« Ecris un journal, raconte ta vie, ça te fera du bien, nien nien nien ». D'accord, mais par où commencer ? Bon, je me lance, on verra bien ce que ça donne. Je m'appelle Mallory Dubois, j'ai dix-sept ans, et mon histoire n'a qu'un seul intérêt : ma famille est un peu spéciale. Et comme si ma vie n'était pas déjà assez désolante et compliquée, il a fallu qu'il débarque. Ma sœur aînée, Cynthia, appelle ça un « beau gosse ». Moi j'appelle ça un énorme problème ! Mais laissez-moi d'abord vous présenter ces gens étranges qui vivent sous mon toit, vous allez comprendre.
A cette heure-ci, ils sont tous réunis à la cuisine, pour le petit déjeuner. Prenons d'abord ma grand-mère : elle est la matriarche de cette famille, c'est elle qui prend toutes les décisions, importantes ou pas. Je suis pratiquement sûre que c'est elle qui nous a nommés. Je la trouve très belle pour son âge : comme vous l'avez compris, elle est hors du commun, et elle a refusé de rentrer dans le « moule », comme elle dit. Tous les matins, elle est assise au bout de la table, occupée à brosser sa longue chevelure argentée qui tombe sur ses hanches, tout en lisant son journal à travers ses lunettes en plastique orange vif. Murielle Dubois. Elle a toujours été une hippie, qui a fait le déplacement jusqu'à Woodstock, et elle a conservé son look. Ainsi que ses habitudes. Il n'est pas exclu de la trouver dans le jardin, une drôle de cigarette roulée au coin des lèvres. Son « herbe médicinale ». Ben tiens...
Il paraît donc logique qu'Albert, son mari, arbore une barbe grise longue jusqu'à sa poitrine, des cheveux en bataille sur ses épaules, et des chemises à fleur. De quoi me plains-je, me direz-vous ! Des grands-parents aussi rock'n'roll, plutôt cool, non ? Non, ça ne l'est pas toujours. Pour eux, peu de choses ont d'importance, si ce n'est l'amour, la famille... 'Voyez le délire ? Pas le droit de déprimer, de râler, de s'énerver, car la vie est belle. Vivre d'amour et d'eau fraîche, de chakras ouverts, bla bla bla. Personnellement, ça a le don de me mettre en rogne plus que l'inverse.
Mais, passons à ma mère, leur fille unique, qui a pour irritante habitude de répondre à tout ce que je peux dire par « Bien sûr ma chérie » ou « ce n'est pas très grave, ma chérie ». Comme ses parents, elle est un peu « hippie-zen-yoga » et tout le cirque. Elle et moi ne sommes pas du tout pareilles : ma mère a des cheveux blonds longs jusqu'aux fesses et des yeux bleus. Ma sœur, elle, lui ressemble en tous points. On parlait de frustration ? Est-ce que vous pouvez imaginer ce que c'est que d'entendre votre daronne et votre sœur, adulées par tous les hommes que nous connaissons, vous dire : « Cesse de complexer comme ça ! Tu es très jolie ! », alors que je ne leur ai rien demandé ?!
Cynthia est la coqueluche du lycée, une excellente élève (et sans se fouler...), qui a gagné un peu d'argent l'été dernier en posant comme modèle pour Compéti'tifs, notre coiffeur. 'Voyez le genre ? Je ne fais jamais qu'une tête de moins qu'elle, petite brune aux yeux marrons sans grand-chose d'exceptionnel. Je suis un peu injuste vis-à-vis de mon père, Éric Dubois (il a préféré adopter le nom de ma mère, puisqu'il a toujours mal vécu le sien. Et franchement, je l'en remercie, sinon, sans cela, je m'appellerais Mallory Pourry !). Je lui ressemble beaucoup paraît-il, et c'est un très bel homme (pour un prof d'Histoire, qui plus est !). Il est sportif, très beau sourire sous ses cheveux brun foncé. Il était évident que ces deux personnes auraient une fille aussi parfaite que Cynthia. Puis ils ont dû me concevoir par erreur après une manifestation pour la paix dans le monde, bien arrosée, agrémentée de quelques pétards. Je suis un petit relâchement, quoi !
Par la suite, ils ont réussi à concevoir une petite merveille nommée Timothée. Tim ressemble à Papa, avec ses boucles sombres, mais il a hérité des yeux immenses de Grand-mère, d'un bleu-gris limpide, presque translucide. Il est adorable avec moi, mais c'est une véritable bombe ! Littéralement. Car laissez-moi vous dire que ma vie n'est pas un enfer (seulement) à cause des caractères excentriques des membres de ma famille, mais surtout parce que nous avons tous des pouvoirs magiques. Enfin, ils en ont tous. C'est ça, foutez-vous de moi. Je dis la vérité ! Regardez bien cette cuisine : vous voyez bien qu'Élise, ma mère, assise en tailleur, flotte à un mètre du sol, en faisant léviter autour d'elle son café et ses croissants, non ? Cela lui permet de rester zen, et de s'échauffer avant de dispenser ses cours de yoga toute la journée.
Fixez maintenant attentivement Éric, mon père, qui va, sous vos yeux écarquillés, matérialiser son cours d'Histoire pour la journée (à vrai dire, il matérialise la feuille sur laquelle le cours est inscrit, cours qu'il tire directement de son cerveau génial).
Murielle, ma grand-mère, a lu seulement quinze magazines, depuis qu'elle est levée. Elle doit être un peu fatiguée. Elle, pour sa part, possède le don de voyance : il lui suffit de jeter un œil sur la couverture pour que tout le contenu lui soit révélé. Oh bien sûr, elle s'amuse à lire des livres entiers parfois, pour apprécier le style de l'auteur, mais elle en connaît déjà la fin. Il lui arrive, certaines nuits, d'avoir des visions de l'avenir, qui se révèlent toujours justes. Si, si ! Je n'y croirais pas moi-même, si je ne l'avais jamais constaté ! Et j'aimerais vraiment que ça ne soit pas réel, croyez-moi.
Al, mon grand-père, malgré sa « zénitude » parfois pénible, est quelqu'un que j'aime beaucoup. Il n'est pas le plus grand magicien de tous, d'après ma grand-mère, mais pour moi, parler aux animaux (à tous les animaux), c'est relativement impressionnant, vous ne pensez pas ? Pour l'instant, comme vous voyez, personne ne le dérange car il est en grande conversation avec Mistigri, mon chat.
Voilà Cynthia qui rentre à son tour. Elle est toute pimpante, bien sûr, maquillée et habillée à la perfection, mini-jupe et talons aiguilles... Grrrr. Son pouvoir à elle ? Elle communique par télépathie avec la personne de son choix, et peut insuffler n'importe quel sentiment à cette personne. Souvent elle console, elle fait disparaître le chagrin, purement et simplement. Elle guérit tous les maux, en les prenant sur elle puis en les rejetant, comme John Coffey dans La Ligne Verte. Sauf qu'elle ne crache pas des insectes. Bref, c'est pourquoi tout un chacun la surnomme, ici, « petit ange ». Beurk ! A part Tim, mon petit démon à moi, qui l'appelle « vieille sorcière ». Ce gosse me paraît déjà doté d'un certain bon sens ! Ça vous donne des disputes entre une grande godiche de dix-huit ans et un môme de sept ans. Mature, n'est-ce pas ? Elle est très souvent contrariée à cause de moi : elle me trouve toujours déprimée, désabusée, je fais soi-disant la gueule en permanence. Elle ne parvient jamais à me remonter le moral ! Ce qu'elle ignore (ou veut ignorer) c'est que la faire échouer avec moi est un de mes rares petits plaisirs. Pas question de m'en passer !
Ah ! Vous avez entendu ce « boom » retentissant, vous aussi ? Pas de panique, c'est Tim qui... flatule ! Eh oui. Mon petit frère est réellement une bombe, comme je le disais. Le moindre pet peut faire un trou dans sa chaise (et ses vêtements). Il se fait d'ailleurs assez souvent tancer pour avoir abîmé des meubles ou même le plancher. Lui, ça le fait beaucoup rire. Parfois, il se retient deux jours entiers pour pouvoir libérer tout le gaz à un moment précis, et pour pouvoir décoller de quelques mètres. Glamour, n'est-ce pas ? Il n'a que sept ans, il ne sait pas toujours comment canaliser son énergie, et... il joue avec selon son âge, quoi. Misère !
Alors, pourquoi Diable me plains-je, pas vrai ? Ma famille est super rigolote ! Ma version dans la vie réelle des Indestructibles, non ? Eh bien non ! Non, elle ne l'est pas, rigolote, ma vie. Surtout quand vous êtes issue de cette bande de fous de mages si puissants et que vous, vous n'êtes qu'une petite magiciennette qui sait se rendre invisible et... c'est tout. Parce qu'en plus de galérer plus que Cynthia pour les cours, d'être une gourde maladroite qui renverse son plateau au moins une fois par semaine à la cantine, je suis une couarde finie, qui s'efface littéralement dans les situations gênantes. Je suis totalement découragée. Et cette façon qu'a ma famille d'être déçue, au fond, de ce que la nature m'a donné, sans pour autant cesser de m'encourager avec leurs sourires hypocrites ! Et cette manière qu'ils ont d'être toujours heureux et optimistes me débecte ! Merde ! Un peu de réalisme ! Parfois il faut se mettre en colère, se révolter, ou être malheureux. Parfois il faut accepter que la personne à qui vous parlez est triste, abattue. Parfois il faut juste l'écouter, pas plus ! Mais impossible de leur faire comprendre. Je me demande de temps à autre s'ils sont vraiment humains. On ne vit clairement pas dans le même monde. Sans compter les critiques à propos de mon look, qui vont bon train : moi ce qui me plaît, c'est le noir, le sombre, le gothique. Ils m'appellent « Mallo la Goth ». Mes seuls et uniques amis ? Ils ne les apprécient même pas ! Il faut dire que Nina et Christopher sont encore plus flippants que moi, physiquement. Leur délire fard blanc sur les joues et trois piercings par centimètre carré ne m'a pas encore atteinte.
En bref, je suis différente de ma famille en tous points, et ça rend mon quotidien bien compliqué. Ah et le gros problème ? Oh, C'est une longue histoire...
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Les Clés
Paranormal« Ecris un journal, raconte ta vie, ça te fera du bien, nien nien nien ». D'accord, mais par où commencer ? Bon, je me lance, on verra bien ce que ça donne. Je m'appelle Mallory Dubois, j'ai dix-sept ans, et mon histoire n'a qu'un seul intérêt : ma...