Chapitre 19

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Profitez d'avoir toutes vos dents, souriez donc en rentrant.

La tête d'Albert Einstein tirant la langue, affichée juste au dessus de la phrase écrite à la main, immobilisa Félix, le poing prêt à toquer à la porte.

Depuis le début de sa tournée de prospectus, il n'avait vu encore aucune porte aussi... vivante.

Jusque là, il avait rencontré une ou deux décorations ridicules : un autocollant de fleur, un petit miroir en forme d'oiseau, ou encore des portraits gênants de vieux locataires, le regard chaque fois trop perdu pour réellement fixer l'objectif... Jamais rien de personnel quoi.

Il se doutait bien que les proches des résidents devaient chercher à embellir un peu les couloirs vides dont la peinture datait d'une autre époque. De son point de vue, ils en étaient juste encore plus glauques.

Mais là, des dessins faits mains et des images humoristiques étaient imprimés et collés aléatoirement devant son nez, donnant à cette porte un semblant de personnalité qui attisa sa curiosité.

Il toqua enfin, et perçu presque immédiatement une voix distante lui crier d'entrer.

"Bonjour Madame, je viens vous déposer le planning.

- Oh ! Est-ce que ce ne serait pas un visage sans ride que je vois là ?! Avant de m'intéresser au papier, dites moi : comment est-ce que vous vous appelez jeune homme ?

- Hmm Félix Madame.

- Félix hein ? Enchantée Félix, vous avez vraiment une bouille d'ange ! Vous commencez à travailler ici ?

- Heu... Merci ? Non... non pas du tout, je suis là que pour aujourd'hui...

- Oh, quel dommage ! Un petit rayon de soleil comme vous, ça égayerait bien mes journées !"

Appuyée sur son déambulateur, la vielle femme s'approcha de lui en cachant sa bouche avec sa main, comme pour lui murmurer un secret :

"Entre nous, les vieilles folles et les vieux croûtons, j'en ai un peu ma claque."

Prit au dépourvu, Félix ne put retenir le petit rire qui passa ses lèvres. Enfin ! Enfin une personne sensée dans cet établissement. Finalement, il allait peut-être réussir à obtenir au moins une discussion cet après-midi ?

"J'aimerais bien m'en plaindre aussi, mais je suis arrivé que depuis 2 heures...

- Alors imaginez après 2 ans !"

Deux ans... La vie était déjà assez dure, alors passer deux années dans un mouroir pareil... Le brun en grimaça assez pour faire rire la résidente à son tour.

"Je peux vous confier quelque chose madame ?

- Tout ce que vous voulez Félix ! Je suis toute ouïe !

- J'ai bien cru que j'allais finir par me taper la tête dans un mur si j'étais encore entré dans la chambre d'une personne qui ne réagissait pas.

- Ah non ! Non, non, non ! Hors de question d'abîmer mes murs jeune homme !"

D'un clin d'œil, la femme lui prit un papier des mains sans s'arrêter de ricaner, et alla le déposer sur le coin d'une table à manger déjà pleine à craquer de documents.

Il y avait une atmosphère particulière qui se dégageait de cette chambre, et surtout de cette personne, que Félix appréciait réellement.

Il ne savait même pas pourquoi il avait osé lui dire une chose pareil, et pourtant cette dame n'avait pas l'air d'en être gênée un seul instant. Elle avait même l'air de partager son ressenti...

Prit dans ses pensées, il scruta la pièce comme dans chaque chambre avant celle-ci, mais rien ne le mit mal à l'aise cette fois. Au contraire, son regard s'arrêta sur les différents tableaux exposés au mur, et plus particulièrement sur deux peintures accrochées de part et d'autre de la pièce.

Sur l'une se dessinait une montagne, non pas sur un ciel bleu bien dégagé et idyllique, mais devant un ciel gris, orageux et menaçant.

Le second l'attira encore plus. C'était une coquille d'escargot, peinte de manière à ressembler à du nacre, un peu violacé, ressortant magnifiquement devant des volutes bleues foncées, vertes et dorées, tellement fines et détaillées qu'il se demandait comment une main pouvait être aussi précise.

"Il vous plaît ?"

Félix ne s'était même pas rendu compte qu'il s'était doucement approché de l'œuvre, complètement subjugué.

"Je le trouve magnifique.

- Merci, c'est moi qui l'ait fait !

- Incroyable... vous avez un talent fou.

- J'ai pris plaisir à le peindre, et c'est ce qui compte le plus pour moi. Et vous voyez la montagne là-bas ? Et bien ma famille n'en veut pas ! Ils auraient préféré un magnifique ciel bleu et un splendide soleil pour illuminer le paysage... Ce n'est pas de ma faute s'il y avait un temps de chien ce jour là !

- Au contraire, il est parfait. Au moins comme ça, il est vraiment authentique.

- Vous aimez la peinture Félix ?

- Pas tellement. Enfin si, j'aime la regarder, et j'aime leur trouver des significations, mais je ne suis pas assez doué pour en faire... L'un de mes amis par contre aurait adoré parler peinture avec vous.

- Alors qu'est ce qu'on attend ? Descendons lui dire bonjour !"

Forcément, il fallait que la conversation s'engage sur, non pas l'unique, mais le principal sujet pour lequel il était arrivé contrarié. Parce que, bien sûr, un peu de répit c'était trop demander dans sa vie. Un bon moment devait toujours, toujours, finir par lui retourner l'estomac.

"J'aurais aimé mais il n'a pas pu venir aujourd'hui...

- Oh, pauvre enfant... Est-ce qu'il va bien ?

- Hmm, je ne sais pas, il était un peu... perturbé... ce matin.

- Alors il faut lui remonter le moral ! Et si nous lui dessinions un petit quelque chose ensemble ? Rassurez vous, rien de trop long à faire, je me doute que vous n'avez pas la semaine !"

La proposition à peine soumise et la femme se retournait déjà pour ouvrir une petite commode placée au pied du lit. Elle en sorti un bloc de feuilles épaisses et une petite trousse remplie de tubes de gouache qui rappelaient à Félix ceux qu'il utilisait enfant. Il s'empara instinctivement du gobelet vide que la femme entreposait avec le reste, et alla le remplir dans la petite salle de bain du studio.

Très rapidement, la vieille femme mania son pinceau et, sans esquisse préalable, commença à orner le papier d'un délicat tournesol. Malgré ses mains abîmées par le temps, en une vingtaine de minutes seulement elle termina son œuvre, qu'elle tendit de ses doigts colorés à Félix.

"Voilà jeune ami, vous pourrez lui donner ce petit cadeau. Il saura comme ça que nous avons pensé à lui ! Et souvenez-vous, même s'il est trop fatigué pour discuter, rien qu'un bon câlin, c'est toujours agréable !

- J'y penserai. Merci infiniment.

- En tous cas Félix, vous avez fait un bien fou à la vieille grand mère que je suis aujourd'hui. Merci à vous ! Si vous saviez ce que ça fait du bien de ne pas parler de la pluie ou du beau temps. Je n'en peux plus de parler de ces inutilités ou de mes maladies. Un vrai moment de partage, c'est toujours plus agréable n'est-ce pas ?

- Oui, oui c'est agréable..."

***

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⏰ Dernière mise à jour : 4 days ago ⏰

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