Les Clés

La vie continue

    Les cours ont enfin repris, la vie a continué comme si de rien n'était. J'ai passé la fin de mes vacances dans ma chambre. Je ne veux plus voir ma famille, cette bande de menteurs, d'hypocrites, qui me cachent, parce que je suis un démon ! Cynthia a essayé de m'approcher, mais c'est elle que j'ai le plus envoyé balader. Depuis toutes ces années, où je me pensais si désespérante à côté d'elle, tous ces garçons qui ne m'adressaient la parole que pour avoir un rancart avec elle, tous ces profs qui me comparaient à elle... Ma grande sœur, que j'admirais, même si c'était en secret, et devant qui je m'effaçais, m'a menti, m'a trahie. Et elle tente de revenir ?! Je ne la supporte plus, je la hais ! Même mes amis, Nina et Chris, me saoulent ! Je n'arrive plus à endurer leurs bavardages frivoles, leurs bécots, leurs délires sataniques à deux balles alors que tout va bien pour eux. Ils ne se rendent pas compte. Du coup, je les évite un maximum.

Mais il y en a deux qui sont moins faciles à éviter hélas : Reiner Brückman et Alexandre Legrand (comment voulez-vous garder votre sérieux, non mais, ce nom... !). Reiner est toujours sur mes talons, à me courir après, à me demander si ça va, vu ce qui s'est passé à Noël... et si Alex me court après. Je l'ai envoyé bouler une nouvelle fois, bien plus violemment que jamais. Il l'a très mal pris, évidemment, et m'a promis qu'il me revaudrait ça. Bravo, Mallo, bien joué, c'était bien le moment d'enrager un mage ! S'il venait en plus à savoir que je suis la Néfaste... Je ne donne pas cher de ma peau.

Alex, lui, s'est retrouvé en terminale. Et étant donné que je ne suis qu'en seconde, je ne suis pas le type de fréquentation qu'il est fier d'avoir. Ce qui me désespère, c'est que tout ce que nous avons vécu ensemble -il ne faut rien exagérer, on a emmené mon chien chez le véto ensemble- a été soufflé. Tous les rares instants où j'aurais pu le trouver sympa, voire attirant, ont été balayés par son attitude au lycée. Évidemment, il s'est vite fait beaucoup d'amis et d'amies. Il sort sans arrêt, ne se trouve jamais seul. Il rayonne. Elle a de quoi être radieuse, cette foutue Clé Pure ! En général, lorsqu'il me croise dans les couloirs, il m'adresse un signe ou un clin d'œil, comme si j'étais une de ces nombreuses pimbêches lui courant après. Je trouve ça terriblement humiliant ! D'autant qu'il s'est décidé à réviser avec Cynthia, et qu'il passe donc la plupart de ses soirées chez moi. Tim en a fait son substitut de frère aîné. Moi, je ne lui adresse que très peu la parole et l'évite autant que possible.

Pire encore, les profs me trouvent très étrange. Ils ont convoqué mes parents, ont suggéré de me faire voir un psychologue, à nouveau. Avec le contrecoup de la découverte de mon identité, j'ai eu une terrible perte d'appétit, ce qui a entraîné une perte de quelques kilos. Alors forcément, ça a inquiété tout le monde. Moi qui suis fluette et plate comme... une planche de snowboard ! J'évite la cantine, les salles d'étude bondées, et me réfugie souvent au CDI. Le seul endroit où je peux avoir la paix. A quoi bon passer du temps avec du monde, si je ne peux parler à personne de ce qui se passe ? Autant être tranquille.

Aujourd'hui, je m'échoue donc à la bibliothèque, je prends une BD au hasard, et me cache derrière. Je ne peux éviter de tout ressasser. Ce n'est quand même pas moi qui exagère, n'est-ce pas ? Je ne suis pas folle, tout s'est bien emballé en quelques poignées de jours, et pour le pire, non ?! Je ne peux pas m'empêcher de pleurer comme une gamine. C'est trop pour moi tout ça !

— Eh...

Je sursaute, m'essuie les joues en vitesse. Je lève mes yeux probablement ravagés vers celui qui m'a interpellée, en évitant de penser au désastre que doit maintenant représenter mon maquillage. Reiner s'assied à côté de moi.

— Tu me fais de la peine, me dit-il avec son petit accent. Qu'est-ce qui se passe ?

— Rien. Mauvaise note, je vais me faire tuer, inventé-je. Tu... tu ne m'en veux plus ?