ONZE

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MORDICUS

Dehors, il neige. La bibliothèque de Stirling est bien moins grande que celle de l'Orphelinat, mais je ne pouvais pas rêver de meilleur endroit pour travailler. Pooja a bien géré nos embarras dans la vraie vie, comme si elle avait fait ça toute sa vie. Nous avons d'abord trouvé de quoi dormir dans un refuge.

Vivre à Folkestone pendant un moment a été déroutant pour beaucoup d'entre nous. D'une part, aucun des orphelins ne s'est souvenu d'avoir un jour vu la mer. Si grande et qui s'étend jusqu'à l'horizon.

Puis Pooja, la seule personne majeure de notre groupe, s'est mises à travailler à temps plein pendant que ceux qui avaient jusqu'à quatorze ans ont pu faire des heures partielles.

Pour cela, il a fallu s'éloigner de Folkestone.

Nous sommes petit à petit parvenus à louer des chambres dans le quartier de la vieille ville de Stirling. Ou Shruighlea en écossais. Je ne parviens pas encore très bien à me faire à leur accent, mais j'ai été reconnaissant envers Madame Hermary de nous avoir inculqué des bases d'anglais.

L'idée, pour l'instant, est surtout de ne pas être séparés par des services sociaux, étant donné notre origine relativement particulière. Nous recherchons activement nos familles à travers les dossiers de mairies et les archives. Jusque-là, nous avons pas beaucoup de résultats, mais nous persistons.

En attendant, les choses se sont améliorées. Nous gagnons de quoi vivre et les plus petits parviennent à conserver une certaine innocence de la situation, jouant et se chamaillant. Après avoir passé tant d'années à l'Orphelinat, j'avais l'impression d'avoir vécu plusieurs vies en une seule année avec tous ces changements.

Stirling se situe au creux d'une série de montagnes enneigées et bien qu'il neige moins que dans les Limbes, nous ne sommes pas très dépaysés du côté climat en hiver. Je rêvasse un peu en rangeant quelques bouquins dans les rayons, lorsque Marly choisit ce moment pour pénétrer dans la bibliothèque.

« Coucou ! me lance-t-elle.

-Salut. »

Elle se débarrasse de son manteau et tapote ses semelles sur le paillasson.

« Ça me rappelle la maison, dit-elle en désignant l'extérieur.

-L'allée doit être encombrée de neige, dis-je.

-Et les marmites sont surement remplies de chocolat chaud. »

Je souris. Les lèvres de Marly frémissent. Finalement, elle se dirige vers l'accueil et commence à raccommoder les bouquins abimés. L'après-midi se déroule dans une atmosphère paisible, parfois interrompue par quelques personnes qui viennent emprunter ou lisent sur place dans les banquettes dédiées à cet effet. Lors des heures creuses, Marly et moi lisons coudes à coudes, sur le comptoir de l'accueil. Elle me file un coup d'épaule lorsque je me mets à marmonner sur un passage intense et je lui donne un marque page de force quand elle s'apprête à écorner une page pour garder le fil de son histoire.

« Tu travailles dans une bibliothèque et tu n'as toujours pas appris le respect du livre ? »

Elle lève les mains en l'air, en signe de reddition.

« Ma faute. Les mauvaises habitudes. »

Le soleil baisse doucement, à l'extérieur et c'est à moi de partir tôt et Marly de fermer l'établissement. J'enfile mon manteau.

« On se retrouve à l'appart ? » lancé-je.

Elle hoche la tête et retourne à ses tâches. Je traîne un peu et ajoute :

Les corbeaux blancsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant