JOAN
« La Reine ? répète Mordicus. Quelle Reine ?
-Je suis la Reine qui a perdu la tête, répond Marly en regardant Madame Hermary.
-Marly ? » demandé-je en m'avançant.
Comme elle a l'air ailleurs, je saisis doucement sa main. Enfin, elle me regarde. Elle me sourit, même. Mais c'est le sourire le plus triste que j'ai jamais eu l'occasion de voir.
Elle semble retenir un soupir, lorsqu'elle me chuchote ;
« C'est un Purgatoire... C'était ça, le secret. »
Tous les yeux se tournent vers Madame Hermary. La Directrice ne prononce pas un mot, conserve la même expression impassible, mais doucement, elle se dirige vers une fenêtre. Lorsque la lumière se dépose sur son visage, je trouve qu'elle a l'air soudainement très vieille.
Ses rides se creusent encore davantage lorsque Marly reprend la parole. Elle prononce des milliers de mots et tourne des milliers de phrases, mais malgré l'émotion dans son regard, le ton de sa voix demeure très stable.
Elle explique des choses invraisemblables, une histoire où les portraits anciens, qui suivent le moindre de nos gestes depuis des années, nous ressemblent plus que nous ne le pensons, et elle persiste dans un récit où le passé de ces peintures pèserait en réalité sur nos épaules depuis toujours.
Par la posture qu'elle adopte, je comprends à quel point Marly est soulagée de révéler tout ce qu'elle a appris ces derniers jours. Ses poings se desserrent, sa tête est plus haute, la tension dans son dos s'évapore.
Je repense à la carte postale, qui se trouve dans le passé, à présent. J'imagine Marly saisir l'enveloppe dans la boite aux lettres, à cet instant précis. Je revois ses yeux hantés lorsqu'elle est sortie du lac gelé.
Alors qu'elle nous dépeint la réalité de l'Orphelinat, je suis de plus en plus convaincue d'avoir écrit les mots justes. Pour la première fois depuis des jours, Marly respire plus facilement.
Je sais que c'est de ma faute, dans un sens. C'est moi qui lui ai imposé ce secret à travers mes écrits.
Et je sais que, depuis le début de ce mystère, de par mon ignorance totale, je n'ai pas été d'un très grand soutien. À titre d'exemple, Mordicus s'est démontré plus à même de l'aider dans cette investigation avec des recherches efficaces.
Mais je me réconforte en me persuadant que j'ai peut-être quand même pu lui procurer un semblant de soutien moral, aussi ténu soit-il.
Coucou, c'est moi.
Les prochains jours seront énigmatiques. C'est normal et nécessaire.
Souvent, lorsque certaines choses deviennent confuses, l'essentiel devient très clair.
Tu découvriras des choses abominables et tu devras les taire à tout le monde. Mais tout ira bien parce que je serais là pour toi, d'accord ? Qu'importe ce qui se passe, tu auras toujours une personne de confiance à tes côtés.
Même si les mots sont légers et peu nombreux, j'ose espérer que malgré la situation, Marly ne s'est pas sentie trop seule, avec ce fardeau. Je me focalise sur ses paroles, alors que l'incompréhension et l'inquiétude des orphelins grandissent sur leurs traits.
« Nous sommes des Corbeaux Blancs, enchaîne Marly. Ni bons, ni mauvais ; nous sommes les deux. Sans punition, ni récompense, nous sommes en attente de jugement. Nous sommes une exception à la pesée des âmes. »

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Les corbeaux blancs
Fantasi"Cet endroit n'est pas ce qu'on imagine, mais par conséquent, nous non plus." Alors que pour la première fois depuis de nombreuses années, une lettre atterrit dans la boîte aux lettres de l'Orphelinat, Marly et Joan vont devoir mener l'enquête sur l...