𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑

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Vancouver, Canada

Aylin

— A-Aylin, bégaye-t-elle. C'est... c'est toi.

Oh non, il ne manquait plus qu'elle. Alya. Ma cousine à qui je n'ai plus le droit de parler. C'est la première fois que j'entends sa voix depuis l'accident. J'ai refusé tous ses appels depuis deux mois. Lui parler n'aurait rien arrangé, au contraire, la colère monte déjà en moi. Ma rancœur est certes en majorité dirigée vers le motard, cependant, elle a aussi sa part de responsabilité.

C'est trop tôt, je ne suis pas prête à lui adresser la parole. J'essaye de reculer pour esquiver la potentielle discussion qu'elle voudrait avoir. Mais sans tenir compte de ma volonté ainsi que de celle de ma famille, elle me retient par l'épaule. Je serre les dents pour contenir ma rage, puis la repousse. Mais avant même que je m'éloigne, elle se met à débiter à toute allure, comme si j'assistais à son procès.

— Je suis désolé, il faut que tu me croies ! supplie-t-elle comme si c'était elle la victime. Puis ce n'est pas uniquement de ma faute, c'est surtout celle du motard !

Comme si je ne le savais pas. J'étais aussi présente ce soir-là et c'est moi qui en ai payé le prix cher. Elle se cherche encore des excuses à la place d'assumer ses erreurs. Dieu sait que j'exècre ce motard, mais elle aurait dû être honnête avec moi sur le nombre de verres qu'elle avait bu. Qui sait, peut-être qu'avec un taux d'alcool moins élevé, elle aurait réussi à éviter qu'on percute la barrière ? Elle aurait pu m'éviter de devenir comme ça.

— Alya, je ne veux plus en parler, murmuré-je ennuyé par cette conversation. S'il te plaît, laisse-moi tranquille.

— Bon, s'exclame Alec en me lâchant le bras. Ce n'est pas que vos disputes familiales ne m'intéressent pas, mais je vais regarder dans quelle classe on est !

Ce n'est pas de refus, je suis d'humeur fracassante là. Il va accomplir sa tâche pendant que mes poings se contractent. Le ressentiment qui bouillonne en moi me donne envie de tout détruire. En revanche, on est en public, je ne peux pas exploser devant tout le monde. Si papa l'apprend, il sera déçu. Encore. Pendant que je rumine, Alya, elle, en profite pour attraper mes mains dans les siennes.

— Mais, on est cousine toi et moi, reprend-elle avec douceur. On est amies.

C'est vrai que, depuis deux ans, on passe beaucoup de temps ensemble. Elle a déménagé à Vancouver suite au divorce de ses parents. Quelques semaines seulement après le départ de Louis. Sa présence m'avait fait beaucoup de bien. J'étais effondré, au fond du trou, et elle m'a ramassé à la petite cuillère, morceau par morceau.

— Tu ne vas quand même pas couper les ponts avec moi juste pour ça ?

« Juste pour ça ? ». Comment ose-t-elle ? Après tout ce que j'ai dû traverser par sa faute, elle minimise ses dégâts. Des pulsions de haine se propagent dans toutes les cellules de mon corps. Il est temps pour elle d'être confrontée aux conséquences de ses actes. Peu importe si tous les étudiants nous voient, je ne vais pas me taire plus longtemps.

— Juste pour ça, Alya ! fulminé-je en rejetant ses mains. Juste pour ça ? Mais tu crois que j'ai juste un doigt cassé ou quoi ? J'ai perdu la vue, Alya, tu comprends ça ?

Prononcer le mot « aveugle » est encore trop difficile pour l'instant. Je ne parviens pas à le dire à voix haute. C'est comme s'il restait bloqué dans ma gorge et refusait de sortir. En réalité, la situation est bien plus complexe que ça. Car le dire, c'est admettre que c'est définitif. C'est l'accepter. C'est m'y habituer. Et je ne suis pas encore prête pour ça.

Cette furie dévastatrice qui vibre dans chaque parcelle de mon être pourrait tout consumer autour de moi si je la laissais se libérer. Je sens que les larmes me montent aux yeux, la peine me submerge et j'aimerais me noyer dedans. Il est si simple de se laisser couler dans les profondeurs de ses malheurs. Mais il faut que je reste forte. Je suis forte.

BLINDLY [Sous contrat d'édition chez &H]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant