Elle ne voulait pas aller voir le film. Non. Parce ce qu'elle n'avait pas le cœur à regarder l'histoire d'un autre alors que la sienne n'était pas encore finie. Elle voulait une joyeuse fin, elle voulait une romance avec un garçon de son âge, quelque chose de doux et sans prise de tête. Décidément, elle ne pouvait pas détacher ses yeux du film de sa propre vie pour les poser sur un autre. Sa vie toute entière était comme un mauvais scénario, fade et sans réelle histoire. Et pourtant, elle voulait continuer d'en dérouler la pellicule, elle voulait découvrir la suite des images dans l'espoir de trouver un éclat de couleur qui rehausserait le noir et le gris omniprésent. Non, vraiment, elle ne pouvais pas quitter des yeux sa propre histoire pour celle d'un autre qui avait réussi. Autrement, elle s'en serait voulue d'avoir échoué.
Cette fille-là, elle voulait voyager. Elle voulait découvrir des langues, des paysages et des traditions, et surtout des gens. Étrange, puisqu'elle aimait ne voir personne. Cette fille-là, elle voulait se sentir libre. Cette envie commençait par l'envie de voir ses amis, rares mais fidèles, puis par l'envie de se déplacer seule sans l'aide de personne. Elle ne voulait dépendre de personne, et juste vivre sa vie comme elle l'entendait. Elle ne voulait plus les pressions et commentaires quotidiens ; « il faut bien se tenir à table », « il ne faut pas être vulgaire », « il faut être polie, bien élevée, ne jamais dire non, toujours sourire, toujours dire merci, toujours de tenir droite, toujours être bien habillée, toujours belle, toujours avoir de bonnes notes, toujours être exemplaire, toujours être de bonne humeurs, ne jamais se fâcher ni se vexer, toujours pardonner, toujours montrer qu'on va bien. »
Non. Tout ça, elle en avait marre. Si elle était en colère, elle voulait hurler à la terre entière sa rage. Si elle était fatiguée, elle voulait rester au lit pendant deux jours d'affilé si nécessaire. Si elle détestait quelqu'un, elle voulait le lui faire savoir et le haïr en y mettant tout son cœur. Si elle était triste, elle voulait pleurer sans se soucier du regard des autres ni des remarques quant à ses yeux bouffis. Elle voulait inonder la terre de ses larmes, aller même jusqu'à recréer un nouveau déluge tant qu'elle pouvait enlever son masque qui lui couvrait le visage. Masque gris fissuré derrière lequel elle avait l'habitude de tout encaisser, en silence. Mais maintenant, elle voulait hurler.
Elle voulait s'échapper de ce monde-prison où elle était restée captive durant toute sa vie. Elle voulait devenir sauvageonne le temps d'une nuit, puis dormir dans un hôtel étoilé le lendemain. Une fois à New York, une autre à Sidney où à Tokyo.
Elle voulait n'être responsable de plus rien. Elle voulait être seule mais entourée malgré tout. Elle voulait savoir pourquoi, pourquoi elle voulait savoir tout ça, faire tout ça. Elle voulait haïr la terre entière mais l'aimer en même temps. Elle voulait s'aimer même si elle se haïssait aussi.
Mais pour que tous ces rêves se réalisent... il fallait revenir aux bases. Avoir de bonnes notes. Intégrer une bonne école. Avoir un bon diplôme. Avoir un bon travail. Travailler, travailler, travailler, travailler, travailler, se noyer encore et encore dans son travail pour gagner de l'argent. Encore et toujours plus d'argent. Et encore travailler.
Cette fille-là, elle voulait voyager. Elle voulait aussi avoir une moto, pour emmener son copain en balades. Elle voulait sentir le vent gifler son visage, elle voulait se sentir comme grisée par la vitesse. C'est uniquement dans ces moments là qu'elle se sent vivante.
Cette fille-là, elle souffre d'être ce qu'elle est et de devenir ce qu'elle sera.
Cette fille-là, c'est moi. Voici donc ma requête : rendez-moi ma liberté.
Ad vitam aeternam.
VOUS LISEZ
Mon cerveau
PoezieDans mon cerveau, c'est le bordel. En espérant que ça vous sauve la vie tout comme ça a sauvé la mienne. Recueil de textes plus ou moins joyeux.