CHAPITRE 1 - Pour apaiser toutes tes peines

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Emmitouflée dans des vêtements chauds, Lenie déambulait nonchalamment dans le noir de l'hiver depuis maintenant un long moment. Elle marchait sans but précis, regardant tantôt ses pieds de manière inconsciente, tantôt admirant avec fascination le paysage défilant sous ses yeux. Le silence qui régnait dehors à cette heure donnait à la scène un aspect onirique. C'était le genre d'atmosphère silencieuse, apaisante et mélancolique de la nuit qui étreignait le coeur de façon délicieuse et bouleversante, et dont elle sentait avoir désespérément besoin dernièrement. C'était comme-ci la ville entière s'était endormie. Tout était si calme, et même le froid piquant était doux comme une caresse. Sur le revêtement glacé sous ses pieds, la douce lumière bleutée et étoilée du ciel se reflétait.

D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, elle avait toujours été émerveillé par la beauté du spectacle qui s'offrait à elle lorsque l'horizon se recouvrait entièrement. Toute cette neige tapissant les failles de la nature donnait l'impression, pendant un simple instant, d'effacer toute trace de l'indigence humaine.

Ainsi, arpentant actuellement la superficie extérieur du château, la jeune fille laissait aisément son regard se délectait de l'édifice paré de son grand manteau blanc.

C'était sans doute légitime pour quiconque la voyant dans les jardins par ce temps glacial de se demander ce qu'elle pouvait bien faire seule dehors à cette heure si tardive, mais c'était sans nul doute, au vu des circonstances, la dernière question à laquelle elle voudrait répondre.

Mais après tout, qui était à même de lui en vouloir? Personne ne souhaiterait avoir à faire face au décès d'un proche. Encore moins à l'approche de Noël. Le poids du deuil était bien trop lourd à porter. Aussi, c'était devenue pratique courante pour Lenie de s'isoler lorsque le souvenir était trop vif et qu'elle ne pouvait l'empêcher de prendre tout l'espace.

Même si sa perte n'avait pas été cachée aux autres et qu'ils la comprenaient, elle savait au fond qu'elle ne pouvait pas non plus l'imposer constamment au sein du groupe. Ce n'était pas leur chagrin et ce n'était pas juste pour eux de le subir. Bien sûr, elle ne pouvait pas le faire taire et elle savait que les autres l'écoutaient au besoin, mais si elle pouvait au mieux le garder pour elle autant que possible, elle n'hésitait pas à le faire.

Ainsi, après quelques minutes de plus à errer dans cet immense désert cristallin, et alors qu'elle revenait enfin sur ses pas pour rentrer au château, une musique au loin attira son attention. Du peu que son ouïe pouvait discerner, cela semblait provenir de la salle de danse.

Curieuse de savoir pourquoi la salle n'était toujours pas fermée, Lenie se dirigea instinctivement dans sa direction. Plus elle s'approchait de la façade et plus la mélodie était intelligible. Elle décida d'emblée qu'elle appréciait le son. Lorsque enfin elle atteignit les portes vitrées, elle jeta un coup d'œil de l'autre côté. Son regard se posa instinctivement sur la personne assise au piano. Les paupières de la blonde étaient délicatement fermées, et elle semblait absorbée par le moment. Lenie resta longtemps plantée dehors à la regarder et l'écouter. Elle avait l'air complètement captivé par l'autre fille. Lorsqu'elle finit par franchir la porte de l'endroit, une chaleur familière caressa son âme et réchauffa son corps meurtri par le froid. Le petit bruit usuel du grincement de porte attira vers elle le regard de la chanteuse qui venait à peine de jouer son tout dernier accord. Son objectif de passer inaperçue tomba instantanément à l'eau. La benjamine se maudît pour avoir choisi la seconde la plus intempestive pour entrer. Elle envisagea de faire demi-tour, mais la pensée fut vite balayée par l'appel de son prénom.

Lenie, le sourire timide aux lèvres, s'avança ainsi vers son interlocutrice qui s'était déjà levée pour la saluer.

Avant que la brune ne puisse cependant dire quoique ce soit, Héléna l'entraîna dans une étreinte.

"Je suis contente de te voir ici."

Le sourire maladroit de Lenie se transforma en un sourire affectueux.

"C'était beau."

Héléna s'éloigna, "Ah oui?"

"J'ai adoré."

"Merci."

La fossette qui apparaissait quand elle souriait rendait son merci plus précieux.

Le silence retomba un instant alors que la plus jeune détournait les yeux, le regard dans le vide. Héléna remarqua qu'elle jouait nerveusement avec ses doigts. Alors, avec toute la douceur du monde, la blonde glissa sa main dans celle de l'autre fille.

"Tu veux en parler?"

Les yeux balayant leurs mains jointes, Lenie déglutit, faisant cette chose qu'elle fait toujours avec ses lèvres lorsqu'elle se retient de pleurer. Elle ne voulait pas avoir cette conversation.

"Je suis juste un peu triste, mais ça va."

Héléna comprit et respecta son silence. "D'accord. En tout cas, saches que je suis là si tu en as besoin."

"Je sais, merci."

"Tu veux t'asseoir un instant peut-être?" proposa la belge. "On n'est pas obligé d'en parler ou de parler tout court. Le piano est de bonne compagnie aussi."

"Presque autant que toi." Sourit sincèrement Lenie.

Héléna sourit espièglement. "Serais-tu en train de me draguer jeune fille?"

Le rire nerveux, Lenie lâcha la main d'Héléna pour lui donner une gentille tape sur le bras. "Tu aimerais ça."

Héléna haussa les épaules, les yeux pétillants d'amusement, "Qui te peut."

Lenie s'installa au piano et lança un regard à sa partenaire pour lui faire signe de s'installer à ses côtés. Héléna, s'exécutant, demanda à la brune se qu'elle voulait jouer.

"Surprends-moi."

Héléna lui envoya un regard de biais. "Ne me tente pas."

Lenie leva les yeux au ciel, souriant malgré elle. "Tu es insupportable."

"Mais tu m'aimes."

"Non."

Héléna lui lança un autre regard de travers, légèrement outrée.

"Peut-être."

La blonde souria, triomphante. "Bien, passons aux choses sérieuses".

La belge posa ses mains sur les touches du piano tandis que Lenie installait confortablement sa tête sur son épaule. Puis, Héléna se mit à jouer les premières notes de "pa' callar tus penas" de Cami, chanteuse chilienne.

Lenie, qui appréciait le morceau les yeux fermés, fut surprise d'entendre Héléna se mettre à chanter en espagnol au milieu de la chanson. Elle releva la tête pour l'écouter.

Puedo ser gasolina en tu llama
Je peux être l'essence de ta flamme
Puedo ser mantequilla en tostadas
Je peux être le beurre sur ton pain grillé
Puedo ser si tú quieres que sea
Je peux être si tu veux que je le sois
Armadura en tiempos de guerra
Ton armure en temps de guerre
Puedo ser polen en primavera
Je peux être le pollen au printemps

Héléna tourna la tête pour croiser le regard de Lenie.

Cualquier cosa
Quoi que tu veuilles
Pa' callar toditas tus penas
Pour apaiser toutes tes peines

La chanson se termina, les filles se regardant intensément, les yeux plein de douceur.

Soudain, Pierre fit irruption dans la salle, attirant les regards sur lui et brisant ainsi le moment.

EVERY LITTLE THING (helenie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant