7. Le château Myolathil

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Qu'espérais-tu ?

Les défis n'en finissaient pas de s'enchaîner. Lorsqu'Edelone en surmontait un, elle avait souvent la mauvaise surprise d'en rencontrer d'autres d'une toute autre ampleur. Sa confiance en elle était grimpée crescendo : elle sortait victorieuse de la majorité de ses combats – exception faite de affrontements avec ses aînés. La position politique de son maître était bien plus houleuse qu'elle ne l'avait imaginée de prime abord. La place du vicomte était convoitée, et s'il fallait attendre qu'il meure de vieillesse pour lui succéder, plusieurs siècles risquaient bien de s'écouler. Alors, de temps en temps, un assassin essayait d'accélérer le processus.

La gardienne dut se familiariser à la douleur d'ôter une vie. Il était terrible de voir l'étincelle quitter un regard sous l'étreinte de vos mains. Mais c'était son rôle, et elle en acceptait la douleur qui alourdissait son cœur. Elle ne s'était jamais bercée d'illusions sur la teneur de ses missions.

Ce n'était donc pas ce défi qui lui était le plus fastidieux, non. C'était plutôt la perte de son pendentif. Peu après qu'il lui soit retiré, elle apprit d'Archibald, le vieux moine, qu'il s'agissait d'un bijou capable de protéger ses pensées. Ce pourrait paraître superflu si elle ne fréquentait pas, chaque jour sa vie, une personne qui se fascinait pour ce qu'il se passait dans sa tête. La demi-elfe qui s'était toujours considérée comme une personne impénétrable dut se rendre à l'évidence : elle était devenue un livre ouvert. Elle ne devait plus masquer ce qu'elle éprouvait mais s'arrêter littéralement de penser, en particulier si ses songes prenaient une tournure inconvenante. Par exemple, elle ne pouvait plus juger le comportement du vicomte lorsque celui-ci se montrait arrogant – ce qui arrivait plus de fois qu'elle ne pouvait le compter en une journée.

Le seigneur de Themar aimait le pouvoir, et une façon de l'exercer consistait à écraser les autres. Edelone comprenait désormais les raisons sous le voile du silence dans ce château. Tout secret partagé dans le dos des mages risquait d' arriver à leurs oreilles. Le savoir était le pouvoir. Edelone fournissait d'immenses efforts pour ne pas mettre en danger ceux qu'elle aimait, à commencer par Lily. Elle s'était rapprochée de la servante et son intuition lui soufflait que son maître ne verrait pas cette amitié d'un bon œil. Son précieux soutien lui était devenu vital. Pour la protéger, elle s'efforçait de basculer ses pensées sur toute autre chose, quitte à se focaliser sur son mépris pour le vicomte.

Même si l'entraînement portait ses fruits, son pendentif lui manquait. C'était une formidable cadeau que Paldir lui avait fait, bien vite détecté par le mage. Et dire qu'il fallut une année à Adren pour comprendre pourquoi il ne pouvait pas lire les pensées d'Edelone. Il était parfois long à la détente.

« Je t'entends »

Edelone se mordit la lèvre, prise sur le fait. Elle était partagée entre l'amusement et la crainte des représailles. Le vicomte ferma son livre d'un coup sec et reposa sa plume dans l'encrier. Son regard plongea dans celui de la gardienne, et elle crut y déceler une pointe de malice. Elle ne saurait dire depuis quand, mais la complicité s'était installée entre eux.

Si mes pensées ne vous plaisent pas, je vous suggère d'arrêter de les espionner, Sir, pensa-telle.

Le vicomte pouffa d'un petit rire suffisant, puis se leva paisiblement de son bureau. Il souffla la flamme de la bougie et récupéra son grimoire à la reliure ornée de dorures. La nuit était tombée depuis longtemps en cette courte journée d'hiver. Arrivé à la sortie de la bibliothèque, il s'arrêta à la hauteur d'Edelone.

— Tu deviendrais presque insolente, sourit-il.

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, Sir, répondit-elle avec le même sourire.

Au service de l'absurde - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant