MARLY
La montée de la Tour nord jusqu'à la porte ressemble déjà à une expédition. Chaque enfant a emporté un sac à dos. Les visages se disputent entre l'appréhension, la curiosité et la concentration. Joan mène les rangs à l'avant, en compagnie de Pooja. Charles et Jeanne m'aident à cadrer, compter et vérifier que tout le monde est là, pendant que Mordicus ferme la marche.
J'ai récupéré l'épée de collection qu'on trouve dans la bibliothèque. Elle est tellement lourde que je suis obligée de la tenir des deux mains. Mes bras sont couverts de chair de poule. Pourtant, mes doigts sont fermes autour de la garde.
Je n'ai aucune envie de retourner en bas.
Mais l'image de la gare reste ancrée dans ma mémoire. Parce qu'il y a un train. Parce qu'il y a un moyen. Parce qu'il y a de l'espoir.
J'ai revêtu un manteau léger et de solides bottes de marche. J'ai conseillé la même tenue vestimentaire pour tout le monde, mais beaucoup d'enfants sont encore en pyjama. C'est difficile de s'occuper de tous les orphelins lorsqu'ils sont trente, et le temps presse. Je n'ai recommandé qu'aux plus âgés de prendre une arme avec eux, pour ne pas faire paniquer les petits. Pooja a récupéré une batte de baseball, et Charles, malgré mon dégoût à cette idée, a pris un revolver. Je ne sais même pas où il a pu se le dégoter.
J'ai bien pensé un moment que se présenter désarmés à la gare pouvait jouer en notre faveur par rapport aux gardiens, mais tous les avertissements de Madame Hermary m'ont rendu nerveuse.
Nous grimpons les marches, comptons régulièrement les enfants comme des bergers avec leurs moutons, et regagnons l'étage supérieur de la Tour Nord.
Arrivés à la porte, je reprends la tête du groupe pour descendre les marches de l'escalier en colimaçon. Excepté moi, puisque tenir une épée nécessite mes deux mains, tous les enfants sont tous munis de lampes de poches, ce qui rend les lieux sales et vides plutôt qu'obscurs et mystérieux.
Cela n'empêche pas les enfants d'avoir peur. J'entends Pooja parler d'une voix douce, à l'arrière ; elle est forte pour ça, et soit dit en passant, Mordicus aussi, même s'il ne le reconnaitrait jamais. Je l'ai entendu parler à Betsie tout à l'heure, expliquant que nous allions dans un endroit formidable, mais qu'il fallait être très courageux pour y parvenir. La Betsie effrayée s'était alors transformée en Betsie l'héroïne. Elle avait même contaminé de sa bravoure cinq autres orphelins du même âge.
Avant de partir, Madame Hermary a glissé des pièces pour Pooja, disant que cela nous suffirait pour un moment dans le monde réel. La Directrice lui a demandé de prendre soin des enfants. La batte de base balle en travers l'épaule, Pooja avait hoché la tête, acceptant sans discuter sa mission. Je suis reconnaissante de pouvoir compter sur d'autres personnes, conscients de l'épreuve qui nous attend.
Après un temps indéfini, nous atteignons la fin de l'escalier et je demande à la cantonade si tout le monde va bien. Les plus grands me répondent par l'affirmative, confirmant que nous n'avons pas perdu d'enfants en cours de route. Je m'engage alors dans le passage rocheux, les milliers de pas des autres orphelins dans mon dos ; c'est à croire que je mène ma propre armée de guerriers sur le champ de bataille.
La référence me fait un peu froid dans le dos. Mes sens sont à l'affût et j'essaie de distinguer le moindre bruit suspect malgré le vacarme de trente personnes dans des couloirs où les échos ricochent de toute part.
Nous marchons longtemps, mais j'ai l'impression de reconnaitre certains corridors, et la distance ne me paraît plus aussi longue, sans doute parce que j'emprunte ce chemin pour la seconde fois, ou la troisième si on compte le retour à l'Orphelinat.

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Les corbeaux blancs
Fantasy"Cet endroit n'est pas ce qu'on imagine, mais par conséquent, nous non plus." Alors que pour la première fois depuis de nombreuses années, une lettre atterrit dans la boîte aux lettres de l'Orphelinat, Marly et Joan vont devoir mener l'enquête sur l...