20. Le mariage

8 3 0
                                    

Tu peux me haïr. Mais ne m'abandonne pas. Ne me tue pas.

Jamais tant de monde n'avait foulé en même temps les jardins du château de Themar. Le soleil baignait la végétation d'une lueur chaleureuse qui inspirait joie et émoi aux convives. Tous étaient vêtus de prestigieux vêtements confectionnés pour l'occasion. Les dames portaient des robes aux tons pastel, brodées de fins motifs ornementaux très en vogue en ce moment. Les hommes avaient passé leurs plus beaux costumes aux couleurs claires, allant du beige au doré en passant par un caramel délicat. L'harmonie des couleurs étaient telle qu'elle ne pouvait qu'avoir été dictée par un code vestimentaire en l'honneur de cet événement singulier.

Et quel événement : le mariage du vicomte de Themar. D'évidence, il s'agirait de la plus grande fête de la décennie. Populaire, jeune, bel homme et prometteur, Adren Heleyra récoltait les fruits d'une réputation impeccable. Il plaisait, il impressionnait, et surtout il créait chez les autres un désir d'être reconnu. Les familles les plus éminentes du Duché avaient reçu leurs invitations moins d'une semaine avant, et bousculèrent volontiers tout leur emploi du temps afin de se rendre disponible pour le grand jour. Même quelques familles privilégiées de duchés voisins s'étaient vues conviées, renforçant les alliances qu'entretenait le vicomte. Qui aurait été assez sot pour manquer le mariage de l'héritier du Comte Sylmaris Heleyra ? Le père d'Adren imposait le respect par une prestance et une autorité naturelle. La légitimité de l'héritage à venir d'Adren Heleyra était sur toutes les lèvres ; certaines murmuraient même qu'il dépasserait son père. C'était en tout cas ce que l'on pouvait ouïr dans les tavernes les plus huppées du duché, d'un chuchotement rendu presque inaudible par l'irrévérence de ces propos.

Les jardins, d'ordinaire déjà ravissants, se trouvaient sublimés par d'élégantes décorations florales. Les couleurs, sans surprises, tournaient autour du vert, du blanc et du doré, emblématiques d'Adren Heleyra.

Parmi les invités se trouvaient certains habitants de Themar qui ne faisaient pas partie de la noblesse mais constituaient des socles de la cité. Les plus captivants restaient les moines du monastère Calice. Tous vêtus de leur tenue de cérémonie, leur unité imposait le respect. Edelone reconnut ses pairs et aperçut quelques nouvelles têtes. Son cœur se serra lorsqu'elle reconnut Akdur. Elle n'avait plus partagé d'entraînement avec elle depuis un certain temps après toutes les péripéties qu'elle avait traversées. Si Akdur savait ce qu'il s'était déroulé au cours du mois passé, elle serait profondément déçue de sa disciple. Edelone ne savait pas échelonner la gravité de ses actes. Qu'avait-elle fait de pire : s'enfuir, essayer de tuer son propre maître ou coucher avec lui la veille de son mariage ? En dépit de ses actes, elle se tenait là, debout, à une place des plus prestigieuses de la cité. S'ils savaient. L'absurdité de la situation lui donna envie de rire. Ou bien en était-ce l'amertume ?

Car oui, après tous ces méfaits étouffés par son maître et complice, Edelone continuait à incarner son personnage dans le théâtre de la noblesse d'Iwatis. Elle assurait la sécurité de celui dont elle avait failli ôter la vie cette nuit, pendant qu'il échangeait des banalités mondaines avec ses hôtes, le sourire aux lèvres et un cocktail à la main. Il était confronté à un véritable défilé de félicitations. L'union des Heleyra et des Myolathil était vue d'un très bon œil par les deux familles et réjouissait la population. Cet enthousiasme dépassait la moine, toutefois elle retenait parmi les arguments la beauté que ce couple allait former ainsi que la compatibilité de leurs caractères. Tout le monde était persuadé qu'il s'agissait d'un mariage à la fois politiquement très pertinent, mais aussi empreint d'un amour sincère. A chaque fois que ces éléments étaient avancés, le Ki d'Adren s'éteignait un peu plus. Les marques de sa peine apaisaient celle qui rongeait sa gardienne. Bien que cela ne changerait rien, savoir qu'il n'éprouvait pas d'amour pour Vaelin' la réconfortait un tant soit peu.

Au service de l'absurde - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant