𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟖

4.2K 294 241
                                    

Vancouver, Canada

Aylin

À son chevet, je serre la main d'Ilyas pour qu'il sente ma présence même dans ses rêves. Cela fait déjà quelques heures que je patiente. En réalité, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Trop chamboulé par cette nouvelle menace. Elle m'a autant retourné l'estomac que l'esprit. Mes larmes n'ont pas arrêté de couler depuis ma lecture du mot.

C'est un peu comme si je commençais enfin à saisir l'ampleur que prennent les évènements. Ce n'est plus un jeu. En tout cas, pas pour moi. La vie de ceux que j'aime est en jeu. Il faut que je démasque la personne qui prend plaisir à me torturer. Mais c'est plus compliqué à dire qu'à faire.

Ma liste de suspects se limite à Rose et Pierre. Je ne vois pas qui d'autre aurait intérêt à me faire autant souffrir. Ils me détestent tous les deux et c'est réciproque. À présent, il me faut des preuves concrètes, parce que le souci avec le braille, c'est qu'on ne peut même pas essayer de reconnaître la calligraphie d'une personne.

Quel bourbier sans nom. Comme si ma vie n'était pas assez compliquée, me voilà à devoir jouer au détective. Mes nerfs sont à vif et mes muscles tendus telle la corde d'un arc. Le repos n'est plus qu'un rêve illusoire hors de ma portée. Mon cerveau est constamment sous tension avec tout ce qui m'arrive ces dernières semaines. La fatigue s'accumule tel un lourd fardeau sur mes épaules.

A-Abla, murmure Ilyas d'une voix fébrile.

— Oui, c'est moi mon cœur, m'empressé-je de répondre chambouler.

Il faut que je me reprenne. Je serre les dents pour ravaler mes larmes. Ce n'est pas le moment de faiblir, surtout pas devant lui. Avec tout ce qu'il endure, ma douleur est insignifiante en comparaison. Il est si fort de continuer à se battre chaque jour. J'aimerais avoir autant de force et de courage que lui.

— Ça... me fait... plaisir... de te voir, chuchote-t-il, en toussant.

Mes poings se contractent tant le sentiment d'injustice qui m'envahit est puissant. Pourquoi c'est à lui que cela arrive ? Pourquoi aussi jeune ? Pourquoi alors que c'est la seule personne qui m'a toujours aimée ? Ces interrogations me torturent chaque seconde un peu plus.

Le destin est une chose bien cruelle. Pour m'y être confronté à plusieurs reprises, je peux affirmer qu'il ne connaît pas la pitié. Il peut s'acharner sur nous sans vergogne. Pour ne pas ternir l'ambiance plus qu'elle ne l'est déjà, je ravale les sanglots qui menacent de s'échapper de ma bouche.

— Moi aussi, ça me fait plaisir, soufflé-je même si, pour une fois, je suis bien contente de ne pas voir par moi-même comment la maladie le ronge. Tu me manques beaucoup, tu sais ?

Chaque jour où il est loin de moi est une aiguille supplémentaire qu'on enfonce dans mon cœur. Il ne battait déjà plus normalement depuis l'accident de voiture, mais, depuis l'annonce de la leucémie d'Ilyas, j'ai la sensation qu'il a encore plus ralenti. Peut-être est-ce un signe pour me faire comprendre que même mon corps ne veut plus continuer à vivre ?

— Toi aussi... tu me manques, réplique-t-il d'un ton se voulant joyeux. Ici, je m'ennuie beaucoup, je suis souvent seul.

Ne pouvant plus tenir davantage, je m'effondre sur son petit corps frêle. La peine est si grande qu'elle m'étouffe pour sortir. Mes petits cris de désespoir résonnent dans la pièce comme une supplique invisible. L'écho de ma voix me renvoie mon propre chagrin. Je suis si faible, je m'étais pourtant promis de ne pas craquer devant lui.

— Ne pleure pas, s'il te plaît, lance-t-il en caressant ma tête.

Il répète les mouvements que j'ai l'habitude de faire pour le réconforter et ça ne fait que redoubler mes sanglots. Moi qui pensais que le temps apaisait toutes les souffrances, je me suis bien trompée. Rien ne réduira jamais l'affliction que va me procurer la perte d'Ilyas. Les médecins répètent que tout n'est pas perdu, que ça dépend de lui, de sa volonté de résister, mais je ne peux m'empêcher de désespérer.

BLINDLY [Sous contrat d'édition chez &H]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant