— Ah, voilà Mallo, ma Goth aux bois dormant ! lance mon père lorsqu'il me voit passer la porte de la cuisine, noyée dans le grand t-shirt qui me sert de pyjama.
Venant de papa, c'est toujours affectueux. Et puis, je ne suis pas Cynthia, je ne m'offusque pas pour un rien. J'ai droit, d'ailleurs, ce matin, au speech habituel de ma chère sœur :
— Tu aurais pu t'habiller, franchement ! Et combien de fois je t'ai dit de te démaquiller avant de te coucher, regarde ! Tu as du noir partout, ta peau va vieillir plus vite, ça va te faire des rides au coin des yeux, après tu...
Je me mets en mode veille, et sa voix devient un vague bruit de fond. Non, ce n'est pas un pouvoir magique, c'est une nuit presque complète passée à chatter sur MSN avec Nina, en me repassant tous les morceaux d'anthologie d'Evanescence. Ai-je précisé que c'est un crime, dans cette maison, d'avoir des activités d'adolescente normale ? Remarquez, là où ils n'ont pas tort, c'est qu'errer sur Facebook est très enrichissant : j'ai appris que Marina Blues (Marine Blanchon, en réalité), la déléguée de ma classe, part au ski. Avec sa cousine. C'est dément.
Quand je pense que pour ma part, je vais rester bloquée sous la neige toutes mes vacances avec ces dingues ! Je me laisse aller à ma déprime, à moitié noyée dans mon bol de céréales, quand ma grand-mère entre comme une tornade et dévalise un placard.
— Tu pètes le feu, Mamie, ce matin, on dirait, s'esclaffe Cynthia.
— Moi aussi je pète le feu, regarde ! réplique Tim avec un enthousiasme horrifiant.
— NON !!!
Je me bouche les oreilles, désespérée.
— Ça va, c'est pas la peine de crier tous en même temps... bougonne Tim, avant de se remettre à la lecture de sa boite de Nesquick.
Ah oui, oui, c'est comme ça tous les matins ! Les vacances viennent de commencer, et je regrette déjà les cours, la liberté, l'air pur ! Mais je n'ai pas le temps de me plaindre de ce capharnaüm si peu supportable pour mon cerveau en cours d'allumage. Murielle s'assoit lourdement en face de moi et demande le silence.
— J'ai eu une vision ! LA vision !
Mes parents retiennent leur souffle. Je mange mes céréales.
— Il s'appelle Alexandre Legrand, poursuit Mamie.
Là je pouffe :
— Il est macédonien ?
— Il est tout proche ! m'ignore Murielle. La Clé Pure...
Tous les regards se tournent vers moi. Je lève le nez de mon bol. Je déglutis. J'ai quelque chose de coincé dans les dents ou quoi ? J'arrête soudain de mâcher aussi bruyamment et ils se détournent.
— Comment il est ? questionne soudain Cynthia, d'une voix rêveuse. Avec un nom pareil, il doit avoir la classe...
— Un beau jeune homme, c'est clair, on en ferait qu'une bouchée ! Environ de ton âge, en plus. Il va venir à nous.
Et la conversation se poursuit. Je suis toujours en mode veille. Cette histoire ne me concerne pas. Après tout, je n'ai jamais eu le droit d'entrer dans le Cercle. Que je m'explique. Toute ma famille, y compris Tim, se rend une fois par semaine à leur cours d'arts dramatiques (du théâtre, quoi). Pour le monde extérieur, ignorant notre existence, il s'agit de répétitions et de réunions d'une petite troupe de théâtre amateure. Mais en réalité, c'est une réunion des familles de mages –dix familles- : le Cercle. C'est là que les mages veillent sur l'Équilibre du monde, à ce qu'aucune force magique ne déborde ou ne fasse de dégâts. Et Tim lui-même a le droit d'y aller, car ils forment les jeunes mages pour l'avenir. Je n'ai jamais eu l'autorisation de m'y rendre, car je suis trop fragile, d'après mes parents. Je suis trop nulle, oui !
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Les Clés
Paranormalne« Ecris un journal, raconte ta vie, ça te fera du bien, nien nien nien ». D'accord, mais par où commencer ? Bon, je me lance, on verra bien ce que ça donne. Je m'appelle Mallory Dubois, j'ai dix-sept ans, et mon histoire n'a qu'un seul intérêt : ma...