Chapitre 5 : Entre ses bras

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 "Une bien belle chienlit, c'est moi qui te le dit," Emyl croise les bras, contemplant d'un air morne l'activité frénétique de cet hôpital de campagne.
"Et bien, je t'en prie, explique-moi comment faire mieux, parce que nos pertes sont presque nulles," Helen serre les dents sur son cigare, les rebords de son de son chapeau relevés, laissant voir l'éclat sauvage de son visage. "T'aurais dû voir les gars d'en face."
"Tu appelles ça presques nulles?" Emyl désigne d'un geste la grande salle de métal, la peinture écaillée rongée de rouille sur les murs, les hauts hublots qui diffusent la lumière de début d'après midi, et sur le plancher de grillage entrecroisés, des lits de camps, séparés par des panneaux de tissus entre lesquels se pressent apothicaires et soigneurs. "Et ben mes aïeux, j'aurais pas voulu voir la gueule d'une bataille perdue."
L'odeur est celle du sang frais, des linges bouillis, des entrailles désinfectées. Le bruit, celui de la souffrance. Gémissements, plaintes, et fausses assurances des médecins que tout va bien se passer.

"Tu fais du mauvais esprit parce que tu as les nerfs de ne pas avoir été présent, c'est tout." La contrebandière souffle un halo de fumée bleue, s'attirant les regards noirs d'une apothicaire. "Et je dois dire que même si les tactiques de la Garde ont évolué, Alcestia manque d'expérience pour assiéger proprement une forteresse pareille. On l'a renvoyé d'où elle venait."
"Laisse Samson, laisse... Tu as défendu la place, tu as... Tu es un bon soldat, pas vrai, un bon... Général, ahah. Aïe!"
"Si vous bougez encore, Maître Finnegan, je ne pourrais jamais terminer ce bandage. Ce n'était déjà pas facile de vous recoudre, ne m'obligez pas à vous sangler à ce lit!"

 Enora étouffe un petit rire, malgré son inquiétude. Véritas, le vieil apothicaire, est venu prêter main forte dans l'hôpital de campagne monté dans la nuit par les ThreeSix au sein de leur observatoire.

Les affrontements ont été sanglants, et la PrésiDuchesse tempère l'enthousiasme d'Helen. Les ThreeSix ont réussi à diriger la fureur des Casaques sur eux, en se montrant en ville partout à la fois, servant d'appât pour guider les troupes d'assaut vers leur observatoire déjà assailli, dans lequel la chef des Crimsons dirigeait les terroristes restés en place. Défendant à coups de mousquets et de petits canons pour empêcher les ennemis d'entrer dans leur sanctuaire.
Mais bien que peu de ThreeSix, à peine une dizaine, soient tombés au combat, grâce au génie militaire conjoint de Finnegan, spécialiste en guérilla, et à celui d'Helen, bien plus martiale dans son approche d'une défense implacable, les blessés sont nombreux. Les combats à l'observatoire ont duré presque jusqu'au matin. Repousser les Casaque a été un combat de haute lutte.

L'hôpital compte bien une cinquantaine de blessés légers, et moitié moins de blessés graves. Ce qui fait un pourcentage non négligeable sur un groupe d'un peu plus de trois cent guerriers. Et ceux qui sont blessés le sont gravement. Les balles de mousquets ne pardonnent pas. Causant des hémorragies massives, et dégâts internes dramatiques. L'odeur du sang a pris Enora à la gorge dès qu'elle et Emyl, en avance sur la réunion, sont entrés dans la pièce. Véritas et Helen leur faisant un état des dégâts rapide.
Il a fallu amputer, rapidement, de nombreux ThreeSix, et recoudre ceux qui pouvaient l'être. Beaucoup ne pourront plus être utiles à la révolution, mais avec beaucoup de chance, ils pourront garder la vie et c'est tout ce qui compte. La PrésiDuchesse tente de garder un air brave, mais elle n'a pas l'insensibilité d'Helen aux carnages de guerre.

Finnegan, qui se trouvait en première ligne, attirant la Garde à ses trousses, a eu de la chance. Une chance insolente. Au grand soulagement d'Enora.
Il a réussi à éviter les balles de mousquet, mais pas une longue estafilade le long de son épaule gauche, au niveau du deltoïde, gagnée lors d'un combat rapproché avec un Garde dans une rue de Memory Lane. Quand ses combattants sont remontés vers leur quartier général, tout en prenant les Casaques sous le feu croisé des ThreeSix en train de tenir le siège, et ceux regagnant l'observatoire.
Si sa manche droite est rouge de sang, c'est que Finnegan a vengé cet affront en plantant une dague directement sous le menton de son assaillant, dans la partie tendre de la mâchoire inférieure, perçant son palais, éteignant son cerveau du même coup.
Enora s'est d'abord sentit chanceler devant ses vêtements ainsi imbibés de sang séché, mais en voyant à quel point le Three Six menait la vie dure au pauvre Véritas qui tente vainement de le tenir en place pour achever son bandage, elle a été rassurée. Réalisant du même coup à quel point il est passé près de la mort. À quel point ils sont tous en danger...
Hillmoore, à présent, est rentrée en état de guerre civile... Inutile de le nier... L'Indépendance amènera son flot de sang s'ils n'arrivent pas à renverser la situation.

"Maître Finnegan!" L'apothicaire est en train de perdre patience, alors que Finn, Helen et Emyl discutent avec animation de la journée de la veille. "Je vous en prie! Cessez de bouger!"
"Allez rejoindre vos apothicaires, et aider les autres qui ont bien besoin de vos services, Véritas," Enora s'est avancée, sous le regard curieux du ThreeSix. "Je m'occupe de cet idiot récalcitrant."
"Oh avec plaisir, Dame Langley." Le vieil homme soupire de soulagement. "Je vous le laisse, bonne chance avec lui."

Tandis qu'Helen ricane sur son cigare la PrésiDuchesse s'assoit d'autorité sur le lit de camp à côté de Finnegan, et se met à finir de lacer le bandage avec soin.
"Où est-ce que tu as appris, mmh? Appris comment faire ça, Nora?"
Elle lui donne une petite tape sur la main alors qu'il se tortille pour la voir faire.
"Reste tranquille. Tu veux aller à la réunion, non?"
"C'est elle qui s'occupe de me faire mes pansements quand je me blesse aux entraînements," explique Emyl, regardant la scène, un sourcil levé.
"Tu es pleine de surprises, ahah, pleine de... De secrets." S'amuse le ThreeSix, sans plus bouger.
Enora dissimule un sourire sous sa concentration. L'avoir retrouvé dans cet état, bien qu'il s'en sorte mieux que certain de ses soldats, lui fait contempler la gravité de ce à qui ils s'exposent désormais. Elle est plus inquiète qu'elle ne saurait le dire.
Tout ceci est réel à présent... Elle espère simplement qu'ils pourront survivre à ce qui les attend... L'odeur de sang, de tripes, les gémissements des blessés... Ne lui donnent pas confiance.

"Les autres ne devraient pas tarder à arriver," note Helen, sortant sa montre de la poche de son manteau de cuir blanc.
"Allez à la salle de... de Réunion," indique le ThreeSix, toujours aussi sage. "Je vous y rejoint après avoir... Changé de mise. De toilette."
"Coquet, Finn?" s'amuse Enora, finissant de placer les épingles sur le dressage de sa blessure.
"Tu me préfères puant de... Sang et de cervelles, bleh..." Le ThreeSix lui montre sa manche droite, raide de fluides séchés. "Tu as des penchants étranges, bien... Particuliers, non?"
"Je te préfère en vie," répond-t-elle, le repoussant gentiment. "Mais va te laver, tu pues la mort. On dirait une vieille cocotte de l'opéra tellement ton odeur me rentre dans le nez."
"Cruelle," se défend-t-il, faussement outré.
"Réaliste," assène Emyl, sans pitié.

Finnegan appelle un de ses ThreeSix en bonne santé pour les accompagner jusqu'à la salle de réunion. Ils passent par la grande salle ronde avec le télescope brisé, dans laquelle les terroristes semblent s'être organisés pour faire état de leurs munitions, de leurs armes, et de leurs défenses.
Enora n'a pas trop idées de l'organisation de ce groupe de combattants mais il semblerait qu'un jeune homme, roux, les cheveux mi-longs, tienne le rôle de lieutenant en l'absence de leur chef. Il dirige les troupes, donne les ordres, et tient un carnet de compte.
Malgré son uniforme et son gilet ThreeSix de circonstance, il porte également une superposition de jupes relevées sur ses pantalons. Ce qui n'est pas inhabituel, à Hillmoore. Bien que d'habitude, ce soient plutôt les femmes qui choisissent de porter jupons. Nombre d'hommes, séduits par le confort, ou l'esthétique, arborent certains vêtements qui étaient dans l'ancien temps réservés à leurs contrepoints féminins. Il est plus étonnant de trouver ces atours sur un soldat, cela dit.

"C'est Yuri," explique Helen, remarquant le regard de la Présiduchesse. "Il nous a beaucoup aidé tout au long de l'assaut. Un redoutable guerrier. Comme beaucoup de ThreeSix, Finnegan l'a recruté chez les techniciens de la Haute. Il en veut une pelée à nos petits amis des corporats, on dirait. Même s'il ne s'est pas exprimé sur la raison de sa colère. Il fait partie de ceux qui visent la tête. J'aurais aimé l'avoir dans mes rangs, tiens."
Leur guide les entraîne à travers les escaliers menant aux étages de l'observatoire. Tout le bâtiment a l'air corrodé par l'usure du climat de la région, et les vapeurs de SlickStreet. La rampe de métal rouillée sous leurs doigts. Une sensation presque organique de peau vieillie qu'Enora trouve plutôt rassurante en comparaison au métal froid et lisse et au bois vernis des manoirs de la Haute.

"Yuri est fils de bureaucrate," explique leur guide. "On ne sait pas ce qui s'est passé, mais probablement quelque chose de pas joli, parce que ses deux parents ont été retrouvés avec chacun une balle dans la tête et qu'il s'est rendu de lui-même à la Garde. Finnegan l'a sauvé de la corde, et lui a appris à se battre."
"Oh..." Enora jette un regard avec Emyl, qui a un air fataliste. La violence de la Haute est bien différente de celle des quartiers bas, mais plus insidieuse, et toujours rampante. Cette société est vraiment pourrie.

"Pas de soldats chez vous?" demande Helen. "Pourtant vous semblez bien plus disciplinés que ce que j'aurais pu imaginer d'une bande de terroristes."
Leur guide laisse échapper un ricanement, mais ne prend pas la mouche.
"Quelques soldats, mais pas beaucoup. Finnegan recrute essentiellement chez tous les désillusionnés de l'Oeil. Ingénieurs, techniciens, scientifiques... C'est pour celà que nous sommes bien armés, et organisés. L'art de la guerre, on l'a appris sur le tas. Dans les livres, essentiellement."
Emyl laisse échapper un reniflement de rire face à l'air presque désappointé d'Helen. Enora se mord les lèvres. Difficile sans doute pour l'ancien Chevalier Capitaine, et sa solide expérience des combats, d'imaginer qu'une telle armée de rats de bureaux puisse concurrencer sa science militaire.

La "salle de réunion" est probablement un ancien réfectoire, placé dans les derniers étages de la structure. Une grande table de métal est posée en son centre. Divers fauteuils ont été agencés tout autour, et placés un peu partout dans les coins, tandis que des meubles de stockage chargés de dossiers, de feuillets et de plans roulés ornent tout le pourtour de la pièce.

Enora saute presque de joie en entrant. Nightingale est déjà arrivé, accompagné de Luke, et de Muse. Il se lève à leur approche, venant les saluer.
"C'est bon de te revoir, gibier de potence," une franche poignée de main échangée avec Helen, puis avec Emyl. "Princesse." Sentir ces bras solides autour d'elle donne à la PrésiDuchesse l'impression de rentrer à la maison. De se retrouver enfin parmi les siens.

"Je vous ai apporté quelque chose," annonce le Ménestrel, quand tout le monde s'est salué.
Il sort avec fierté quelques brins de gui de sa besace, et commence à les accrocher d'autorité à leur col, à l'instar de celui qu'il porte lui-même à la boutonnière.
Helen a l'air profondément amusée par ce geste.
"Un symbole de ralliement?" demande Enora, l'aidant à fixer la petite plante à son corsage.
"Les ThreeSix portent leurs numéros sur leurs gilets," explique posément le Ménestrel. "Les Crimsons, leur chemise rouge. Les Guildes arborent les signes distinctifs de leurs professions. Il n'y a rien qui nous unisse à part notre volonté de changer cette ville. Peut-être que ce gui rappellera à chacun d'entre nous que nous devons travailler à l'unisson."
"Bien pensé," note Luke, affalé dans une chaise trop petite pour sa masse, un de ses loups près de lui, l'autre en train de tourner autour de Muse, que l'on trouve en grande discussion avec Emyl.

Quand ils s'assoient autour de la table, la Ménestrelle propose au sabreur d'occuper le siège à côté d'elle. Enora, se postant avec Nightingale près du fauteuil à haut dossier trônant au bout de la table, sourit pour elle-même. Emyl tient l'Éternelle fiancée en très haute estime. Elle est même une des seules personnes à être épargnée de ses piques perpétuelles et de son sarcasme. Enora s'abstient de tout commentaire, laissant à son ami les mystères de ses affections.

"Alors," demande-t-elle plutôt. "Night. Tu as réussi à joindre les voleurs? Ils viennent aujourd'hui?"
Un rire aux accents quasi machiavéliques sort de la gorge de Luke, à qui Helen accorde un grand coup du plat de la main sur le bras.
"Toi!" Menace-t-elle. "Qu'est-ce que tu as encore fait?"
"Et pourquoi aurais-je fait quelque chose?" Luke lui accorde son fameux sourire en croissant de lune. "Ce n'est pas moi mais notre cher Nightingale qui a réussi cet exploit."
"Quand tu as l'air aussi content de toi, c'est rarement une bonne nouvelle," commente Emyl, tandis que Muse hoche la tête, l'air las.

Tandis que les autres Maîtres des Guildes les rejoignent au compte goutte dans la salle de réunion, et se dispersent autour de la table, le Ménestrel, qui a camouflé quelques cernes persistantes sous son maquillage de théâtre, leur fait un résumé de la journée de la veille.
Bon sang, pas étonnant qu'il ait l'air épuisé, se dit Enora, en écoutant le récit de ces aventures. Pas étonnant non plus l'hostilité manifeste que le Prince des Oubliés, qui accompagne encore et toujours sa mère, semble à présent nourrir à l'égard de son cousin, ni qu'il s'assoie le plus loin possible de lui.

Bientôt, leur groupe est au complet. Ne manque que Finnegan.
Enora écoute les conversations qui vont bon train, la plupart causant des dégâts des affrontements de la veille. Elle ne peut que s'émerveiller du nombre de personnes réunies autour de la table.
Les représentants de toutes les Guildes. De la fière Kristal, avec son porte cigarette, à la bourrue Drachan des métallurgistes, en passant par Joy, Chloé des Ateliers de coutures, et certains, qu'elle connaît mal. Le géant sec comme un jour sans pain de la Guildes de Bouchers du Meatshop, la femme burinée dirigant les Pêcheurs, le bonhomme jovial des la congrégation des Meuniers...
Une si grande partie de la ville, à qui Night, sans se lasser, distribue patiemment des brins de gui. Chacun, après avoir compris son symbolisme, l'attachant fièrement à sa boutonnière, à son corsage, ou même dans ses cheveux.

"Une bien belle troupe, n'est-ce pas," demande le Ménestrel, voyant son regard ravit.
"On a fait tellement de progrès," annonce-t-elle. "L'Assemblée a des soucis à se faire."
"Hélas, nous aussi," admet Helen, qui s'est servi un solide verre de vin de prune. "J'ai beau être optimiste... La Garde ne plaisante pas. Et il va devenir trop dangereux de se réunir ici. Nos futures réunions devront avoir lieu à l'hospice. Les prochaines escarmouches ne seront pas si clémentes."
"Pour l'instant," réplique Luke, "Les ThreeSix ne peuvent pas vraiment quitter l'observatoire. Et avec leur chef blessé, autant venir à lui. Pour cette fois."

La porte s'ouvre de nouveau pour laisser passer trois nouveaux arrivants. Enora les reconnaît autant qu'elle reconnaît la lueur dans l'œil de Nightingale. Ce sont les voleurs. Copper, Merv, le garçon du bout du pont, et Ghost, le fameux "colocataire" de son meilleur ami.
Ils prennent place en milieu de table, assez loin de Ash et de sa mère, sous un silence curieux, mais pas impoli.
"Voleur," salue presque aimablement Emyl, qui n'a apparemment pas oublié son serment, bien qu'accordé de mauvaise grâce.
"Garde du corps..." Réponds sobrement Ghost.
"Tu le connais?" demande son ami aux dreadlocks.
"Longue, longue et douloureuse histoire..."

"Ça va aller pour eux?" demande Enora au Ménestrel qui a envoyé un salut à Ghost.
"Ash ne fera rien, tant que Wander est avec lui," répond-t-il, d'un ton qui se veut rassurant mais que Enora interprète tout de même avec un fond d'incertitude. Le Prince des Dellmers est leur élément le plus instable à ce jour. Le seul qui ne semble pas goûter leur euphorie générale.
Helen prend sur elle de présenter chaque membre de l'assistance aux nouveaux arrivants, qui gardent un air très professionnel, malgré un soupçon d'inconfort visible. Notamment à la mention d'Enora, qui fait un petit clin d'œil à Ghost, se souvenant de leur rencontre dans son appartement. Ils ont l'air surpris qu'une héritière de PrésiDuché se tienne en cet endroit.

L'arrivée de Finnegan, qui s'est largement fait attendre, est inutilement grandiloquente. Il repousse largement la porte à deux battants de la salle, saluant l'assistance à la cantonade.
"Vous m'attendiez? Quelle charmante... charmante attention..."
"On t'attendait peut-être parce qu'on est chez toi, génie," lâche Emyl, Muse déguisant un petit rire derrière sa main.
"Oh mais qui voilà... qui... les petits voleurs!" Sans porter attention au sabreur, il danse presque vers eux, joyeux. "Bienvenue, bienvenue, les chapardeurs," il s'accoude à leurs sièges, entre Ghost et Copper, qui l'observent avec précaution, sur la défensive. "C'est toi, n'est-ce pas..." Finnegan approche son visage de celui du voleur, qui a le réflexe de porter la main à sa ceinture. Probablement pour y chercher une arme.
"Moi, quoi?" demande-t-il quand même, l'air prêt de lui sauter à la gorge.
"Qui est allé fouiller, mmh... chercher. Prendre dans ma poche? Le carnet."
"Tu n'as qu'à faire attention à tes arrières," réplique Ghost, sans ciller.

La salle retient son souffle, ne sachant pas comment tout cela va se finir. Des nouveaux venus, des divergences, de la tension... Pas nécessairement un bon cocktail pour débuter une telle réunion.
Mais le ThreeSix se contente d'éclater de rire et de taper sur l'épaule du voleur, comme si c'était la meilleure blague qu'il avait jamais entendue.
"Et c'est toi qu'on doit remercier, pas vrai?"
Finnegan lève un sourcil vers Copper.
"Parce que?"
"J'aurais voulu coller cette balle dans la sale gueule de ce fils de chienne de Candyman moi-même. Mais tu as bien fait. Je t'aime bien."


Le ThreeSix laisse passer une seconde, incrédule. Puis il laisse échapper un petit raclement de gorge, presque un sanglot moqueur, avant de se redresser, et de partir rejoindre son fauteuil trônant en bout de table.
Enora sait qu'il n'est pas nécessairement fier de son meurtre... Se faire féliciter d'une telle manière pour un acte aussi sanglant doit déclencher en lui des réactions particulièrement contraires.
Mais elle ne peut retenir un sourire quand, arrivant près d'elle, il lui lance un baiser du bout des doigts. Idiot sentimental. Et elle n'est guère mieux...

Tout le monde étant arrivé, la réunion peut commencer.
Helen, toujours la stratège, expose longuement leur situation. Les pertes de la veille, les forces armées qu'ils ont pu dénombrer chez la Garde, etc...
Long résumé essentiel mais profondément ennuyeux, qui rappelle à la PrésiDuchesse ses cours de politique pris lors de son adolescence, quand elle était encore destinée à hériter du PrésiDuché.
Elle s'efforce de rester concentrée, mais envie quelque peu Nightingale, qui dodeline de la tête près d'elle, s'endormant petit à petit du sommeil du juste.

Finnegan insiste pour organiser des funérailles à ses ThreeSix tombés au combat, avec l'accord général. Wander offrant même de réciter quelques prières anciennes pour eux. Une attention délicate.
Mais le point essentiel de leur réunion est la reconnaissance de l'existence de la Révolution par le peuple. Ce qui pourrait enfin leur accorder des avantages énormes, dont le fait de donner raison aux rumeurs qui courent depuis Basse-Terre ces dernières semaines, sans compter le fait de faire souffler un vent d'espoir aux citoyens de la ville, voire du Pays en rempart aux violences de la Garde. Mais ces révélations ont également des contrepoints non négligeables.
Chasses à l'homme, arrestations sommaires, répressions en tout genre. Cela a déjà commencé, mais à l'approche de l'Indépendance, si la Révulsion s'annonce, cela ne fera que s'intensifier.
Chacun a son avis à donner sur la situation, et sur la direction que prennent les choses. Certains souhaitent attendre l'Indépendance pour se dévoiler, d'autres désirent au contraire hâter la chose pour laisser le temps à l'idée d'infuser dans la population.
C'est l'intervention d'Enora qui tranche.

Elle fait valoir que le tricentenaire de l'Indépendance se tiendra dans deux semaines. Les dignitaires étrangers arrivent en masse. La Haute sera de plus en plus occupée avec eux, et quoi qu'il arrive, la répression ne diminuera pas. S'ils annoncent discrètement au peuple leur existence, grâce à des chansons, en passant par des informateurs des Guildes, en faisant ronfler les bruits de couloir, la Haute n'aura pas d'ennemis directs. Cela vaudra mieux qu'une annonce en fanfare, et lancera les Casaques occupés par Finnegan sur des pistes fantômes. Tout le monde s'en retrouve gagnant.
Sa proposition, après avoir été étudiée quelques secondes, est acceptée à la grande majorité. Helen lui accordant un hochement de chapeau satisfait.

La conversation continue sur le sujet du gala de l'Indépendance, qui devra leur servir de distraction, donnant l'impression que l'action d'éclat de la Révolution a eu lieu à ce moment-là alors que leur vrai but est la paralysie totale de High City. Mais cette soirée aura également pour mission de dévoiler la vérité au peuple de la ville sur les manigances de l'Assemblée.
Enora, qui tente de se concentrer, est distraite par Finn, qui se penche vers elle d'une manière nonchalante.

"Joli coup, Nora," dit-il tout bas. "Joli, oui. Fine politicienne."
"Je suis née première fille. Cela a tout de même des avantages d'éducation..."
Elle joue avec les replis de sa chemise, un peu distraite par cette présence tout près d'elle. Le ThreeSix l'observant avec attention sous ses paupières charbonneuses.
"Pourquoi est-ce que tu t'intéresses autant à moi, Finn?" demande-t-elle, délaissant quelques instants les détails du spectacle, patiemment exposés par Muse. Elle ne sait pas si l'attention sans limite que lui porte le terroriste a à voir avec sa naissance, ou bien si leur fascination, qu'elle ne peut plus franchement renier à ce stade, est mutuelle, basée sur autre chose qu'une attirance crasse de classes trop distantes qui s'acoquinent pour taquiner l'inconnu.

"Oh, tu me plais, Nora," annonce-t-il simplement, plantant son regard dans le sien. "Tu me... Plais. Beaucoup."
Elle serre sa chemise. Sait à la chaleur dans son col qu'elle est en train de rougir. Autant pour les années passées à perfectionner son masque de froideur...
"Tu as ton propre esprit, ta propre... Intelligence. Tu sais..." Continue-t-il, la fixant sans retenue. "Tu as su voir. Au-delà de... Toi. De ta condition. Tu es vraie."
Touchée par ce compliment, elle ne peut s'empêcher de secouer la tête.
"Tout le monde ici est dans le même cas."
"Personne ici..." Il a un petit rire. "Oh, certains ThreeSix, peut-être. Mais. Personne ici... N'abandonne ses privilèges. Pas comme toi. Tu descends de ta tour jusque dans la fange. Dans la boue. Avec nous... avec... Le peuple. Tu es différente."

Ces louanges sont douces. Mais elle ne sait pas si elle les mérite.
"Ne crois pas que cela soit totalement désintéressé," avoue-t-elle. "J'ai tout à gagner à acheter ma liberté. Je ne suis pas une nonne."
Finn a un petit raclement de gorge moqueur.
"Les nonnes sont des... les religieux. Des raclures. Tu vaux mieux, oui. Bien mieux. Et la liberté... Oh tu sais. Cela se paie cher. La mienne... Cela se paie."
Elle sait à quoi il fait allusion. Et pose sa main sur la sienne.
"Nous pourrons partager nos misères, dans ce cas. Si on s'en sort. Les partager la tête haute."
Il lève un sourcil ravi, et lui fait un baise main sous le regard endormi, mais complice de Night. Qu'elle défie de dire quoi que ce soit.
Il lève les mains, faussement innocent.

Les conversations autour de la table commencent à s'échauffer.
Luke et Nightingale veulent frapper un grand coup lors de l'Indépendance. La présence de gens de l'étranger aidera à discréditer le gouvernement publiquement, et même aux yeux de ses alliés. Mais pour parfaire leurs plans, ils ont besoin des Oubliés. Wander et Luke sont lancés dans d'âpres négociations avec les Guildes et Ash pour arbitres.
"Je comprends bien que vous vouliez l'aval de la ville," intervient Copper, qui jusque-là ne s'est pas prononcé. "Mais est-ce qu'on ne parle pas de totalement manipuler la population à la cause de la Révolution, avec des coups pareils?"
Enora se rappelle que les voleurs ne sont pas encore officiellement des alliés, bien que Copper soit gagnée à leur cause. Ils ne sont officiellement ici qu'en observateurs.

"Si c'est une manipulation que de dire la vérité, chapardeuse," place Luke avec nonchalance, "alors si, complètement."
"La vérité est une question de point de vue," assène Merv, tapant sur la table du bout des doigts. "La vérité de la Révolution n'est pas non plus un avis général."
"De l'avis général," défend Joy, sarcastique, "la vérité de la Haute ne joue pas en notre faveur. C'est toi qui choisis, mais je suis pas du genre à me laisser faire sans rien dire."
Nightingale semble lutter pour ne pas se frapper la tête sur la table, remarque Enora, posant une main qu'elle espère encourageante sur le genou de son ami.
Les voleurs ont l'air d'avoir encore de la rancoeur envers Luke. Vu ce que le Ménestrel leur a raconté, elle comprend pourquoi.

"Je vous propose," Finn laisse traîner sa voix dans la salle. "Vous suggère... D'aller faire un tour, oui. À l'infirmerie, en bas, voir... Les lits. Les blessés. Imaginez. Imaginez ça... Sur les gens. Dehors. Imaginez."
"Il n'y a que le point de vue de l'État qui soit mauvais," annonce Helen, sous son chapeau.
"Et je passe les détails sur ce qu'ils sont en train de faire des Guildes," place Kristal, avec l'assentiment de ses collègues. "Vous êtes tranquilles parce que vous êtes une organisation non officielle, mais pour nous autres, avec pignon sur rue..."
"Ils nous saignent à blanc," renchérit Chloée.
"Alors oui, on va prévenir le peuple, bien sûr. Ils ont le droit de savoir!" Le Maître des bouchers.
"C'est pas comme s'ils aimaient l'État de toute façon," ricane Joy.

Face à ce petit concert relativement convaincant, les voleurs se regardent.
Cela doit être difficile pour eux, de se retrouver tout d'un coup plongé dans un tel bain, loin de leurs cachettes tranquilles.
"J'ai quand même une question..."
Copper se lève de sa chaise, posant ses mains sur la table.
Bon sang, qu'est-ce qu'elle est jeune, remarque Enora. Plus jeune qu'elle. Et pourtant, la voilà à la tête d'une organisation criminelle que l'Assemblée rêverait de faire balancer autour d'une corde.
"Vous avez ici plein de personnages hauts en couleurs," elle regarde avec attention la galerie chamarrée qui constitue l'assistance. "Alors.. Dans vos chansons, pour le peuple. Votre héros Révolutionnaire. Vous avez choisi d'en faire un voleur. Alors que vous ne manquez pas de visages à lui donner. Pourquoi? Pourquoi nous?"

Toute l'assistance se tourne vers Nightingale comme un seul homme.
Copper lève un sourcil, alors que Ghost se cache mine de rien derrière ses cheveux dépareillés. Adorable.
"Aucun de nous n'a ce genre de prestance ni d'aura de mystère," explique le Ménestrel, sans ciller.
Enora doit lui reconnaître un certain aplomb. Il est très fort. Et d'une mauvaise foi proverbiale.
"Tu te fous de moi?"
Copper le regarde avec une sorte de commisération énervée. Étrange mélange. Étrange personne. La PrésiDuchesse l'apprécie. Avec un tel caractère elle aurait fait une excellente directrice de corporat.
"Si j'avais le genre de... talents, de don," glisse Finnegan à son oreille. "Comme le Ménestrel. Moi aussi. Je t'aurais fait des chansons. Des ballades."
Elle lui donne une pichenette sur la joue en le traitant d'idiot. Et ça le fait rire.
Alors qu'elle se sent encore rougir. Corps traître.
Elle n'a pas manqué de galants dans sa vie. Mais ces attentions sincères, bien que parfois particulièrement peu subtiles, sont loin des jeux de pouvoirs déguisés de la Haute. Elle n'a pas les moyens d'y résister.

"Parlant de voleurs," intervient Helen, distrayant la conversation. "Maintenant que vous savez que les enfants sont entre de bonnes mains, nous attendons un retour de votre part. Les informations liées à la Haute. C'est d'une importance capitale. La balle est dans votre camp."
Kristal profite de ce moment d'incertitude de la part des voleurs pour intervenir. Ses courtisans sont allés enquêter auprès de leurs riches clients. Elle fixe Enora en dévoilant qu'Hexel est un client régulier des maisons rouges depuis son arrivée. Et qu'il traîne derrière lui une réputation sulfureuse. Il n'est pas net.
La PrésiDuchesse carre la mâchoire.
Et dire qu'elle se retrouve jeté devant cet homme à cause du désir de son Oncle de l'envoyer loin d'Hillmoore... De son Oncle. Et de Tally.

"Je veux savoir à quoi serviront ces informations avant de vous les donner," annonce Copper en se rasseyant. "Nous en avions besoin pour monter notre corporat et offrir un toît aux petits, mais maintenant..."
"Les petits ont un toit," assure Wander. "Ne te mêle pas à la Haute. C'est une société que tu ne peux que regretter de fréquenter."
La chef des voleurs secoue la tête. La pauvre...
Enora sait qu'elle a vu tous ses plans s'écrouler. À cause d'eux. Cela ne doit pas être facile pour elle de se tenir ici.

"J'accepte de vous les donner," annonce-t-elle finalement. "Si vous acceptez de m'aider à convaincre ma Guilde de rejoindre la Révolution. C'est votre truc, non? De gagner les gens à vos idées?"
"Tu ne peux pas le faire seule?" se moque Ash, vite tempéré par sa mère.
"La Guilde est une démocratie," défend Ghost, qui a décidément bien le Prince dans le museau. "Les décisions ne sont votées qu'à l'unanimité."
"Vous avez fait exploser le Matin Pourpre et nous avez volé tout ce pour quoi on bosse depuis presque dix ans," lâche Merv, le visage fermé. "Ils vont pas être d'accord tout de suite. Il va falloir leur faire avaler qu'on abandonne tout pour aller se joindre aux ThreeSix, par exemple."
"Les Dix Premiers Maîtres," continue Copper, "j'en fais mon affaire. Mais les autres... Eh. Ils sont têtus."

"Les Ménestrels..." Offre Muse, songeuse. "On peut se charger de ça, non?"
"Peut-être," consent Nightingale. "Au bon endroit. Avec suffisamment de voleurs dans le public. Les bonnes chansons..." Il a l'air de déjà réfléchir à comment organiser ce coup là.
"Il est vital que vous nous rejoigniez, il n'y a pas grand chose d'autre que vous puissiez faire." Enora s'est redressée sur sa chaise. "Les corporats ne sont pas une solution pour vous, quoi qu'il arrive. Le système s'est effondré sur lui-même depuis longtemps. Même avec les bons contacts, vous n'auriez pas réussi à réaliser votre entreprise."
Finn a un murmure d'assentiment.
"Menteurs, tricheurs, pourris, oui. Ils vous auraient dévoré, mangé. Prit votre argent pour.. Pour s'enrichir. Vous étiez condamnés d'avance."
"Nous ne sommes pas des gamins sans défense," se défend Copper. "PrésiDuchesse, bureaucrate. Vous pensez mieux savoir que tout le monde? Vous pensez que notre plan était mal préparé?"
"C'est notre monde," réplique Enora. "Je suis née pour y régner, je le connais mieux que personne. Tu n'aurais pas pu y entrer. S'il y a un siècle il était encore théoriquement possible de s'acheter une naissance, et de s'élever jusqu'à l'Oeil, ce temps est révolu."
"L'assemblée," continue Finnegan, "L'Assemblée... Maintient l'illusion. Tient les pauvres. Ils pensent qu'en travaillant, en suant, c'est possible de s'élever. Je t'assure que... que non. Je tenais les comptes. Bureaucrate, oui. Je sais ce que je dis. Vous étiez condamnés, voleurs. Condamnés."

Copper et ses deux amis les regardent sans rien dire. Un air de défaite s'enfonçant profondément dans leurs traits.
"Merde..." Lâche la chef des voleurs, se reculant sur sa chaise. Dégoûtée. Enora la comprend.
"Nous vous aiderons à convaincre ta Guilde," annonce tout de même Nightingale avec douceur, soucieux de faire passer cette pilule bien amère.
"Merci," répond Ghost, tapotant sur l'épaule de Copper.
Le Ménestrel incline la tête.

Helen, semblant décider que l'affaire est close, enchaîne sur la suite de la réunion, imperturbable.
Il est à présent question de la production d'armes. De leurs distributions entre les différentes factions de la Révolution, et parmi le peuple. Enora jette un oeil vers Night, qui tique un peu à ce sujet.
Certains membres des Guildes, qui sont d'accord avec lui, ont peur que cela ne mette de l'huile sur le feu des violences et de la guerre civile. Tandis que d'autres, comme Drachan, qui admet avoir commencé à délocaliser toute sa production à l'hospice depuis les attaques de la veille, jugent de l'avantage défensif de cette décision.
Les rafles ont recommencé. Chez les pauvres surtout. Tout Basse-Terre est touché. Les Pêcheurs et Bouchers admettent que nombre d'entre eux ont vu des proches disparaître. Ils craignent pour leurs vies. Pour leurs familles.
Nightingale semble admettre avec difficulté que ces précautions, qui sont surtout là pour donner aux citoyens une sensation de sécurité, sont en passe de devenir essentielles. Cela semble lui déchirer le cœur.

Wander rappelle également que les Oubliés aussi manquent. Par dizaines. Elle demande à la Révolution ce qu'ils comptent faire à ce propos. Le débat est houleux, Enora ne se sent pas d'intervenir.
Le nom d'Alcestia est prononcé plusieurs fois, et à chaque mention de la Chevalier Capitaine, Helen semble fulminer de plus en plus. Levée de sa chaise, elle marche en tous sens, faisant claquer ses talons ferrés, marquant le glas de sa frustration à chacun de ses pas sur le maillage de métal.
Elle se doute qu'Alcestia est responsable de ces rafles. Et a alloué nombre de ses Crimsons à la surveillance de la Garde pour savoir où ces prisonniers étaient conduits après avoir été amenés dans les geôles de la Garde. Mais sans succès.
Copper propose d'enquêter de son côté. Peut-être que les voleurs auront plus de succès. Ash a l'air dubitatif.

"Alcestia," intervient Enora, ne sachant pas si cette anecdote est pertinente, "se montre de plus en plus dans la Haute. Dans les galas. Les spectacles. Depuis que la mise au vote de son titre de Maréchal de la Garde a été annoncée."
La tablée a les yeux fixés sur elle, mais la PrésiDuchesse s'adresse essentiellement à Helen, dont les iris de glace brillent à travers la fumée de son cigare.
"Je l'ai croisée à l'opéra dernièrement," continue-t-elle, "mais pas seulement. Il y a quelques jours, avant le Matin Pourpre, elle s'est montrée à un repas organisé par Lady Werbert. Une puissante PrésiDuchesse. Elle est arrivée en armure. Couverte de... J'espère que ce n'était pas du sang. Elle remontait des geôles, d'après ce que j'ai compris. Elle était ivre. Faisait peur aux convives."
Finn a un rire incrédule qu'elle ignore.
"Alcestia a pris à boire et à manger sur le buffet, a insulté quelques convives, les a traité d'hypocrites, de menteurs. Puis elle est partie s'enfermer dans un salon avec des courtisans."
"Oh, oui..." Kristal tire sur son fume-cigarette. "On m'a rapporté cette histoire. C'est une brute."

"Et c'est avec cette attitude qu'elle espère être élue?" Nightingale a un air dégoûté. Enora ne peut pas lui en vouloir.
"Salope," remarque Joy avec sobriété.
"Qu'est-ce qu'elle risque?" La PrésiDuchesse soupire. "Elle est efficace. Violente. Fait régner la terreur. Les bruits qui courent à son sujet sont assez démentiels... Mais elle a curieusement l'air de s'être assagie ces derniers temps. En tout cas, en présence de la haute. À l'opéra son attitude était... Presque civile. Et elle portait une robe verte. Du vert du blason Langley. Elle se croit déjà gagnante. Je crains fort qu'elle ne désire séduire ma famille."
"Elle peut réussir," continue Emyl, jouant avec la poignée de son sabre. "Les PrésiDuchés lui passent déjà tout, et les autres concurrents en lice sont des chiffes à côté d'elle. Elle est un résidu répugnant de la violence et de la pourrissure de la Haute."
"Merde!"

Les têtes se tournent vers Helen, qui a de rage, donné un coup de pied ferré dans une des grandes étagères de métal, la faisant dangereusement chanceler et éparpillant les papiers.
"Pas le matériel, Samson," prévit Finn, en baillant presque.
"Ta gueule."
Elle va se servir un autre verre de vin, traversant la pièce à grandes enjambées, et vidant sa boisson d'un trait.

La PrésiDuchesse glisse un regard vers Night, ne comprenant pas la raison de cet emportement. Mais le Ménestrel se contente de regarder leur amie d'un air désolé, secouant tristement la tête.
Qu'est-ce qu'il sait qu'Enora ne sait pas?

"La Guilde," Copper ramène l'attention sur elle, Helen continuant de ruminer dans son verre, "A des celliers bien remplis. Les glacières sont pleines depuis BloomFall. Nous pouvons en distribuer une partie à ceux qui souffrent des violences d'hier. Et puis... Nous avions un plan qui pourrait mettre la Haute à genoux pour longtemps."
"On ne devrait pas attendre le vote avant de leur parler de ça?" demande Merv, précautionneux.
"Mmh, sans doute..."

D'autres membres de Guildes proposent ensuite de faire des dons au nom de la Révolution pour les victimes de la veille. Chloée offre également de prendre plus d'apprentis afin d'au moins donner un toît aux plus jeunes.
Les autres approuvent. Cela sera difficile, l'économie n'étant pas au beau fixe, mais ils se concertent pour savoir dans quelle mesure il leur serait possible de faire un geste pour la ville.
Enora comprend à quel point l'argent des Guildes, et leurs taxes, ont augmenté ces derniers temps. On leur a tous dit qu'il s'agissait d'un effort national, pour participer à l'Indépendance, pour faire briller le pays. La PrésiDuchesse n'y croit pas.
Elle sait que les PrésiDuchés dégueulent de ducats à ne plus savoir quoi en faire, ils pourraient en paver toutes les rues de High City sans pour autant trop rogner sur leurs fortunes. Il y a autre chose...

Finnegan, las de ces discussions, se lève brusquement, tanguant vers Helen. La contrebandière, accoudée contre une étagère, derrière son cigare, le regarde arriver sur elle d'un air peu amène.
"Qu'est-ce que c'est que ton... ton problème, ta... petite scène, hein, Samson? Quoi. C'est la Garde? Tu es déçue de ne plus... De ne plus être là-bas."
"Tu n'as aucune idée de ce que tu dis, Blake," lâche-t-elle d'un ton tellement froid que l'assistance entière se retourne vers elle.
Elle grogne.

"Tu es si... Impliquée... Samson. Tu nous caches quelque... Quelque chose?"
Helen le regarde, lui soufflant la fumée de son cigare au visage, dans un silence de mort.
"Tu devrais leur dire, Helen."
Nightingale s'est redressé.
"Il vaut mieux qu'ils l'apprennent maintenant," continue-t-il. "D'habitude je suis pour le fait de conserver nos vies privées telles qu'elles devraient le rester. Privées. Mais ce genre d'information peut te faire du tort."
"Quel genre d'information?" Copper a plissé des yeux suspicieux.

"Bon sang... Night." La contrebandière secoue la tête.
"Quoi, tu peux me jurer que ton passé ne viendra pas interférer? Que dans un combat, il n'y aura pas de conséquences?" Le Ménestrel a l'air désolé pour son ami, mais déterminé.
"Oh, et puis merde..."
Helen souffle une grosse bordée de fumée.
"Je me sens responsable," annonce-t-elle, le visage dur. "Et j'ai toutes les raisons de l'être. C'est moi qui ait élevé Alcestia."

Le silence est tellement épais qu'on pourrait le trancher d'un coup de couteau.
Même Finnegan a l'air surpris.
"On me l'a emmené quand j'étais GardeMestre," continue-t-elle, redressant son chapeau. "Une gosse sortie d'une nurserie plutôt pas dégueulasse. En Demi-Terre. Qui avait montré suffisamment d'intelligence, et que la ville voulait faire rentrer à son service comme écuyer."
"Alors ça," commente Luke, le menton posé sur sa paume. "Pour une nouvelle..."
"C'est toi qui a créé ce monstre?" S'insurge presque Wander.
"Félicitations," Finnegan lui donne une petite claque sur l'épaule. "Sacré boulot Samson, sacré..."
"Silence!" Claque la voix de la Chevalier Capitaine, lui décochant un petit coup du tranchant de la main directement sur sa blessure fraîche. Il s'écarte, en gémissant de surprise plus que de douleur.

"Helen..." Enora ne veut pas la juger trop vite. "Qu'est-ce qui s'est passé?"
"La gosse n'était pas comme ça au départ." Helen s'avance vers la table. Son maintien est impeccable, mais sa mâchoire tremble légèrement. "J'ai soupçonné une ascendance noble, vu l'endroit d'où elle est arrivée. Peut-être une bâtarde de la Haute. Mais non. Sur ses papiers officiels, rien, même pas un nom de famille. Mais on me l'a quand même collée dans les pattes. Avec une prime pour sa formation, et en me signifiant bien que si je tenais à mon poste, je n'avait pas le droit de refuser."
Elle renifle, en colère.
"La môme était exceptionnellement douée, c'était vrai. Mais pas seulement. Elle avait un caractère facile. S'entendait bien avec les autres. Avait des amis chez les enfants des gens de cuisine de la caserne, bref... Une gamine normale. Avec un don pour les armes."

"Comment est-ce qu'elle a pu devenir comme ça?" demande Muse, qui a l'air pleine de compassion.
"Et comment tu as pu nous cacher ça," renchérit Emyl, qui a l'air profondément vexé. "Night était au courant."
"Désolée," consent la contrebandière.
"Tu vois toujours en elle l'enfant qu'elle a été?" Enora a besoin d'exprimer tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il vaut mieux que ce soit elle plutôt que Ash. Ou Copper. "Tu voudrais la retrouver?"

Helen laisse échapper un rire sans joie.
"Je n'ai aucune foutue idée de comment elle a fini par ressembler au monstre qu'elle semble être devenue. Tout se passait bien, elle était un bon écuyer, j'avais mon poste de Chevalier Capitaine, elle se destinait à être mon second, et moi à gravir les échelons jusqu'à devenir Maréchale de la Garde. Puis, un jour, sans que rien ne le laisse pressentir, on m'a muté sur le front sud. Pour aller mater les escarmouches à Atelagne. On m'a écarté."
"Manigance... politique?" veut savoir Finnegan, qui s'est rassit, vexé.
"Probable. Mais je n'en ai pas la certitude. J'étais trop coulante, peut-être. Je n'avais pas de problèmes avec le peuple. Qui sait. Peut-être que ça a été ma perte. Mais enfin... Quand je suis revenue, dégoûtée de Sulver, de plus de cinq ans de campagne à la frontière, j'ai retrouvé Alcestia au poste de Brigadière. Ce n'était plus la même personne. Elle avait gravi les échelons. Et était plus ou moins la furie sans cœur qu'on connaît aujourd'hui. Quand j'ai essayé de la faire revenir à de meilleurs sentiments... Disons que ça ne s'est pas bien passé. C'est ce qui a fini de me décider à faire de la contrebande et à tourner le dos à l'Assemblée. Il fallait armer le peuple. Contre des gens comme elle. Mais oui, tout ce qu'elle sait aujourd'hui... C'est moi qui lui ai appris. Allez-y, faites-moi un procès. Ça ne changera pas grand chose."

Quelques secondes passent, pendant lesquelles l'assistance se regarde, dans l'expectative.
"Peux-tu nous assurer," Wander se décide finalement, "Que si nous en venons à l'affronter, elle sera traitée comme notre ennemie. Et pas comme ce qui est, essentiellement, ta fille adoptive?"
"Tu veux dire que la Chevalier Capitaine aurait un coeur?" Ash a l'air dégoûté. "Si elle la trouve, elle l'abattra comme un chien. Pas vrai, Samson?"
"Un procès," déclare Helen, imperturbable pour qui ne la connaîtrait pas. "À moins d'un affrontement direct où nos vies seraient en jeu, auquel cas il faudra décider sur le champ de bataille qui d'entre nous survivrais. Mais nous avons déjà statué ne pas être des assassins. C'est fini les tueries sans discernement. N'est-ce pas?"
Elle penche son chapeau vers Finn, qui lui renvoie un sourire.
"Elle aura droit à un procès en même temps que tous les gens de la Haute," assure Nightingale, apaisant la situation. "Pas plus, pas moins."
"Exactement," approuve Helen. "Bien, maintenant que nous avons fini d'aller exhumer mes culottes sales, est-ce qu'on peut se repencher sur ce qui est vraiment important? Par exemple... Les étapes nécessaires à la prise de High City?"

Les discussions reprennent.
Enora, qui n'est pas une spécialiste de la guerre, compte plus sur Emyl pour cette partie de la réunion. Mais elle ne peut s'empêcher d'avoir de la peine pour son amie.
Depuis combien de temps garde-t-elle cette plaie en elle? Dix ans? Douze? La connaissant, se dit la PrésiDuchesse, elle doit se sentir responsable pour chacun des meurtres et des atrocités perpétrées par son ancienne élève.

Helen a du coeur. Night, Emyl, et elle lui doivent la vie. Elle est entièrement dédiée aux siens. À la Révolution. Et le fait qu'elle ne parle pas de ce passé est un indice assez révélateur d'à quel point cela doit la ronger.
Il n'y avait que Night qui savait... Est-ce qu'ils en ont parlé durant ces quatre ans seuls en Basse-Fosse. Probablement.
Elle regarde Night. Qui lui non plus n'est pas un soldat, et lutte contre le sommeil sur son fauteuil. Les yeux fixés sur son voleur...
Elle sourit. Si son ami à une chance de trouver l'amour d'une quelconque manière au milieu de l'absurdité de cette guerre civile, elle est heureuse pour lui.

Plus personne ne fait attention à elle. Même pas Finnegan qui est penché sur un plan de High City avec Copper, Emyl et Wander.
La salle est divisée en deux parties. Les militaires, qui sont en train dévoquer quelque chose concernant les prisons d'Hillmoore, et les autres. Qui se passent les derniers potins des rues de la ville.
N'étant ni un soldat, et ne se sentant pas légitime à s'intégrer dans une conversation avec les gens d'en bas, elle décide de tromper sa solitude en allant explorer.
Emyl la regarde partir, inquiète, mais elle lui fait signe que tout va bien.

Elle est curieuse de l'observatoire.
Cet océan de métal gigantesque, respirant au rythme des machines qui en parcourent la structure, comme les veines d'un géant d'acier.
Elle s'accoude à la balustrade de la mezzanine faisant tout le tour de l'étage, plongeant son regard vers le télescope en contrebas. Des ThreeSix partout. Qui se pressent, portant des armes, du matériel médical, de la nourriture. Qui la croisent sans faire attention à elle alors qu'elle parcourt la bâtisse.
Personne ne la regarde, ni ne lui parle. Ce qui lui convient parfaitement. Cette sensation d'anonymat est agréable. Beaucoup des terroristes sont aussi tatoués qu'elle, beaucoup viennent de la Haute, mais pourtant ils se traitent en égaux. Les enfants de rien comme les héritiers...
Cela la laisse rêveuse.
Elle traverse des dortoirs, vides. Des salles à manger, où certains lisent, d'autres se disputent en jouant aux cartes. Toute une société qui lui était jusque-là interdite, et qu'elle ne se lasse pas d'observer.

La PrésiDuchesse se rend compte qu'elle s'est quelque peu perdue, montant trop haut dans les étages, quand elle se retrouve face à une endroit qu'elle est surprise de reconnaître.
La mezzanine menant à la porte de la chambre de Finn.
Ses pas l'ont menés là. Par hasard?
Elle hésite, avant d'avancer.

Devant le hublot de la porte, elle se hisse sur la pointe des pieds. N'apercevant que le bureau dans lequel ils ont cru avoir pris au piège le terroriste. Elle a un petit sourire en y repensant. Ils ont été imprudents, mais n'avaient aucun moyen de se rendre compte de l'intelligence de Finnegan.
Finnegan...
Elle jette un coup d'oeil derrière elle. Personne. Après tout... Qu'est-ce qu'elle risque?

Poussant la porte légèrement, elle s'engouffre dans cette chambre qu'elle n'avait guère eu le temps d'observer la première fois.
Elle est curieuse. Et voudrait comprendre comment vit un ancien bureaucrate de haut rang, probablement habitué aux petits manoirs confortables de l'Oeil.

La pièce est... À l'image de l'esprit de Finn. Surprenant. Désordonnée.
À gauche, un cabinet de toilette. Une vasque, un baquet, quelques produits dans des bouteilles, des rasoirs. Elle s'arrête quelques secondes pour sentir le parfum du savon. Une odeur de propre. Fraîche. Légèrement florale.
Ce n'est pas un objet de gens du commun. Rien que ce pain de savon doit valoir un bon mois de salaire d'un ouvrier de Demi-Terre. Elle laisse échapper un petit rire. Les habitudes ont la vie dure. Mais il est rassurant de voir que le ThreeSix reste frivole sous ses dehors de gangster mal dégrossi...
Quoique... Face au miroir pendu sur le mur, et la tablette sur laquelle sont déposés plusieurs fards, du charbon, peignes et autres accessoires de toilette. Il n'a jamais semblé négligé. Au contraire..
Elle même étant coquette à l'extrême, elle ne peut lui jeter la pierre.

Le bureau, en face de la porte, est un fatras de papiers, de livres en tous sens. Sur le mur de métal contre lequel il est posé, s'étalent des dessins. Les siens?
Elle s'en approche. Il semblerait que ces portraits soient réalisés de la main même de Finn, en effet.
Des dessins, soigneusement annotés. Des visages surtout. De bonne facture. Tous accompagnés de remarques, griffonnées en tous sens. Elle reconnaît avec intérêt Helen. "Le soldat. Attention. Bonnes armes." Quelques faciès de nobles. Accompagnée d'insultes et de remarques sur leurs places dans la Haute. Nightingale. "Poète. Complètement fou. Idéaliste" Puis, rajouté plus tard au crayon. "Ami? Nous verrons." Elle pouffe.
Enora passe quelques minutes à regarder ces ébauches, fascinée par cette descente dans l'esprit du ThreeSix. Un peu déçue de ne pas trouver ses propres traits sur le mur.
À raison.

Son portrait est accroché au-dessus du lit. Enfin, plutôt, du large matelas posé à même le sol grillagé, à droite de la porte.
Son cœur bat plus fort. Elle s'avance.
Aucune annotation, aucun gribouillage à peine intelligible. Juste son visage. Saisissant de ressemblance, pendu par une épingle au-dessus de la table de nuit, dans la rouille du mur.
Elle s'en détache après quelques secondes, essayant de retrouver contenance, cette découverte l'ayant profondément émue.

À côté du lit, contre le mur, une penderie, et des mannequins. Ces derniers soutenant une impressionnante collection de costumes et de postiches.
Elle l'admire, notant la diversité des vêtements, de leurs fabrications et de leurs origines. Avec ça, Finnegan a de quoi se faufiler de manière invisible dans toute la ville... Est-ce que c'est de cette manière qu'il recrute ses ThreeSix? En allant porter sa philosophie depuis la Haute jusqu'à Basse-Terre, camouflé derrière ses divers alias?

N'ayant pas de réponse à ses questions, elle se tourne vers les étagères, en face du lit.
En métal érodé, lourdes, soudées d'une manière relativement barbare, elles accueillent un amoncellement de livres, dans plusieurs langues différentes, nombre d'objets, de bibelots... Un petit animal en peluche attire son attention.
On dirait une sorte de chat bleu. Mité. Qui a visiblement appartenu à quelqu'un. Elle s'en approche, retenant sa respiration. Sur le ventre du vieux jouet, est posé un petit portrait. Elle porte une main à sa bouche. Un garçon.
Il a les yeux de son père... Reconnaît-elle, appuyant sa paume contre ses lèvres, ne désirant pas pleurer.
Devant la peluche, une petite boîte. Pour se distraire des larmes qui lui montent aux yeux, elle la prend sans réfléchir, et l'ouvre.
Deux bracelets d'argent. Un somptueux, orné de pierres semi-précieuses. Et un autre plus simple, trois joncs tournées ensemble... Serait-ce...

"Curieuse, Nora?"
Elle sursaute, lâchant la boîte, portant la main à son couteau dans sa poche par réflexe. Les bracelets tombent au sol dans un tintement de métal.
Finn est tellement proche de son visage. Il la regarde avec un sourcil levé, et un petit sourire...
"Bon sang..." Elle porte sa main à son cœur, qui palpite trop fort. "Tu m'as fait peur."
"Je vois ça, je vois..."

Avec précaution, il se baisse, rassemblant les deux bracelets, les reposant dans leur boîte. Qu'il lui tend ensuite pour qu'elle les observe.
"C'était à nous," explique-t-il. "Ma femme. Moi. Avant. Je les ai gardés. Je ne sais pas... pas pourquoi."
Il hausse les épaules, reposant les objets en place devant le chat bleu. Ses doigts s'attardant sur le portrait.
"Ton fils?" demande Enora, par-dessus son épaule.
Il hoche la tête. "Llewellyn. Je ne voulais pas oublier... son visage."

Elle hoche la tête, ne sachant pas quoi dire d'autre.
"Pourquoi.. est-ce que t'intéresses... t'intéresses autant à moi, Nora?"
Il lui retourne la même question. Elle secoue la tête. Un peu amusée.
"Tu es différent, toi aussi" répond-t-elle, sincère. La même réponse. "Je ne sais pas pourquoi. Mais tu es différent."
Il est si près d'elle qu'elle peut sentir le parfum de son savon. D'instinct, elle voudrait se rapprocher, respirer cette odeur à même sa peau.

"Différent?" Il penche la tête. "Non. Mais peut-être... Peut-être qu'on se ressemble un peu..."
Il approche doucement, prenant entre ses doigts, avec précaution, une des longues tresses qui bat contre la poitrine de la PrésiDuchesse.
"Second fils... Seconde fille," il a l'air songeur, gardant les yeux baissés. "Le même destin, le même... Devoir. On veut la liberté. Tous les deux."
Est-ce qu'il va oser poser la main sur elle, se demande la PrésiDuchesse, sa respiration se faisant lourde, tandis qu'il joue avec la petite tresse entre ses doigts.
"C'est le destin des seconds, des... ceux comme nous," la voix du threeSix se fait plus basse, il ne la regarde toujours pas en face. "De se marier. Faire des enfants... Personne ne devrait. On ne doit pas forcer ces choses. Jamais."

"Mais tu l'as fait," souffle-t-elle, levant sa main, enlaçant son poignet. Il a une inspiration sèche. "Tu as fait ce qu'on attendait de toi."
Sous ses doigts elle sent un poul qui s'accélère. Ça déclenche en elle une joie sauvage. Un instinct violent.
"Je n'avais pas le..." Il fronce les sourcils, l'air d'hésiter, son regard fixé sur la main d'Enora. "Pas le contrôle. De.. Ma vie. Et toi non plus, toi..." Ses paroles sont encore plus erratiques qu'à l'ordinaire, il semble peiner à finir sa phrase. "Tu veux être... en contrôle. C'est pour ça. Que tu... Que je t'intéresse."
Il lève enfin ses yeux sur elle. Deux iris sombres brillant d'un éclat sauvage au milieu de sa peau cuivrée. Elle se rapproche. Se sentant tirée en avant.

"Je ne veux plus faire ce qu'on attend de moi," sa voix est si rauque, elle ne sait plus si elle parle ou ne peut plus qu'exhaler des mots qui lui brûlent la gorge. "Je ne veux plus être le jouet du destin. De la Haute. De mon Oncle... Finn... Je veux juste vivre. Prendre ce dont j'ai envie."
"Prend le..." Il penche la tête, montrant sa gorge, vulnérable. "Nora. Prends ce que... Ce que tu veux."

Elle se sent à peine l'attirer à elle, saisissant son cou, qu'elle l'embrasse déjà. Il s'accroche à ses épaules, la pressant contre lui.
Ils se dévorent plus qu'ils ne s'embrassent. Elle goûte cette peau, sa bouche, son visage, son cou. Du bout des dents, de la langue. Tandis qu'il laisse entendre son assentiment d'une manière presque animale, sa gorge laissant échapper des sons qui font perdre tout sens commun à la PrésiDuchesse. Elle le tire à toutes forces, s'agrippant à son gilet, à sa chemise. Elle veut qu'il emplisse tous ses sens, qu'il devienne tellement imprimé dans son être qu'elle ne puisse plus respirer que lui, sentir que lui.

Vient un moment où le souffle leur manque, et où ils s'écartent, à regrets, la respiration hachée.
"Toi, tu..." Il secoue la tête. "Idéal. Princesse du Poète. Tu frayes avec.. la racaille?"
"C'est moi qui suis allé en prison," lui rappelle-t-elle, enroulant ses bras autour de son cou. Elle en veut plus. "C'est toi qui frayes avec la racaille."
Il a un sourire, avant de porter sa main au menton d'Enora, le caressant doucement. Elle réprime un frisson.
"La vie m'a refusé... Ces douceurs là. Pendant longtemps. Étrange. De te trouver, te... Trouver maintenant."
Il va la rendre dingue. Elle l'attire à elle de nouveau.
"Je ne veux plus me poser de questions," souffle-t-elle contre ses lèvres. "Je ne t'ai pas cherché, et pourtant te voilà. C'est un cadeau. Finn. Je te veux."
"Mais tu m'as, Nora..."

Elle ne sait pas comment ils se retrouvent, en poursuivant leur baiser, à tomber sur le lit. Elle croit qu'il l'a soulevée, et déposée avec précaution sur les draps, mais les détails sont sans importance. La seule chose qu'il compte c'est qu'il est maintenant pressé contre elle, son poids à moitié sur le corps de la PrésiDuchesse qui l'attire plus près, passant une main dans ses cheveux, tirant les mèches entre des doigts, simplement pour l'entendre, encore et encore, gémir doucement contre sa bouche.
Si elle avait pensé trouver l'incarnation de la luxure et d'une bonne partie de ses fantasme sous la peau d'un meurtrier de sang froid... Oh, finalement elle n'est pas si étonnée que ça.

Sans réfléchir, son corps réclamant plus tandis qu'il entreprends d'embrasser son cou, ses clavicules, avec une ferveur qui déclenche une chaleur sans précédent dans tout son buste, elle commence à lui enlever son gilet, le jetant au loin, et passe une main sous le col de sa large chemise, dans son dos, sentant les muscles du ThreeSix rouler sous ses doigts.
À cet instant, il s'arrête, haletant, lui jetant un regard interrogateur.

"Si tu me demandes ce que je veux," préviens-t-elle, prenant son visage entre ses mains pour l'amener à la hauteur du sien, "tu vas descendre dans mon estime."
Il rit, embrassant chacune de ses paumes.
"Je n'ai jamais, jamais... Désiré quelqu'un, aussi... Aussi fort," avoue-t-il, se reculant légèrement pour mieux la regarder l'encadrant de ses bras. "Mais... Crois-le, ou non... Je ne m'envoie pas... en l'air avec... Avec n'importe qui."
Elle a un instant d'incertitude, ne sachant pas quoi faire de cette confession. Est-ce qu'il essaie de lui dire qu'elle n'est pas assez bien? Une gosse de riches, une de la Haute?
Voyant sa confusion, il se penche, frottant doucement sa joue contre la sienne.
"Je veux dire... Tu es... Nora. D'habitude, je ne fais pas ça. Mais toi... Je voudrais. Bon sang, je crois que... Que j'ai un peu peur, en fait..."

La PrésiDuchesse le ramène contre elle, l'embrassant à nouveau. Elle pourrait pleurer. Contre lui, dans ce lit de fortune, dans cette chambre tombant en ruine, au milieu du sifflement des machines, elle se sent tellement en vie. Et lui... Lui.
"N'ai pas peur," souffle-t-elle, à son oreille. "Je suis là."
Il a un petit rire, avant de poser ses mains sur la chemise de la PrésiDuchesse avec déférence. Tellement précautionneux... Elle se sent si précieuse, si chérie... Comment est-il possible de ressentir ces sensations avec autant de force...

Avec précaution, il commence à détacher les liens retenant le bustier lui servant de ceinture, sans cesser d'embrasser ses joues, sa bouche, ses épaules...
La frénésie des premiers instants est passée. Le cœur d'Enora lui semble tellement gros dans sa poitrine qu'elle se demande comment il lui est encore possible de respirer.
Elle l'aide à se débarrasser du vêtement, frissonnant quand il passe une main presque timide sous sa chemise. Elle resserre ses doigts dans ses cheveux.
Il laisse courir ses doigts sur la peau du ventre de la PrésiDuchesse, sans la quitter des yeux. Un simple contact. Qu'elle ressent jusque dans les tréfonds de ses entrailles. Mais, tout à son exploration, Finn fronce légèrement les sourcils, s'arrêtant pour passer la pulpe de son doigt sur un endroit particulier de sa peau.
Elle sait ce qu'il a trouvé. Quelque chose qui... Est-ce qu'il va la trouver laide si elle lui montre?

Lentement, elle soulève sa chemise. Dévoilant son ventre, ses côtes, jugeant de ses réactions. Là, au milieu de la multitude des lignes soigneusement dessinées composant les motifs de ses tatouages, de nombreuses cicatrices. Certaines, épaisses, ont mit longtemps à guérir.
Le souffle court, elle attend sa réaction devant cette découverte. Il se contente de la regarder, de parcourir son buste du bout des doigts. Comme si ces blessures étaient encore à vif.
"Basse-Fosse..." Explique-t-elle succinctement.
Il a un murmure d'assentiment avant de se pencher en avant. Elle retient sa respiration. Lentement, il dépose des baisers, du bout des lèvres, sur chacune des marques de sa peau. Enora laisse échapper un soupir. Enfonçant ses doigts dans les cheveux de Finn, qui, tout en continuant sa tâche, l'encourage à finir d'enlever sa chemise.
"Je n'en ai pas honte," dit-elle d'une voix hachée. "Mais... Mon corps est... Marqué. J'aurais voulu que tu me voies avant tout ça."

Il laisse échapper un petit rire, avant de se redresser et de secouer la tête.
"Regarde..."
Le ThreeSix s'assoit sur ses talons, pour tenter d'enlever sa propre chemise à son tour. Mais il laisse échapper un petit hissement de douleur en levant son bras gauche. Sa blessure.
Elle se relève à son tour, pour l'aider. Défaisant les écharpes colorées qui ceinturent la taille fine de son amant, prenant son temps pour poser ses lèvres sur son cou, sa mâchoire, cherchant plus du goût de sa peau. Un goût de cuivre. De métal. Et de plantes. Le sang qui colle à son être malgré sa toilette.
Elle devrait en être dégoûtée. Elle ne l'est pas.

Quand il se débarrasse finalement de sa chemise, dévoilant sa peau nue, Enora comprend ce qu'il voulait lui montrer.
Son torse, son ventre, sur les tatouages notant son passé de bureaucrate, sont bardés d'entailles. Certaines plus anciennes que d'autres. Une partie de son flanc gauche a l'air légèrement brûlé.
"On est pareil..." Souffle-t-il, alors qu'elle pose ses paumes sur ce corps offert. Puis il a un petit sourire. "Le dos est... bien pire."
Elle hoche la tête, amusée. "Moi aussi..."
Avant de se tourner, lui dévoilant le canevas de sa colonne nue. Elle n'a encore montré ça à personne. Il n'y a que les Quatres de Basse-Fosse qui savent.
Finnegan étouffe un hoquet de... de quoi? De douleur? Pour elle?

Dans son dos on peut voir de larges et épaisses entailles entrecroisées, superposées les unes sur les autres. Déformant le grand de la peau en obscènes bourrelets de chair maltraitée.
"Je me suis fait remarquer, les premiers jours de la prison... J'ai refusé de travailler. La récompense, c'est le fouet. Helen a les mêmes. Emyl aussi. Night a été assez intelligent pour y échapper."
"Nora..."
Il l'enserre de ses bras. Embrassant sa nuque, passant ses mains sur son ventre. Sur sa poitrine. Elle arque son dos, ivre de ces caresses. Il ne l'a pas rejeté.
"Tu ne pensais pas trouver ça, n'est-ce pas..." Elle garde ses yeux fermés, tandis qu'il défait le chignon retenant ses tresses. "Je sais à quel point c'est vilain."
"Je ne... Ne pensais pas pouvoir... Te. Toucher. T'embrasser. Tu es si... Parfaite. Précieuse."

Son cœur se contractant violemment à ces mots, elle se retourne, plantant sa bouche sur la sienne. L'entraînant à nouveau dans les draps, en un déluge de membres qui se cherchent, de peaux qui n'en peuvent plus de réclamer toujours plus de contact.
Il glisse une main contre son ventre. Jusqu'à la commissure de son pantalon. Demandant une permission silencieuse. Qu'elle lui accorde en défaisant elle-même les boutons de son vêtement, l'aidant à le faire glisser le long de ses jambes.
"La lingerie.. de la Haute..." Il regarde le court caleçon de coton brodé qu'elle porte. Semblant amusé. Et très intéressé.
Elle l'attrape par les épaules, mordant son menton, appuyant sa cuisse entre les jambes de Finn. Qui halète, serrant ses doigts dans les cheveux d'Enora.
"Ne me dis pas que ça ne te fait pas d'effet," s'amuse-t-elle presque, sentant contre elle la preuve flagrante de l'état du ThreeSix.
"Oh non, Nora, je ne dis... pas ça..."

Lentement, prenant le soin de laisser sa bouche passer sur chaque partie de sa gorge, de son buste, touchant chaque replis de chair du bout de la langue alors qu'elle sent sa voix la trahir, il resdescend le long de son plexus, puis de son ventre, s'arrêtant au début de vêtement.
"Je dis juste... que c'est de trop."
Elle baisse la tête vers lui. Il a ses yeux braqués sur elle. Un peu tentateur. Un peu impatient. Elle hoche la tête. Le souffle lourd.
Du bout des doigts, il retire lentement le sous-vêtement.
Elle a connu de nombreux amants, si elle est honnête. A été très courtisée, et ne s'est jamais privée d'en profiter. Aucun des moments de plaisirs partagés avec ces femmes et ces hommes dans les chambres et couloirs de High City, dans les bars de Golden Teeth, n'égalent cette sensation d'absolue vulnérabilité qu'elle ressent à présent. Nue devant lui. Sans ses masques. Sans son rôle d'héritière.
Il n'y a qu'eux. Que ses mains à elle dans ses mèches mal décolorées, que sa bouche à lui qui remonte le long de sa cuisse jusqu'à trouver l'endroit qui lui arrache un gémissement que la PrésiDuchesse étouffe en mordant son poignet avec force.

Il a passé ses mains dans son dos, autour de ses reins, et elle penche la tête en arrière, abandonnant vite l'idée de camoufler la litanie sans forme qu'elle laisse échapper de sa gorge, ses paumes plaquées contre le mur rouillé au-dessus de sa tête.
Elle entoure le buste du ThreeSix de ses mollets. Il est délicat dans son avidité. Passionné dans la manière dont il l'explore et dont il se donne. Hier, ces doigts tenaient des armes, tuaient un homme, versaient le sang. Et maintenant elle les sent s'enfouir au plus profond de son ventre.
La chair n'est que chair, qu'on assassine ou que l'on aime. La différence est fine. Les frontières se brouillent en cet homme qui lui arrache des frissons d'un plaisir qu'elle réclame encore et encore.

Avant que tout ne soit trop intense, que son esprit ne devienne que gémissements embrouillés, elle tire sur ses épaules, l'encourageant à remonter à son niveau, l'embrassant de nouveau. Recevant sans vergogne des baisers qui ont le goût de son propre corps.
"Quoi?" demande-t-il, curieux. "Ce n'était pas..."
"C'était très bien..." le coupe-t-elle, posant doucement sa main sur les lèvres de Finn. "Mais je ne serais pas seule à profiter..."
"Oh..."
Il ne proteste pas quand elle réclame l'entrée de sa bouche du bout des doigts, lui accordant même un regard brûlant, serrant sa nuque, quand elle les plonge entre ses lèvres, allant caresser sa langue.

S'estimant satisfaite, elle glisse ensuite cette main le long de son torse, le souffle de Finn prenant des accents étranglés, pour s'arrêter elle aussi à la frontière de son pantalon.
Il l'invite à continuer d'un signe du menton, enfouissant sa tête dans le cou de la PrésiDuchesse quand ses doigts s'enroulent autour des chairs sensibles de son bas-ventre.
Elle encourage ses gémissements, son autre main dans les cheveux du ThreeSix, murmurant à ses oreilles.
"On prend les habitudes d'en bas, Finn?"
Il arrive à rire au travers de ses miaulements d'approbation, tout son corps se tordant tandis qu'elle lui offre un plaisir qu'il vient chercher des reptations de son bassin. Les gens des quartiers bas ne s'embarrassent pas de sous-vêtements, souvent dispendieux, et il a tout l'air d'avoir cédé aux habitudes locales.

Bientôt, c'en est trop pour lui, n'arrivant plus à se soutenir sur ses avants bras, son épaule gauche lui faisant sans doute défaut, il roule sur le côté, l'emportant avec elle.
Enora, sans jamais s'arrêter, contemple, fascinée, ce corps cuivré de fauve dangereux, se tordre sous ses mains. Penchant la tête en arrière, dévoilant sa gorge, ses flancs, toutes ses parties tendres et sans défenses qu'il lui dévoile sans peur. Avec un abandon qui la fait trembler. Qui la pousse à l'accompagner dans sa complainte, capturant son souffle dans le sien.

"Qu'est-ce que tu veux?" demande-t-elle à son oreille. "Finn..."
Il la regarde sous ses paupières mi-closes, haletant.
"Tu sais ce que... Ce que je veux. Nora. Mais je ne mérite pas... Je ne mérite pas."
Une faille. Un minuscule éclat, fêlure, qui se brise dans sa poitrine. Ce qu'il pense de lui-même... Elle ne peut le tolérer. Pas alors qu'il emplit son âme d'une chaleur qu'elle n'avait jamais espéré connaître.
Avec douceur, elle passe ses jambes autour de la taille de Finnegan, qui pose ses mains sur ses hanches.

"Tu ne mérites pas quoi?" demande-t-elle, écartant les mèches décolorées du front de Finn, dévoilant son tatouage. "Ça? Je ne mérite pas de vivre, tu ne mérites pas que l'on t'offre de la tendresse... Aucune d'entre nous ne devrait se trouver là, et pourtant..."
Elle se penche vers lui.
"Et pourtant, je n'ai jamais autant ressenti le besoin de ne faire qu'un avec quelqu'un. Finn. Toi. C'est toi que je veux."
"Qu'il en soit... ainsi..."

Il y a quelque chose d'absolu, et de définitif dans la manière dont il l'attire à lui, dont ils finissent de se débarrasser de leurs derniers vêtements, roulant dans ce lit sans urgence jusqu'à ce qu'il se retrouve de nouveau au-dessus d'elle, entre ses jambes. Peau contre peau. Si proches. Pas encore assez proches.
Ils ne se lâchent pas des yeux, leurs mains fermement ancrées l'une dans l'autre, quand leurs corps se rejoignent, et qu'elle ouvre la bouche, inspirant l'air chargé de métal de cette chambre d'acier.
La sensation n'est pas nouvelle. Mais c'est lui, et tout semble différent. Jadis elle n'était concentrée que sur la satisfaction de son corps lors de ses passades volées. Maintenant, elle ne sait plus où sa peau commence et où finit celle de Finn.

Il lui parle, tandis que leurs corps s'entrechoquent, sans probablement comprendre ce qu'il dit. Elle répond sûrement, cela n'a pas d'importance. Ne comptent que cette sensation de marée montante, de se perdre en l'autre.
Oubliées, les précautions d'usage, la peur des maladies, la méfiance de l'autre. Ils sont en sursis, et à travers cette période de mort, échangent des instants de vie qui lui font jeter toute prudence aux quatre vents.
Ils bougent l'un contre l'autre. C'est animal. Impérieux. Et de plus en plus frénétique.
Elle a envie de rire d'un bonheur farouche quand elle réalise que par égard pour elle, il se retient pour ne pas achever trop vite leur étreinte.
Mais elle le veut en entier, dans la fureur qu'elle devine qu'il peut avoir sur le champ de bataille. Pas de retenue ni de masque. Posant sa bouche sur la gorge de Finn, lâchant le sel de sa sueur cuivrée, elle le supplie de lâcher les chiens.

Il a un bref instant d'hésitation, et elle soutient son regard trop sombre sans faillir.
Avec un grondement rauque, le ThreeSix pose une main sur la gorge d'Enora, attrapant le bas de son menton , de son cou, dans une poigne d'acier qu'elle reçoit avec un sourire.
Tout comme elle reçoit le déchaînement, le désespoir total de posséder, de cet homme ravagé qu'elle tient fermement, avec ses jambes, ses ongles, jusqu'au creux d'elle-même.
Quelques instants hors de toute réalité, son esprit et son corps enfin réunis autour de ceux de Finnegan, qui, en un dernier spasme, finit de se perdre entre ses bras.
Il reprend ses esprits alors qu'elle embrasse ses joues avec ferveur.

"Tu...?" Il cherche son souffle, mais a une question dans le regard.
"Non," elle a un petit rire. "Mais c'est pas grave."
"Ntntnt, pas de ça ici, pas... pas ici. L'équité. Important."
"Qu'est-ce que..."
Elle n'a pas le temps de continuer qu'il a plaqué le buste de la présiDuchesse contre le lit d'une main, redescendant le long de son ventre, laissant filer sa bouche entre ses jambes. Pour lui accorder le partage d'un plaisir dont elle n'attendait pas de réciprocité.
Et qui ne tarde pas à la submerger à son tour, la laissant, tremblante, sous les caresses d'un amant plus attentionné qu'aucun de ceux avec qui elle a jusque-là jugé bon de partager sa couche.

Quand elle reprend ses esprits à son tour, il est allongé près d'elle, caressant son visage avec douceur.
Elle pose une main sur la sienne.
"Mens-moi," demande-t-elle, fermant les yeux. "Dis-moi que le monde dehors n'existe plus. Qu'on est à la dérive sur l'océan. Loin de tout."
Il a un petit sourire. Un peu triste. Passant le bout de ses doigts sur les lèvres d'Enora.
"On est seuls... Seuls au monde. Je te le.. Je te promets."
Elle rit tout bas.
"Menteur."
Il se penche, appuyant son front sur le sien.
"Avec toi, jamais..." Puis, se reculant légèrement. "Ce Lord... Lord Hexel. Si la Révolution, si on échoue... Tu l'épouseras?"

Cette pensée enfonce un pieu chauffé à blanc sous ses côtes.
Comment, alors qu'elle vient de connaître une telle félicité, pourrait-elle encore envisager...
Elle tend la main, attrapant son pantalon, sortant rapidement le couteau de sa poche, le pointant entre eux. Il la regarde faire, sans bouger.
"Je me taillerais les veines avant qu'il me touche," crache-t-elle, d'un ton dur. "Je te jure. Jamais je ne laisserai m'avoir."
Lentement, il abaisse l'arme.
"Je t'ai donné ça... Pour te défendre. Mais tu... Tu n'es pas comme moi. Pas... Pas un meurtrier. S'il te touche..." Il serre leurs mains jointes sur la garde du couteau. "Je le tuerais."
Elle n'a aucun doute de la sincérité de ses paroles. Devrait en être terrifiée, et révoltée. Mais ne ressent qu'une profonde sérénité...

"Nous ne sommes pas des assassins," rappelle-t-elle tout de même, fermement accrochée à ses idéaux. "Je ne me marierai pas. La Révolution n'échouera pas. On bâtira un nouvel Hillmoore. Ensemble."
Il secoue la tête avant d'embrasser son front.
"Je crois..." Il toussote. "Qu'on est attendus. En bas."

Malgré leur belle volonté, se relever et se rhabiller prend du temps. Aucun d'entre eux n'a envie de quitter cette chambre.
Avant de s'en aller, elle utilise le couteau pour couper une de ses tresses qu'elle enroule autour de l'attache tenant son portrait au mur. Il l'embrasse avec un murmure d'approbation, et ils retournent à la salle de réunion, courant presque, se tenant la main.
Devant les portes, elle l'aide à remettre son col en bataille, il redresse son bustier, et ils entrent dans la pièce, l'un après l'autre. Adoptant l'air souverain de ceux qui ont simplement fait un petit tour du propriétaire et ne se sont attardés que quelques instants pour observer le paysage.

Ce qui ne marche que moyennement.
Les négociations autour de la prise de High City ont l'air de tout juste se terminer, les stratèges militaires se sont regroupés en bout de table, certains membres de Guildes sont retournés chez eux, les voleurs ont disparu. Le retour du ThreeSix et de la PrésiDuchesse fait à peine se lever quelques têtes.
Mais Emyl, qui les fixe retourner l'un à côté de l'autre en bout de table a sur le visage un air d'incrédulité blasée, qu'Enora tente d'ignorer pour le moment.
Il ne la laisse pas faire. Se levant de sa chaise pour venir s'accouder à son fauteuil.

"Je t'avais dit que tu allais faire une connerie," lâche le sabreur, en faisant claquer sa langue.
"Depuis quand... Depuis quand ça te regarde? Vincent?" demande Finn, posant ses deux pieds sur la table, provocateur.
"Oh, par exemple depuis que je passe chacune de mes satanées journées à éviter qu'elle se fasse trucider. Au hasard."
"Ne me couve pas, Emyl," Enora fronce les sourcils. Son ami a toujours été protecteur envers elle, mais là il dépasse les bornes.
"C'est pas toi que je couve," répond-t-il sans ciller. "Crois-le ou non, je ne m'en fais pas pour toi, mais pour ce crétin amouraché, là."
Il désigne Finnegan du pouce.
"Hein? Tu es fou, Vincent?"
"Prends le comme tu veux," poursuit le sabreur à l'adresse du ThreeSix. "Mais la vie de ta dulcinée en Haut est au moins aussi dangereuse que la tienne ici. Elle est un prix à gagner dans le jeu des puissants. Tu as perdu un dixième de tes effectifs aujourd'hui, avec une simple escarmouche de la Garde. Tu crois que tu pourras survivre à une attaque des fantassins d'Ermir sur ta jolie petite gueule mise à prix si le Seigneur Général du pays apprend que tu as posé tes mains de terroriste sur la femme qui lui permettrait d'accéder à un des plus puissants PrésiDuchés du pays? Hein? Non mais je demande, histoire qu'on soit sûrs d'être sur la même longueur d'ondes. Blake."

Un petit silence accueille ces paroles. Enora ne s'attendait pas à ça. Elle aurait presque envie d'embrasser Emyl, de sa sollicitude.
"Je suis content que vous vous... appréciez," termine le sabreur, en croisant les bras. "Finn, tu es totalement dingue, je ne sais pas ce qu'elle te trouve, mais je ne comprends pas non plus ce que tu trouves à ma gosse de riche pourrie-gâtée de meilleure amie. Et même si je ne t'apprécie pas, je l'aime assez elle pour t'apporter tout mon soutien. Si tu en as besoin. En espérant que ça suffise. Et faites attention à vous. Tarés. Un peu d'affection dans cet enfer est toujours bon à prendre."
Et sans rien ajouter de plus, il retourne à sa place, d'une démarche volontaire.
"Il t'aime... Beaucoup, oui." Remarque Finn, que cet échange a laissé songeur.
"Moi aussi," avoue la PrésiDuchesse. "J'ai de la chance d'avoir un ami comme lui."

La Réunion se termine sans d'autres heurts, toutes les questions importantes ayant été évoquées. Luke repart avec Muse, promettant de rallier avant la fin de la semaine les deux dernières Guildes qui ne les ont pas encore rejoint.
La Présiduchesse se prépare, le cœur gros, à rentrer à High City.
Au moment du départ, et de se dire adieu, après qu'Helen lui ai fait promettre de prendre soin d'elle, Night vient la trouver. Lui aussi l'a vu revenir dans la salle, avec un petit sourire. Et il s'est jusque là gardé de tout commentaires.

Quand il la serre dans ses bras avec chaleur, elle le sent plus mélancolique qu'à l'ordinaire.
"Que se passe-t-il, Poète?"
Il secoue la tête.
"Dans la légende, TamLin, descendu sur terre, gagne son humanité quand celle qui l'aime accepte de le voir sous sa vraie forme de bête sauvage. C'est une belle analogie."
Elle pose une main sur ses hanches. Levant un sourcil.
"Je ne suis pas surpris," continue-t-il tout bas. "Pour vous deux. Et je suis heureux pour toi. Un tel feu follet ne pouvait que te convenir."
Elle rit en posant son front contre le sien.
"Mêle toi de ton cul, Night," lance-t-elle quand même, sans venin. "Et de celui de ton voleur."
Il hoche la tête. Son sourire n'est pas celui de son ami, mais un sourire de théâtre. Qui ne touche pas ses yeux. Cela mériterait qu'elle s'y attarde, mais ils n'ont plus le temps. Emyl la presse vers la sortie. Le Ménestrel repart avec les siens.
Elle n'aime pas le voir comme ça.

"Tu vas me... Me manquer, Nora..." Lui chuchote le ThreeSix, avant qu'elle ne s'en aille.
"Toi aussi, Finn." Peu désireuse de se donner en spectacle, elle se contente de poser sa main sur la joue de son amant. "Reste en vie. S'il te plaît."
"Promis." Ce sourire de chat, qu'elle voudrait emporter avec elle.
"Menteur."
Il rit. Et elle s'en va à regrets. Se sentant à la fois plus légère qu'elle ne l'a jamais été, et avec l'impression de laisser une partie d'elle-même en arrière. Sans qu'elle sache bien quoi.

Elle rentre juste à temps dans l'Oeil pour revêtir une robe clinquante de circonstance, et prendre une calèche afin de rejoindre son Oncle dans le Manoir de High City.
Il lui a demandé de venir pour une réunion familiale.
"Familiale."
Ce mot ne lui dit rien qui vaille.

Après une longue traversée des halls froids et trop grands de cette demeure, un serviteur toujours aussi peu amène les conduit Emyl et elle jusqu'à une des petites salles à manger de l'aîle privée de son Oncle.
Soulagée qu'on ne lui demande pas de laisser le sabreur à la porte comme la dernière fois, elle pénètre dans la pièce, méfiante mais gardant précautionneusement son air composé et ennuyé.

La table d'acajou est posée sous des lustres de cristal plus épais que le torse de Luke, devant de hautes fenêtres au dessin compliqué et au verre peint, reflétant les lumières du jardin sur un sol en marbre glacé. Dire que, plus jeune, cette pièce faisait partie de ses endroits préférés...
Elle fronce légèrement le nez en remarquant qu'à table, à la droite de son Oncle qui préside comme il se droit, se trouve Lady Tally, portant une robe d'un vert Langley étincelant. Et bien, il semblerait que ce soit la dernière mode, en ce moment, de lécher le cul des Langley. En face d'elle, Lucia regarde sa sœur arriver avec un détachement feint.
Parfait... Tout cela ne lui dit rien de bon.

"Oh te voilà enfin arrivée, ma fille, nous t'attendions," clame le Lord, avec un semblant de bonhomie qui ne l'atteint pas.
Elle laisse un serviteur l'installer à table sans rien dire, Emyl se postant sagement dans un coin du salon. Lucia ne la regarde même pas. Ce qui lui convient très bien.
Tally en revanche... Elle a l'air d'exhulter. La jeune PrésiDuchesse lui renvoie néanmoins un sourire provoquant face à ses minauderies. Ce qui n'a pas l'air de plaire à la Lady.

Après avoir échangé les banalités d'usage, auquel sa sœur ne semble pas plus qu'elle vouloir se prêter, mais participe tout de même avec l'aisance d'une habituée des salons, le Lord lève son verre.
"Mes enfants," annonce-t-il fièrement. "Un toast."
"En quel honneur, mon Oncle?" demande Enora, faussement ingénue.
"Nous voulions vous l'annoncer en famille avant de rendre la chose officielle," il prend la main de Tally, qui minaude, cette poule de salons, "mais ma chère Julia et moi avons décidé de nous fiancer."
Enora est trop prise de court pour réagir. C'est Lucia qui intervient.
"Je suis transporté de joie pour vous, mon Oncle, je sais que vous songiez à reprendre femme depuis longtemps. Mais cela n'est-il pas contraire aux règles tacites de l'Assemblée d'unir deux PrésiDuchés aussi puissants? Cela pourrait déséquilibrer les votes lors des décisions de la Grand Chambre."

Tally a un petit rire.
"Il ne s'agit pas de vote, très chère, mais bel et bien d'amour," Enora en doute fortement, mordant dans sa fourchette pour s'empêcher de répliquer. "L'amour ne s'embarasse pas de politique. Et vous n'allez pas pleurnicher. Vous voilà désormais bientôt héritière du plus gros PrésiDuché de l'histoire des corporats."
"Le conglomérat Tally-Langley ne peut apporter que du bon à cette ville, j'en suis persuadé," ajoute le Lord, fort content de lui. Trinquant avec sa promise. "fantastique, à l'aube du tricentenaire."
"Et bien ma fille, vous ne nous félicitez pas?" demande la Lady à Enora qui s'est jusque là bien gardée de s'exprimer.
La jeune PrésiDuchesse sort de sa stupeur pour sourire à pleine dents.
"Félicitations à tous les deux," annonce-t-elle benoîtement, "Vous vous êtes parfaitement trouvés."
Tally, après un petit plissement d'yeux suspicieux, semble s'estimer satisfaite.

La conversation reprend. Elle y participe au minimum, perdue dans ses pensées.
Qu'est-ce que son Oncle, pourtant fin calculateur et politicien émérite, a à gagner à partager un tel pouvoir... Ses réflexions l'entraînent sur un terrain qui ne lui plaît guère.
En épousant Tally, le voilà aux commandes des Guildes. Guildes qui, elle l'a bien vu aujourd'hui, se sont récemment vu plier sous le poids de taxes extraordinaires et bien trop lourdes pour être justifiées même par l'Indépendance.
Récemment... Depuis qu'il fréquente Tally?
Elle serre sa mâchoire, tout en jugeant silencieusement le ravissement avide de Lucia à l'idée d'hériter d'une telle puissance.
Son Oncle... Lord Langley. Est suspect. Est-ce qu'il a quelque chose à voir avec les sombres dessins qui se trament dans l'ombre de l'Assemblée... Elle ne veut pas l'envisager. Et pourtant...

"Oh, et tant qu'il est question de mariage, Enora, ma petite..."
Elle lève les yeux sur Tally, qui exhale un éclat de malice assez malvenu à la manière d'un parfum trop capiteux.
"Sur demande de votre Oncle, je vous accompagnerai demain pour rencontrer ce cher Lord Hexel. Il ne cesse d'insister auprès de moi pour vous revoir." Elle a un petit rire haut perché, posant sa main sur le bras de son nouveau fiancé. "Il s'est entiché de la petite, je ne vous dit que ça, très cher. C'est un concurrent fort sérieux pour son mariage."
"Fort bien, ma chère, fort bien," le Lord a l'air content. "Ma foi, nous ne pourrions que gagner de nous allouer une alliance avec un Seigneur Général."

Enora se contente de hocher la tête. Sa main allant agripper le couteau dans sa poche. Essayant de focaliser son esprit sur le moment qu'elle a partagé avec Finnegan dans l'après-midi. N'importe quoi qui peut l'empêcher de penser au piège qui se referme sur elle.
Tally babille, lui expliquant que l'affaire est presque faite. Qu'il ne s'agira pour elle que de séduire son "futur compagnon". Mais la Lady lui assure qu'elle et ses dames de compagnie se chargeront de la mettre à son avantage.
Elle pourrait vomir.
Sa sœur la regarde avec une pitié qu'elle ne supporte plus. Si même la responsable de ses années de prison la trouve pathétique, alors quoi? Cette vie lui fait horreur.
Elle se rassure en se disant que la Révolution s'organise. Que bientôt, la cité sera prise, l'Assemblée démantelée. Elle se raccroche à cette certitude de toutes ses forces.

Son calvaire n'est pas terminé.
À la fin du repas, Tally décide de la raccompagner chez elle, d'autorité. Aucune protestation n'en vient à bout. La Lady a le rang pour accéder à tous ses caprices. La jeune PrésiDuchesse se voit obligée de céder. Loin le temps où elle se trouvait au sommet de la chaîne alimentaire.
Impossible de parler à Emyl dans la calèche, elle doit supporter les commérages sans fin de Tally, qui lui évoque déjà la robe qu'elle portera à son mariage avec Lord Langley, et des bijoux qu'elle portera pour Lord Langley, et Lord Langley ci, et Lord Langley ça.
Sotte comme un étourneau, méchante comme une vipère. Pas étonnant que son Oncle ait réussi à la mettre dans son lit...

La Lady pousse même l'audace jusqu'à la raccompagner à la porte de sa chambre. Enora peinant à garder sa contenance, ne rêvant que d'être enfin libérée de cette courtisane de moindre valeur en habit de noblesse. Et c'est cruel pour les courtisans, qui valent bien mieux qu'une comparaison avec une bête de cet acabit.
"Ah non, jeune homme," elle pose une main impérieuse sur la poitrine d'Emyl qui s'apprête à suivre son amie dans sa chambre. "Cela suffit. Avec un prétendant sérieux, il devient fort impérieux que vous restiez à votre place. Dehors."
Le sabreur et Enora échangent un rapide regard paniqué.
"Emyl est mon domestique, ma Lady, je ne..."
"Et je suis la future femme du chef de votre famille, demoiselle," claque la voix de Tally. "Donc vous allez obéir et laisser votre amant à la porte. Cessez de faire honte à votre sang. Un peu de tenue."

Enora redresse le menton. Par la Miséricordieuse...
"Bien," elle hoche la tête. "Attends-moi dehors Emyl. Tu reprendras ton service demain matin."
De l'air de la parfaite obéissance, le sabreur s'incline, et va s'asseoir plus loin dans le couloir. La démarche digne. La main sur son sabre.

Tally le regarde, l'air seulement à moitié satisfaite.
"Il faudra songer à vous débarrasser de lui dans les jours à venir," annonce-t-elle à Enora. "Lord Hexel n'aimera pas sa présence. C'est inconvenant. Que dirait-il en sachant que vous vous envoyez en l'air avec un cul-de-trottoir?"
Enora ne répond rien. Si seulement cette stupide cocotte savait...
La Lady la prend ensuite dans ses bras glacés, lui souhaitant une bonne nuit, faussement chaleureuse. Avant de la pousser purement et simplement dans sa chambre, refermant les portes sur elle.

Enora a l'impression qu'on a enlevé tout l'air de la pièce. Suffocant.
Jamais elle ne s'est retrouvée seule dans l'Oeil depuis son retour de Basse-Fosse. La peur. La terreur. Plus seulement de mourir. Mais de se retrouver vendue. Mariée de force...
Elle pense à son père. Pauvre père... Comme il a dû être terrifié lui aussi..

Luttant contre la panique, elle se traîne sur son lit, sans prendre le temps de se déshabiller. Sortant de sa poche son couteau. Le serrant contre sa poitrine.
Helen lui a appris à se battre. Elle saura se défendre. Et Emyl n'est pas loin. Si elle crie. Il viendra.
Serrant les dents, elle sent monter les débuts d'une profonde panique dans sa poitrine. Qu'elle n'arrive qu'à faire refluer que quand elle réussit à invoquer sous ses paupières le souvenir d'étreintes partagées. Une bouche contre la sienne. Et une promesse à son oreille.
Finnegan. 

La Ballade du Pont des Anges - Tome 2 : GhostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant