Le mot de la fin

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            Autour de nous, la ville est dans un triste état. Hans nous a téléportés dans l'ancien amphithéâtre éboulé, où nous nous acquittons rapidement de notre tâche : moi d'abord, puis Alex.

Anges et Démons sont attirés par la Porte, précipités à l'intérieur, dans un boucan d'enfer. Les battants de pierre se referment lentement, sans bruit, définitivement. Jusqu'aux prochaines Clés... ou jusqu'à notre prochaine crise.

Lorsque nous remontons les marches à moitié éboulées avec lenteur, Alex boitillant comme il le peut, appuyé sur mon épaule, nous découvrons tous les mages du Cercle, à l'exception des gamins et d'Albert, resté à la maison. Ils sont tous réunis là, à nous dévisager. Ils sont sales, éprouvés, essoufflés... Je ne sais pas s'ils m'accusent, me craignent, me haïssent ! Je l'aurais franchement mérité. Je suis allée bien au-delà de ce que j'aurais jamais cru. De ce que Hans même n'aurait jamais imaginé ! Personne n'a jamais entendu parler d'un être capable de soumettre le Colosse. Dire que je suis cette exception phénoménale, et que tout ce que j'ai été capable de faire, au lieu de le manipuler pour sauver tout le monde, a été de me laisser aller à mes pires pulsions... J'ai voulu massacrer ma propre famille !

Pourtant, contre toute attente, ils se jettent sur nous dans des cris de joie, nous félicitent, nous envoient des accolades. Comme Alex grimace, Antonella se charge de réparer ses os brisés. Quant à moi, surprenant tout le monde, y compris moi-même, je me précipite dans les bras de ma sœur, soulagée de voir qu'elle est toujours sur ses deux jambes.

— Je vais bien, t'inquiète, me rassure-t-elle d'une voix chevrotante.

— Il semblerait que ce soit une victoire ! se félicite Hans. Et c'est grâce à vous.

Enfin, ce n'est pas grâce à moi. Mais personne ne semble disposer à me le jeter dans le nez.

— Je crois que vous avez amplement mérité une place dans le Cercle, tous les deux, achève Hans.

Alex et moi nous jetons un regard stupéfait.

— Mais, tente Alexandre, la Porte est refermée. Le seul pouvoir que j'aie, c'est de l'ouvrir, et d'appeler les gardiens. Sans la Porte, je ne sers plus à grand-chose, non ?

— Vous aurez toujours le pouvoir des Clés, en vous, répond Murielle. Jusqu'à la fin de vos jours. Et je crois que tu te sous-estimes, mon cher : la façon dont tu as fait ce que tu voulais de ce policier, tout à l'heure ? Ce n'était pas très naturel.

C'est pourtant vrai qu'Alex a fait quelques trucs qu'on ne pouvait pas expliquer ! Dans ce cas, il se trouve que mon mec est un mage doublé de la Clé Pure. Pas mal, pour la nullos de la famille !

— Quant à toi, Mallory, reprend Hans, nous t'accordons la place que tu aurais toujours dû avoir...

Je ne peux que les remercier, tous, du bout des lèvres, tandis que ma famille jubile avec fierté. A ressentir trop d'émotions d'un coup, je pense que mon cerveau s'est éteint. Je sauterai de joie ou m'effondrerai nerveusement probablement plus tard, quand tout se sera décanté.

Le silence étant enfin revenu, nous constatons l'ampleur des dégâts. Tout n'est plus que ruines et gravats. Les civils ont assisté à beaucoup de choses qu'ils ne comprennent pas, beaucoup sont blessés, sous le choc, et errent dans les décombres. Une vraie scène de guerre, que je ne suis pas près d'oublier.

— Il va vite falloir arranger tout ça, déclare Antonella.

Hans a un sourire énigmatique. Il demande dans un premier temps à Cynthia de venir près de lui. Suivant ses instructions, elle pose une main sur l'épaule du grand chef, et utilise son pouvoir guérisseur sur lui. Hans, traversé par cette énergie, se concentre un moment, avant d'envoyer une onde plus forte que jamais. Sous nos yeux, les gens englobés guérissent, les plaies se referment, les os se réparent, les maux s'envolent. Cependant, ce miracle laisse tout le monde sous le choc, incapable de comprendre.

Hans est essoufflé, il pose les mains sur ses genoux, le temps de se reprendre. Ensuite, il entame la même procédure avec Antonella. Stupéfaits, nous voyons les bâtiments détruits, les immeubles, les trottoirs, les routes, se reconstruire rapidement. Cette fois, mouvement de panique chez les civils, les gens courent se mettre à l'abri pendant que les gravats s'envolent, les structures se redressent, le béton se défissure. Je dévisage Hans, avec l'impression qu'on fait de pire en pire !

— Murielle, c'est ton tour. Tu t'en sens capable ?

Ma grand-mère s'avance, la tête haute : oui, elle a subi un sacré choc en s'écrasant contre mon esprit manipulé par le Mal, mais elle s'en remettra. Elle a vu pire. Après tout, elle a fait Woodstock. C'est à son tour d'utiliser son pouvoir sur la tête des gens : une dernière onde nous éblouit et nous fait vibrer, puis un étrange calme, très bizarre. J'ai l'impression d'être devenue sourde, tant cette atmosphère apaisée est brutale après tant de fracas.

En tout cas, autour de nous, tout semble rentré dans l'ordre. Les gens marchent dans les rues, nous regardent bizarrement car nous sommes sales, débraillés, et toute une bande bigarrée, mais à part ça, il ne subsiste aucune trace du drame ! Derrière nous, l'amphithéâtre est reconstitué, cachant la Porte et tous ses secrets.

***

Stressée, je croise les doigts, je me tends sur la pointe des pieds, j'essaye de me hisser pour les apercevoir. Autour de moi, ma famille fait de même. Mais les coureurs ne sont toujours pas visibles. On entend vaguement les bruits, le glissement de leurs planches sur la neige. Les spectateurs, parmi lesquels nous figurons, donnent de la voix pour encourager leur favori. Soudain, les voilà ! Je retiens mon souffle, tandis que les cris se font plus forts, les concurrents passent la ligne d'arrivée à toute allure, soulevant des nuages de neige. Le signal de la fin de la course. Et... Alex lève les bras en signe de victoire ! Il a gagné !!! Ses pieds à peine délivrés de la planche, les pinces de ses adversaires à peine serrées, il se précipite vers nous, frappe dans les mains de mon père et de mon grand-père. Je lui saute au cou, il me serre à me briser les os.

— Tu es génial !!!

Je n'ai pas le temps d'en dire plus, il m'embrasse presque brusquement.

— Il faut que je te présente Dominik, mon meilleur pote allemand, tu te souviens ?

— Oui, mais d'abord, viens par-là que je te félicite, dit quelqu'un derrière nous.

Alex découvre Thierry. Thierry qui était contre sa passion pour le snowboard, qui n'avait jamais assisté à une de ses compétitions, mais Thierry qui lui avait offert une planche flambant neuve pour récompenser l'obtention de son bac. Thierry qui, plutôt ému, en fait, a assisté à la course, et qui serre son fils dans ses bras, avec force.

— C'était dingue, dit-il, tu es excellent ! Je suis fier de toi.

Bon, je suis émue aussi, rien que de consigner ce moment ! Allez, ça suffit, je crois que je vais arrêter de le tenir, ce journal. Je n'en ai plus vraiment besoin. Mes parents me parlent enfin de tout, sans plus rien me cacher. Ils me font confiance. Le Cercle est à nouveau uni, dans un ensemble parfait, même les copines de Cynthia me regardent d'un autre œil. On ne s'entend pas comme larrons en foire, on ne va pas se mentir, mais on a fait la paix.

Reiner et moi sommes plus ou moins en bons termes, même s'il faudra un certain temps pour que les choses se tassent vraiment. Tout ce qui compte, c'est que je suis enfin satisfaite d'être moi, d'être comme je suis.

Mais bref, je ne m'étalerai pas plus : je pense que c'est bien, comme mot de la fin, Alex qui fait finalement la fierté de son père, non ?

Les ClésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant