2. Prouve-le

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II.

— Tout va bien ? T'es encore plus blanche que d'habitude, demanda Tobias.

Je clignai plusieurs fois des paupières et déviai le regard.

— Tous ces cadavres me donnent la gerbe, mais ça passera.

Je devais me couvrir. Personne ne devait voir mon angoisse.

— Tu te laisses encore impressionner par le sang ? Toi, la première ? se moqua-t-il en souriant.

Je ris doucement, nerveusement, et serrai mon carnet fort dans ma main. J'avais l'impression de détenir quelque chose d'illégal ; que tous ces yeux autour de moi étaient capables de voir à travers mes affaires et de me démasquer.

Tobias fit un pas en avant, cette fois l'air plus inquiet, et attrapa mon menton pour me forcer à le voir.

— Tu veux rentrer ?

Je laissai ses doigts me réchauffer la peau et le regardai dans les yeux. Beaucoup plus grand que moi, il avait le regard marron glacé ; plus clair et vibrant que le mien, et le nez droit. Ses sourcils étaient broussailleux et sombres, ses lèvres étaient un peu minces, et elles se rapprochèrent de moi.

Il embrassa ma joue. Son odeur évoqua tout de suite quelque chose de familier, de réconfortant, et je voulus le prendre dans mes bras. Mais je tenais encore mon carnet.

Je voulais m'en débarrasser et oublier l'anxiété que me procurait ce qu'il cachait. Je secouai la tête après un moment.

— Je veux voir les autres aussi.

— Si celui-là t'as secoué, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de...

— Je veux les voir.

Tobias leva les deux mains en l'air et ricana.

— Ma jolie Esther veut garder sa place.

— Pas envie que Numéro Deux me devance.

Il rit et passa son bras autour de mon épaule.

— Encore un petit effort et après ça, on se fait une bonne bouffe devant la télé.

Je hochai la tête pour approuver et le laissai m'entraîner contre lui. Il embrassa le sommet de mon crâne et me serra contre lui en humant longuement ma capuche.

— Ce que tu sens bon.

Je vivais chez Tobias depuis six mois. Nous étions ensemble depuis bientôt un an et nous formions un duo à abattre. Et ça nous amusait.

Son génie dérangeait et inquiétait ceux de la promo. Il était un mur que personne n'arrivait à surpasser. Je voyais l'animosité chez les autres ; je connaissais cette lumière dans leur regard. J'avais la même braquée sur moi.

Forcés de travailler en groupe un an plus tôt, Rose, lui et moi nous rapprochâmes tous ce même jour. L'un en particulier plus que l'autre.

Tobias plaisantait souvent sur l'absurdité de la situation ; sur l'envie malsaine et déroutante des autres. Prétentieux et piquant dans son humour, il n'en restait pas moins bienveillant.

Il était le seul à simplement me respecter. À me regarder pour autre chose que nos études. À me voir vraiment. Et je le voyais aussi.

Sais-tu à quel point je t'adore, ma jolie Esther ? me soufflait-il souvent le matin en plongeant ses doigts dans mes longs cheveux emmêlés.

Je me rappelai de notre premier rencard. Improvisé à la sortie d'un cours tardif, il m'avait invité à manger avec lui dans un bistro du quartier. Bavard, avenant, atrocement extravertit, il comblait le vide que je m'imposais sans le vouloir.

Le MarionnettisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant