur les traces de ce bon vieux Blake, un bon épouvantail, un bon... Une bonne excuse."

Enora laisse passer un temps, étouffant une certaine tristesse suite à ces paroles. Le ThreeSix a totalement embrassé son statut d'assassin, en tout cas aux yeux d'Hillmoore. Déguisant une croisade pour la justice en actes de barbarie dont il ne cherche pas à se défendre. Plus elle apprend à le connaître, plus elle prend conscience de l'injustice de sa réputation. Malgré ses crimes, qui demeurent indiscutables, il n'est pas le monstre dépeint par la foule. Bien que sa logique l'emmène trop souvent à tirer avant de parler...

"Je vais bien, comme tu vois," déclare-t-elle, se retournant vers la salle, dont les lumières baissent de nouveau annonçant le début de l'acte deux. "Avec Emyl, on tente de profiter de l'agitation des ces dernières heures pour interroger les domestiques et les petits bureaucrates... On cherche qui aiguille la main d'Alcestia."
"Pour l'instant, ça marche pas fort," grommelle le garde du corps, regardant avec attention le public se presser pour retrouver leurs sièges en un bruissement de froufrous hors de prix.
"J'ai peur que notre action n'ait pour effet de déclencher encore plus les violences des Casaques contre le peuple...." Confie Enora, qui contemple le rideau se lever. "Ils te cherchent, et ils sont enragés. Demain, les Gardes vont descendre dans les rues, et je crains ce qu'il va se passer."
Le rideau finit de s'ouvrir, sur un décor champêtre de panneaux de bois peints, et l'opéra reprend, l'orchestre pétaradant un en concert de clairons qui ont tout du cors de chasse à courre et pas grand chose de l'élégante parade pastorale.

"Le peuple..." Finnegan, lissant sa moustache grisonnante, a l'air songeur. "Notre brave ami Samson leur a donné de quoi... De quoi se défendre. Des armes distribuées comme des friandises, des petits mousquets, des épées... Oh, le peuple n'est plus sans défense, non, plus sans défense... Peut-être qu'Alcestia le découvrira malgré elle, mmh. Surprise."
"Oh bah tiens, et si on les laissait se défendre tout seuls," lâche le sabreur sans humour. "La bonne idée. Des citoyens terrifiés face à des soldats entraînés, mais en voilà un plan merveilleux."
"Je n'aime pas ça," Enora secoua la tête, profondément mal à l'aise à cette idée. "On ne peut pas les laisser sans défense. Et leur faire payer les pots cassés de nos actes. Ce n'est pas juste. Il va y avoir des morts..."
"C'est la Révolution," le ThreeSix hausse les épaules. "Chaque partie doit payer le prix... le prix du sang. Pour la liberté."
"Non," Enora se tourne vers lui. "C'est notre Révolution. Pas encore la leur. Ils n'ont pas fait le choix d'y participer. S'ils meurent sous les coups de la Garde, ce sera de notre faute."

Elle baisse les yeux sur ses mains, paumes ouvertes sur ses genoux. Il y a déjà tellement de sang d'innocents sur ces mains là... Quoi qu'ils tentent pour sauver ce pays, il semblerait qu'ils ne fassent qu'alimenter le cycle de la violence...
Elle est prise d'un frisson de dégoût, levant ses paumes devant elle. Avec une pensée pour Nightingale... Si son ami se sent responsable des violences en ville, cela le tuera de chagrin...

Une main aux rehauts cuivrés vient se poser sur les siennes, serrant ses doigts dans une poigne douce.
Elle lève les yeux sur Finn qui la regarde avec attention.
"Je prendrais les ThreeSix demain," annonce-t-il doucement. "J'en laisserai pour garder l'observatoire, et les autres...Les autres viendront avec moi. Une diversion, mmh? Un piège pour la Garde. On ira la provoquer. Les ramener à l'observatoire... Là bas, on est entraînés, on a pas peur. De la mort, de la guerre, de... On est prêts. On ira aider le peuple."
La PrésiDuchesse serre cette main sans vraiment y penser. Réalisant ce qu'il propose.
"Tu veux servir d'appât?" Demande-t-elle. Sentant une peur incontrôlable monter dans sa poitrine. Peur pour lui? Oui... Sans doute. "Tu vas risquer ta vie, Finn, c'est de la folie."
Il hausse les épaules, baissant ses yeux sur leurs mains jointes. Ne les lâchant que lorsqu'Emyl laisse échapper une toux à peine discrète, rappelant sa présence à leur bon souvenir.
"C'est ce qu'il faut faire, ce qu'il faut... C'est une bonne chose," déclare-t-il, se rappuyant sur sa canne. "Ils ne m'attraperons pas, ahah, ils ne sont pas assez bons."

Enora, alors que la cantatrice reprend sa longue complainte, accompagnée cette fois d'un comparse, ténor pompeux et poudré comme un chat de concours, détaille Finnegan qui regarde le spectacle d'une mine affectée, jouant avec sa barbiche grisonnante comme le ferait un vieux monsieur.
Est-ce qu'il est à ce point détaché de tout que l'idée de perdre sa propre vie ne le touche même pas?
"N'as-tu pas peur de la mort?" demande-t-elle, presque malgré elle.
Il secoue la tête, avant de lui jeter un regard en coin.
"La mort... Oh non, la mort, non... Je la connais, je la connais bien. Je suis déjà parti, oui, déjà mort une fois..."
La Présiduchesse tourne ses yeux vers lui, ignorant totalement les grands efforts des deux chanteurs pour faire visiblement éclater chaque pampille du lustre de cristal.
"Comment ça?" demande-t-elle, prise complètement au dépourvu par ces phrases énigmatiques.
"Si c'est au sens propre," note Emyl à ses côtés. "Je suis curieux. Au sens figuré... On a déjà Night pour jouer les tragédiens, la place est prise."

Finn a un petit sourire amusé à cette remarque, son regard fixé sur le pommeau de la canne qu'il fait tourner entre ses doigts.
"Il y a toute une vie, j'étais bureaucrate, j'étais... à la solde de l'Assemblée. Quand j'ai découvert pour les enfants. Naïf, oui, j'étais... innocent, je croyais en... Dans le système, dans leurs mensonges, je croyais... J'avais confiance." Il laisse claquer sa langue. Enora connaît déjà cette histoire, mais elle attend la suite. Le ThreeSix a la diction d'un danseur ivre, mais il parle rarement pour ne rien dire.
"Vous le savez déjà," reprend-t-il, "mais... je n'avais pas tout raconté, pas... Il y a un pan de l'histoire qui... Que je garde pour moi. Quand... Quand le scandale, les enfants... Quand mes supérieurs n'ont rien fait, vendus à l'assemblé, j'ai essayé d'en informer les corporats, PrésiDucs, les hauts placés, les... J'ai essayé. Et des Gardes sont venus. Ils sont venus chez moi, pour m'obliger... Me faire rentrer dans le rang, me faire signer. Blake. Le sceau de la condamnation... Ils voulaient que j'appose mon nom. Les ordres de transfert. Et j'ai refusé, mais... Ils ont pris mon fils."
Même Emyl a le bon ton de tourner la tête de surprise tandis qu'Enora couvre sa bouche, étouffant une exclamation.
"Un fils?" demande-t-elle d'une voix étranglée. Finn n'a pas vraiment l'air d'avoir d'enfants. Il n'a jamais mentionné de famille, alors... Est-ce que ça veut dire que...?

"J'étais un Second de ma famille...." Il penche la tête, observant le parterre des PrésiDucs devant eux. "Second fils... Destiné à enfanter. Destiné à produire... Des héritiers. Ma femme... Nous n'étions pas amoureux, non, l'amour n'est pas... N'existe pas à High City. Il y a des contrats, des accords, pas d'amour, pas... Pas d'illusions. On s'est mariés, parce que c'était attendu, et on était... Proches? Amis? On s'appréciait, mais... Pas d'amour. L'amour c'était notre garçon...." Il lève la tête vers les moulures du plafond, le regard lointain. Enora sent sa cage thoracique se resserrer autour de ses poumons. "Il avait... sept ans. Notre premier... Petit bonhomme. Les Gardes l'ont pris... Ma femme... Elle a hurlé. M'a suppliée de faire quelque chose, d'agir, de... de le sauver. Entre la vie de mon seul petit, mon fils... La vie des autres enfants... Quel était le bon choix? J'ai été lâche. J'ai signé..."
"Par la Tout-Mère, Finn..." Enora, doucement, pose à son tour sa main sur la sienne, qu'il prend doucement, sans la regarder. "Tu n'as pas été lâche. C'était ton fils... Tu as agi comme un parent."

Elle n'est pas mère elle-même, doute d'un jour pouvoir donner la vie si jamais elle survit à la Révolution, ou à son mariage, n'est même pas sûre de le désirer, mais elle porte encore en elle le souvenir vivace de son père. Qui les aimait tant sa sœur et elle qu'il est mort de chagrin à leur départ...
Elle comprend mieux la rage du ThreeSix, son esprit à mi-chemin entre le monde réel et cette image perpétuelle de cité en flammes qui semble se dérouler à chaque instant sous ses paupières.

"Un parent..." Le sourire de chat de Finnegan n'arrive pas à tordre les commissures de ses lèvres de manière convaincante. "Oui, peut-être... Un parent, arrivé trop tard. Je n'ai pas été... Pas assez rapide à leur goût. Un enfant c'est si fragile... Et une épée, c'est... Ils ont assassiné mon garçon. Pour ma faiblesse. Mon nom sur les papiers. Trente-six condamnés. Et mon fils... Mort dans mes bras. Je suis leur assassin, à tous..."
La PrésiDuchesse serre sa main, pendant qu'Emyl étouffe un juron. Elle ne sait pas quoi dire. Comment consoler un tel chagrin?

"Ma femme était là," continue le ThreeSix, s'accrochant à ses doigts, fermant les yeux. "Elle les a vu faire, a vu son corps... Ça l'a rendue folle. Elle... S'est jeté sur l'épée du Garde. Peut-être pour venger notre petit, peut-être... peut-être pour mourir... L'épée lui a transpercé le corps, lui a... Au niveau du ventre... Ils m'ont retenu. M'ont empêché de... L'aider. De la sauver elle aussi, de... Elle n'est pas morte tout de suite. Une plaie au ventre... C'est long. Douloureux." Ses doigts se font lâche sur la main d'Enora, qui le retient dans la sienne en un maigre soutient le sentant s'égarer dans ses souvenirs. "Elle a eu le temps de me parler... De me maudire. De maudire mon nom, Blake. Bourreau, assassin... Me maudire d'avoir choisi un idéal, une illusion de grandeur... Un idéal au lieu de choisir ma famille... Alors oui. Je suis déjà mort, Nora." Il tourne à nouveau ses yeux sombres sur elle, et elle y voit danser des images douloureuses. "Déjà mort. Qu'est-ce qui pourrait me faire peur? Peur de quoi? La vie... N'est pas une amie. La mort... Est mon royaume. J'emporterais tous les assassins du monde avec moi, avec moi... Dans mon enfer."

"Finn..." La PrésiDuchesse veut serrer ses doigts dans les siens, mais il se recule, pensif, s'enfonçant dans son fauteuil, jouant avec sa canne distraitement.
Elle comprend mieux à présent. Il porte le deuil de cette famille, et la malédiction de sa femme qui le hante comme une condamnation. Assassin... Le poids de ses décisions. Cet homme n'a rien à perdre... Strictement rien.
"Personne ne mérite ça," souffle Emyl entre ses dents, sa main jouant avec la garde de son sabre comme s'il voulait le dégainer et l'abattre sur chaque personne présente dans la salle. "Pas étonnant que tu sois devenu complètement dingue, après ce genre d'horreurs."
"Emyl!" S'insurge Enora. Mais Finn laisse échapper un petit rire.

"Il a raison," déclare-t-il avec tout le calme du monde. "Emyl Vincent, tu es un sage, un vrai sage... Mais regarde."
Il s'est penché vers le bord du balcon, et montre Alcestia de son doigt tendu.
"Voilà un authentique monstre," dit-il, murmurant presque. "Un monstre, qui se tient parmi les hommes, parmi... Au milieu de nous tous, là. Devant nous. Elle, elle a fait ce choix. Comme moi. D'être un assassin. Mais moi..." Il penche la tête vers Enora. "Je suis le monstre que les monstres craignent... L'assassin des assassins, le tueur... Le tueur des tueurs... Jamais je ne pourrais réparer. Refaire. Changer ce que j'ai fait. Jamais... Mais eux... Ils ont peur de moi. Et moi..." Son sourire de chat s'étire de toutes ses dents. "Maintenant, je suis avec vous. Quelle chance, n'est-ce pas... Quelle chance..."

Enora n'y tient plus. Elle ne peut plus supporter ce fantasme de meurtrier sans cœur que Finnegan semble vouloir se donner. Fantasme colporté par l'Assemblée, et une bonne partie de la ville.
"Arrêtes," ordonne-t-elle, posant sa main sur sa joue. "Tu vaut mieux que ce que tu veux nous faire croire. Et te faire croire." Le geste de la PrésiDuchesse surprend assez le ThreeSix pour qu'il entr'ouvre la bouche sans savoir quoi répliquer. "Tu n'es pas comme ça," continue-t-elle. "Tu es un homme bon. Tu te bats pour une cause juste, pour un idéal. Même si ta façon de faire est radicale, tu n'es pas comme eux. Tu es plus différent d'Alcestia qu'elle ne l'est d'un chien galeux trouvé dans la rue. Je ne peux pas te laisser penser ça de toi."
Doucement, il pose sa paume sur celle d'Enora, pressant sa joue contre ce contact chaud. Elle sent ses doigts la brûler presque en sentant cette peau contre la sienne.

"Nora," sa voix est lointaine, mais ses yeux ne la quittent pas. "Merci de croire en moi, mais.. Ce n'est pas moi l'idéal pas... Pas les gens comme nous. C'est toi. L'Idéal. Toi. C'est pour les purs comme toi... Comme Night... Pour vous que les gens comme moi, les tueurs... Samson, Vincent..." Il jette un œil à Emyl. "Pour les gens comme vous, nous devons nous battre. Pour que vos mains..." Il amène précautionneusement les doigts d'Enora à sa bouche et y pose un baiser délicat, à peine plus qu'un souffle. "Pour que vos mains restent intactes..."
Elle sent une chaleur intense remonter de sa poitrine, jusqu'à ses joues. Quand il laisse partir sa main, elle se retrouve muette, incapable de dire quoi que ce soit.

Il se relève, reprenant sa posture de dignitaire, faisant un petit salut poli avec sa canne.
"Le spectacle touche à sa fin," annonce-t-il, avec son fort accent d'Ermir. "Je ferais mieux de m'en aller, ma Dame."
Puis il retourne à la porte, d'un pas rapide.
"Finn," Enora s'est reprise, se retournant vivement avant qu'il ne s'en aille. "Mes mains ne sont pas sans tâches. Je ne suis pas si pure que tu voudrais le croire."
Il secoue la tête, se retournant vers elle. "Peut-être... peut-être mais... Bien assez pour moi, bien assez. Oh! J'oubliais." Elle n'a pas le temps de se remettre du compliment que l'esprit compliqué du ThreeSix passe déjà à autre chose. "Cette nuit, chez Samson. Une réunion. Pour ma participation à votre..." Il s'incline. "Votre chère Révolution."
"Notre Révolution, Blake," note Emyl, un peu las.
"Tout à fait, tout à fait... Notre. À nous." Il lève un sourcil. "Viendras-tu, Vincent?"
"Je ne peux pas la laisser seule dans ce contexte," répond le sabreur. "Les couloirs grouillent d'assassins. Je reste avec Enora. Tu me feras un compte rendu, Blake."
"Absolument..." Il s'incline encore. "Nora. Merci d'exister, merci de... Ne pas sombrer dans ce naufrage. De nous accrocher à l'espoir que tout... Ne soit pas que cendres. À très vite."
Et, comme ça, il ouvre la porte avant de s'enfuir, en faisant claquer sa canne dans le couloir.

Les deux autres restent quelques secondes fixés vers le fond de la loge. La PrésiDuchesse se sent un peu fiévreuse, ne sachant pas quoi penser de cette rencontre...
Sur scène, le spectacle se termine à grands renforts de cuivre pompeux et de violons furieux.
Emyl se retourne vers la scène, croisant les bras, et soupirant profondément.
"Enora, mon amie, tu vas faire une connerie avec ce gars-là."
Elle se retourne vers le parterre qui se lève pour applaudir les artistes, à grand renforts de vivats qu'elle ne se sent pas de singer, même pour le décorum.
"Je sais..." avoue-t-elle à voix basse.

Elle ne peut plus nier être irrémédiablement attirée par le ThreeSix. Elle qui n'a que rarement ressenti l'appel des sentiments, tout au plus l'appel de la chair qu'elle a toujours su dompter, seule ou en bonne compagnie, sait qu'elle n'a jamais été mordue aussi profondément dans les parties secrètes de son âme que par cet étrange feu-follet de Finnegan.
Evidemment, se fait-elle la leçon tout en sachant que cela n'aura que peu d'effet, en pleine Révolution, alors qu'elle met sa tête sur la sellette, ce n'est pas le meilleur moment... Mais ce frisson de liberté, d'être en contrôle total de leur relation, quand elle est en sa présence, de ne pas douter que cet assassin de sang froid ne poserait jamais la main sur elle d'une manière qui ne lui convienne pas...
Chaque facette de lui qu'elle découvre explique encore plus avant l'absolu qu'il joue à sa quête de justice totale, à son envie de brûler la ville pour faire renaître de ses cendres une vision si pure qu'il porte en lui comme un fardeau. La perte de cet enfant... La PrésiDuchesse sent son diaphragme se contracter douloureusement en imaginant ce qu'il a pu endurer. Encore encore.

"C'est un tueur, Enora," ajoute encore Emyl, se levant à son tour. Ils ne souhaitent pas se retrouver pris dans la foule rejoignant les calèches, autant partir au plus vite.
"Comme toi," note-t-elle, avec raison, le rejoignant à la porte. "Comme Helen. Probablement comme Luke. Ça ne vous empêche pas d'être des gens fréquentables."
"Ça, ou alors tes critères sont extraordinairement bas," rétorque le sabreur, la précédant dans le couloir.
"Nous ne le saurons jamais..." se moque-t-elle, le dépassant d'une démarche fière, gardant pour elle le sourire qui tente d'éclore sur ses lèvres.
"Night est ton meilleur ami," entend-elle souffler Emyl derrière elle. "Je te laisse en déduire ce que tu veux."

Plus tard, de retour dans son lit, elle se trouve incapable de dormir. Ils ont longuement débattu avec le sabreur de la présence d'Alcestia et de cette rencontre trop fortuite pour être un réel hasard. Sans réussir à en tirer quoi que ce soit.
Les événements de la veille se mêlent à la rencontre de ce soir. Le Candyman, abattu devant leurs yeux comme un animal enragé. Finnegan, dans son costume de dignitaire qui lui murmure des mots d'absolu. Le même homme. La même passion.
Qui a pris racine dans la poitrine de la PrésiDuchesse sans qu'elle puisse rien faire pour l'en empêcher. Le veut-elle seulement?

Elle tient dans sa main le couteau qu'il lui a donné. Et dont la lame damassée sortant de sa poignée d'ivoire luit doucement à la lumière d'une aube timide qui peine à percer les nuages lourds d'Aubaire.
Par sa fenêtre, devant laquelle Emyl dort, près à frapper, appuyé contre son sabre, assis contre la vitre sur le rebord large de pierre, elle voit au loin les fumées noires des mines qui s'élèvent assez haut dans le ciel aujourd'hui pour qu'on les aperçoive même depuis l'Oeil.

Resserrant sa main sur l'arme, qu'elle ramène contre elle, elle pense au jour à venir. Espérant que la garde rentre bredouille de son incursion dans les quartiers bas. Qu'aucun de ses amis ne paie au prix fort d'être aller délivrer les enfants. Night. Muse. Luke. Tous ceux qui sont dans la rue, elle prie la Toute-Mère pour leur salut.
Et pour celui de Finn... Qui sera en première ligne... À sa demande. Quel genre de pouvoir a-t-elle sur cet homme, ce terroriste... Ça lui fait presque peur.
Se repliant en chien de fusil dans les draps, cherchant désespérément un peu de sommeil, elle n'essaie pas de trouver de réponse à ses questions. Se contentant de se laisser emporter par ses prières, qui, dans son esprit embrumé de fatigue, commencent de plus en plus à ressembler à une des chansons de Nightingale. Laissant le fantôme de la voix de son ami la bercer vers des lendemains qui ne seront peut-être pas si glorieux qu'ils l'espéraient en rêvant, du fond de leur prison, de Révolution.

La Ballade du Pont des Anges - Tome 2 : GhostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant