𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔

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Vancouver, Canada.

Aylin

Deux jours sont passés depuis la rentrée et mon étrange discussion avec mon voisin de classe. Depuis, il s'est enfermé dans un mutisme effrayant. C'est à peine si je l'entends respirer. Cependant, je ne vais pas m'en plaindre, il a le chic pour me déstabiliser avec ses analyses psychologiques à deux balles.

Le cours se déroule dans le calme, je prends tout en note sur mon nouvel ordinateur avec les touches en brailles. C'est un système de lecture et d'écriture tactile pour les personnes non voyantes. Les points en relief qui le composent représentent les lettres de l'alphabet. Il contient des équivalents pour les signes de ponctuation et il fournit des symboles qui indiquent le regroupement des lettres.

Ça parait assez complexe et ça l'est en réalité, mais avec de la motivation, rien n'est impossible. J'ai failli abandonner à plusieurs reprises tant la frustration de me tromper me consumait. Pourtant, j'ai continué nuit et jour pour atteindre mes objectifs. D'un autre côté, je n'avais pas tout à fait le choix si je voulais rester à Rivera. J'ai donc passé mes vacances à apprendre et à m'entraîner pour ne pas être à la traîne.

Une nuit, sur un coup de tête, j'ai même essayé de lire mes premiers livres en braille. C'est là que j'ai découvert qu'il n'y en avait pas beaucoup. Il faut croire que les malvoyants n'ont pas le droit au même accès à la littérature que les autres. Ce constat m'a affreusement blessé. Moi qui adore lire, me voilà privée de toute échappatoire de ma triste réalité.

C'est un sacré changement de devenir aveugle. Toute ma vie s'est vue bouleversée. Toutes mes certitudes ont été ébranlées. Toutes mes habitudes ont changé. C'était deux mois de dur labeur, mais au moins, maintenant, je suis prête. Enfin, autant que possible.

Mes yeux me grattent, c'est insupportable comme sensation. Mais je ne peux pas retirer ces patchs, même si l'envie de les arracher me démange. Suite à l'accident, ma perte de vue a entraîné une sensibilisation de mes yeux. Je ne vois rien, en revanche, je suis très sensible à la lumière. Si je me fie à mon ressenti, je suis placée juste à côté de la fenêtre, c'est horrible.

Les rayons du soleil doivent taper droit sur mon visage. C'est assez spécial comme vision. Je vois des points lumineux et j'arrive à savoir si la lumière est allumée ou non dans une pièce. Malheureusement, les premiers jours, cela me faisait un mal de chien et me provoquait des migraines atroces, c'est pour cette raison que j'ai les patchs, ils me protègent les yeux. Je ne devrais d'ailleurs pas tarder à les retirer. D'ici quelques semaines si tout se passe bien d'après le docteur.

La leçon n'est pas très intéressante, donc je me perds dans mes pensées. Revenir dans cet établissement me fera toujours penser à Louis. C'est ici que je l'ai vu pour la dernière fois, juste après la remise des diplômes. Même si je donne tout pour l'oublier, je n'y parviens jamais. C'est comme s'il s'était tatoué sur mon cerveau. J'ai cette affreuse sensation qu'il me colle à la peau. Me briser le cœur ne lui a pas suffi, maintenant, je dois aussi lutter contre mon propre esprit.

C'est douloureux. Toute cette peine qui m'habite et qui refuse de me rendre ma liberté. Le poids de son départ m'enchaîne au désespoir et me rappelle sans cesse les bons moments. Pour ensuite me lacérer avec les souvenirs de son départ. Plus on essaie d'oublier quelqu'un, plus il est sûr de rester dans notre tête.

Pourtant, au fond de moi, je sais qu'une partie de mon cœur attend toujours son retour. C'est stupide et inutile, mais je ne peux me résoudre à arrêter. L'espoir peut-être une force comme elle peut-être une faiblesse. À trop espérer, on risque de se perdre dans nos rêves. À trop espérer, on risque de se brûler. Et après, il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer.

BLINDLY [Sous contrat d'édition chez &H]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant