QUATRE

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MARLY

La fissure s'étend rapidement sous mes chaussures. Pétrifiée, je relève la tête.

J'ai seulement le temps de croiser les regards de Joan et Mordicus, lorsqu'un énième craquement retentit. La seconde suivante, je dégringole dans une eau si froide qu'elle fait arrêter mon cœur. S'enchainent alors une escalade de réactions ; tous les muscles de mon corps se contractent à cause de la température glaciale, me paralysant instantanément et je ne sais même plus si je suis déjà morte ou encore vivante. Puis, comme si mon organisme cherchait un dernier sursaut de vie, une décharge électrique me parcourt de la tête au pied. J'ouvre grand les yeux et par réflexe, mes lèvres s'entrouvrent aussi. L'eau gelée s'engouffre aussitôt dans ma gorge, encombrant mes poumons. La douleur s'intensifie dans mon thorax. 

Je me débats, prise d'une panique viscérale, et cherche la surface du regard. Au-dessus de moi, la couche de glace semble s'étendre sur des kilomètres. J'essaie de repérer la faille dans laquelle j'ai dégringolé, mais ma vision s'étrécit rapidement. Je finis par tendre les mains et tâtonner la glace, à la recherche de la crevasse.

Le froid est si intense que je ne le ressens plus. J'ai l'impression que mon crâne va exploser et mes oreilles commencent à siffler. Je mets quelques secondes cela sur le compte de la peur, quand tout à coup, des vibrations parcourent la couche de givre sous mes doigts. L'eau tremble autour de moi, comme prise de soubresauts, et un grondement rugit depuis les tréfonds du lac.

Lorsque je baisse les yeux, une ombre gigantesque se déplace dans une quasi-pénombre. J'hurle. Ma terreur m'étouffe. Mes mains palpent frénétiquement l'immense couche de glace, mais je sens que ma force me déserte tandis que mes gestes se font plus ralentis.

La pression dans mon crâne augmente et je perds alors connaissance. Je me sens un instant tirée en arrière, avant que l'obscurité ne m'assaille complètement.

Lorsque mes yeux se rouvrent, je suis allongée sur le côté. Mordicus et Joan me font cracher de l'eau. Je vomis jusqu'à avoir des crampes à l'estomac, puis je secoue la tête. Alors que j'essaie de me redresser à quatre pattes, Joan essaie de m'en empêcher ;

« Arrête, repose-toi tu...

-Lac. Monstre. » réussis-je à murmurer.

J'attrape mollement son bras, me relève en titubant et l'oblige à me suivre alors que nous rejoignons la rive d'un pas pénible. Une fois que mes pieds quittent la patinoire, je me laisse tomber dans la neige.

« Repose-toi deux secondes, dit Joan alors que Mordicus nous rejoint. Ensuite, on file à l'Orphelinat, sinon tu vas mourir d'hypothermie.

-Mmh. » grommelé-je, les vêtements et les cheveux dégoulinants.

Mordicus retire son manteau et le met par-dessus mes épaules.

« Ça va ? demande-il.

-Je suis tombée dans un lac gelé. À ton avis ?

-T'es insupportable »

Je l'ignore, et frictionne mes bras afin de récupérer de la chaleur corporelle. Mon cœur bat encore trop rapidement, mais je finis par me calmer. Atteignant les limites de sa patience, Joan lance :

« Allez, tu finiras de récupérer au Manoir ou tu vas mourir ici. »

Elle me tend la main pour m'aider à me lever. J'accepte, puis une fois debout, mes yeux se posent sur le milieu du lac, là où la glace a cédé. Tout paraît si calme, vu d'ici. Si paisible.

« Il y avait quelque chose dans le lac, murmuré-je alors que nous repartons. Une bestiole.

-Une bestiole dans le lac ? sourit Joan. Oui, toi. »

Les corbeaux blancsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant