15. Aconit

34 5 0
                                    

XV.

Je fis les cent pas dans l'appartement, la peur au ventre, et attendis désespérément une réponse de Tobias. Mais son téléphone était éteint.

Le pire traversa d'un coup mon esprit, et je secouai la tête.

— Stop. Stop ! me criai-je.

En pleine psychose, je laissai mon portable tomber au sol et m'avançai tout droit jusque dans la salle de bain. Tout ce qui me passait par la tête était intrusif et terrifiant, et ce vacarme devait cesser. Réfléchir me rendait folle. J'entrai sous la douche, complètement habillée, et ouvris le robinet. L'eau glacée me fit l'effet d'un électrochoc et je la laissai me saisir le sang.

Le froid anesthésia mon cerveau. Celui-ci ne me criait plus que de sortir de là. Il oublia la soirée de Mornej, les révélations de Victor, le piano et la présence de Monstre Angoisse. L'eau me nettoyait de tous les regards que j'avais reçus et de leur énergie. Elle éliminait les souvenirs de celle que j'avais incarnée dans la gare et dont je ne voulais rien entendre.

Ce ne fut que lorsque ma mâchoire se mit à trembler et que mes membres s'engourdirent que je sortis de la douche. 

Mon cœur ne s'emballait plus que parce qu'il était gelé. Mon corps ne frissonnait plus que parce qu'il avait froid. J'avais repris le contrôle. Et je voulais le garder.

L'idée de passer la nuit dans cet état me traversa l'esprit. L'anesthésie était violente, mais efficace. Je retirai mon collier de perles et le replaçai dans sa boîte laissée sur le lavabo.

Trempée, je déambulai jusque dans le salon et pris place sur le canapé. Mes yeux cherchaient une distraction. Ils voulaient de quoi bloquer l'image de cette présence autour de moi. Plongée dans le noir de l'appartement, j'allumai la télévision et fis défiler les chaînes. Je tombai sur la rediffusion d'une vieille série, la regardai quelques minutes, avant de changer.

Pub. Pub. Déjà vu. Info. Pub...

Pause. Mes yeux avaient reconnu quelque chose. Je revins en arrière sur la chaîne d'informations. Il était tard, bien trop pour voir du direct. Pourquoi...

Mon regard se posa sur le titre en gras en bas de l'écran et je me figeai.

— .... détails sur ce corps découvert devant la gare centrale de Nethem. Que sait-on pour l'instant, Thomas ?  fit la présentatrice avant de laisser la parole au journaliste sur place.

Eh bien, ce qu'on peut déjà dire, c'est qu'il s'agit d'un meurtre d'une violence déroutante. La victime, toujours en cours d'identification, a été mutilée à la gorge. Et on m'informe à l'instant que sa langue lui aurait été arrachée, et qu'une importante quantité de sang lui aurait été dérobée. La piste criminelle est évidemment privilégiée et un appel à témoins a été lancé par les enquêteurs.

Je restai stoïque devant l'écran, mon cerveau repassant en boucle ce que je venais d'entendre. Vidé de son sang. Comme tous les autres.

Mon assassin, ce monstre aux goûts macabres, ce pseudo-vampire aux tendances morbides, avait encore sévi. Mon estomac se retourna. Je voulus vomir, évacuer toute l'angoisse qui était venue me nouer le ventre. Cette coïncidence n'en était pas une. Le coupable m'avait forcément vue à la gare. J'avais été si près de lui, sous ses yeux, juste à quelques pas. Et je n'avais rien vu.

— On m'informe à l'instant que la victime a été identifiée et qu'il s'agit du musicien Armand Léon. De passage dans la capitale pour la promotion de son nouveau projet musical, il...

Je bondis du canapé et ramassai mon téléphone laissé au sol. La victime était connue ? Et le meurtrier l'avait choisi, lui ? Pourquoi ? Cela ne pouvait avoir été laissé au hasard. Je commençais à connaître mon bourreau. Tout était fait pour me transmettre un message. Le corps tremblant, plongé dans une transe incontrôlable, je tapai son nom sur Internet à toute vitesse.

Le MarionnettisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant