13. Le Noir

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XIII.

Mornej entama son discours de remerciement et je fis un signe discret à Rose de me suivre. Je me faufilai parmi la petite foule. Numéro un ou pas, personne n'avait le pouvoir de m'intimider. Je refusais de rester en retrait et de m'écraser.

Nous nous plaçâmes en première rangée du cercle improvisé autour de notre hôte, et je fis mine d'écouter ses grandes paroles tout en appuyant le bas de mon dos contre la caisse du piano derrière.

— Et je voudrais remercier Julia et son ami pianiste, Paul, qui a gentiment accepté de venir jouer pour nous ce soir...

Nous nous retournâmes pour applaudir le musicien, celui-ci debout face à l'instrument, et je frappai des mains sans trahir mon doute pour son talent. Je n'étais pas une pianiste. Encore moins une experte en musique. Mais mes oreilles n'avaient pas apprécié les détails de son art.

Dans la foule, je remarquai inévitablement la grande carrure de Victor et celle de Julia, postées non loin de Rose, tous les deux un cocktail en main. La jeune femme tenait le bras du consultant et avait un regard admirateur fixé sur le professeur. Le Blanc, lui, avait les yeux rivés au sol.

La nature de leur relation m'importait peu, mais elle m'intriguait sur un point. Que lui trouvait Julia ?

Le langage corporel de celle-ci indiquait une forme d'affection particulière.

Celui de Victor faisait planer le doute. Il la laissait faire sans pour autant réciproquer.

Le Blanc était beau, bien trop pour être ignoré. Et cela le rendait plus dangereux. On se méfiait moins de lui. Mais je voyais clair dans son jeu. Il était le noir ; le côté corrosif et nocif de la teinte.

Son ombre était un orage ; son aura un poids lourd. Les couleurs ne l'accrochaient pas. Victor les faisait mourir. Il n'y avait que l'abysse terrifiante de son regard et de ses mots. Sa présence intriguait. Sa grande silhouette alarmait et séduisait. Mais ce cœur sombre était un aimant auquel il ne fallait pas se coller. L'obscure attraction était un piège.

Victor attirait pour mieux écraser.

Sa camarade devait forcément voir en lui d'autres qualités pour autant l'apprécier. Mais lesquelles ?

Je le dévisageai avec un sentiment d'amertume. Je détestais la dynamique instable qu'il y avait entre lui et moi ; celle qu'il ne cessait de changer.

Cordiale et conciliante les premières minutes. Menaçante et hostile les secondes d'après. Incertaine sur la fin et jusqu'à nouvel ordre.

J'étais certaine qu'il se délectait de ma position. L'insécurité qu'il me procurait le faisait sans doute jubiler de l'intérieur. Mon secret lui donnait un pouvoir dangereux.

Mon attention pesa sur lui une seconde de trop et le brun sinistre de ses yeux m'écrasa, comme s'il avait senti ma tension depuis cette distance. Je détournai la tête et mordis l'intérieur de ma joue de frustration.

— Encore une fois, merci ! termina Mornej.

Nous applaudîmes tous et la foule se dispersa. Un nouveau buffet fit son apparition derrière Mornej le temps de son discours et la majorité s'empressa d'aller goûter aux nouveaux plats, y compris le pianiste.

— Je vais prendre un morceau.

Je fis signe de la tête à Rose et la regardai s'éloigner. Seule dans mon coin, je me retournai et contemplai l'instrument. J'avais envie de le voir de plus près, d'appuyer sur quelques touches juste pour savoir ce que cela faisait. Je m'avançai jusque vers le banc mais ne pris pas place. J'observai simplement.

Le MarionnettisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant