SEPT

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MORDICUS

Je profite que Joan ne soit pas avec nous pour aborder le sujet de la porte avec Marly. L'atmosphère de la cuisine m'apaise. Entre la chaleur des fours et les effluves sucrées des biscuits, j'ai plus de facilité à parler sans que la peur ne me tiraille les entrailles. C'est comme évoquer un vieux cauchemar à lueur du jour.

Machinalement, nous préparons les boissons, du thé pour moi, du chocolat chaud pour Marly, un café latté pour Joan, et empilons des cookies brûlants sur une énorme assiette. Marly ne dit rien, se contentant d'écouter mes explications et mes théories, et je me retrouve à débiter une tirade rocambolesque d'une dizaine de minutes.

Finalement, je saisis le plateau surchargé et sur le retour, Marly marche à ma hauteur, les bras croisés. Elle ne pipe pas un mot, et n'en prononce pas davantage lorsqu'elle s'assoit sur le canapé. Je fais l'effort de servir tout le monde, ce que Joan trouve parfaitement normal, comme si j'étais un majordome.

Ma première théorie est que Marly s'en veut de garder encore un secret à l'intention de Joan, alors je décide de me rendre à la potence à sa place. Je m'affaisse dans un fauteuil et soupire en me tournant vers Joan ;

« J'ai découvert une porte qui est apparue soudainement dans la tour du Nord. Elle mène jusqu'aux souterrains de l'Orphelinat. »

Joan se redresse aussitôt dans son siège, vexée ;

« D'accord, parfait, dites, vous avez encore beaucoup de squelettes à sortir du placard ? Ou est-ce c'est devenu notre nouvelle dynamique de groupe ? Petit un ; vous trouvez des trucs. Petit deux ; je suis la dernière à l'apprendre ?

-Mais non, c'est juste que...

-Eh bien vous savez quoi ? J'ai trouvé quelque chose, moi aussi. »

Joan agite la carte postale sous mon nez. Elle commence à raconter à quel point elle possède un œil de lynx, mais que pour moi, il faudra me servir de la loupe pour distinguer ce qu'elle a vu du premier coup d'œil.

J'essaie de me concentrer sur le cliché et les dires de Joan, mais je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil à Marly. Assise sur le canapé, cette dernière récupère quelques bouquins et semble annoter des pages d'informations, sans un seul intérêt pour ce qui se passe de notre côté.

Voir Marly lire et écrire n'est pas une nouveauté en soi. De plus, elle n'a jamais été une grande bavarde – excepté avec Joan, dont le penchant pour la parole semble déteindre sur elle, autant que le talent pour les bêtises, devenu la marque de fabrique de Marly, commence à contaminer son amie.

Cependant, aussi ridicule que cela puisse paraître, je trouve Marly la silencieuse trop silencieuse. Souvent, lorsqu'elle ne dit rien, on peut quand même deviner son cerveau tournant à plein régime dans son crâne, les engrenages emballés par des milliers de questions. Cette fois-là, c'est comme si elle était également calme, de l'intérieur. J'ai l'impression de voir le lac gelé, immobile.

À force de conviction, Joan parvient quand même à me sortir de mes pensées, lorsqu'elle prononce le mot Hiraeth.

« Tu vois, dit-elle en pointant la locomotive. Juste là.

-Hiraeth, tu dis ? demandé-je en fronçant les sourcils. C'est également ce qui est écrit sur la porte. »

Comme en écho à toutes ces histoires à dormir debout, que nous conte Madame Hermary depuis que nous vivons sous son toit, Joan débite :

« La formule magique Hirateh... Littéralement, elle signifie un « mal de pays » pour un endroit qu'on n'a jamais connu ou qui n'a jamais existé.

Les corbeaux blancsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant