27. Le comte d'O'Anlun

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C'est chose étrange, que de tenir une vie entre ses mains.

— Tu as entendu quelque chose ? Grommela le garde.

— Rien qui ne vaille la peine de nous retourner. C'est sûrement encore un rat qui s'est échappé des cuisines, on est infesté cette année.

— Ou le couinement d'une bourgeoise dans une chambre à coucher.

Les deux gardes poursuivirent leur ronde tout en s'esclaffant grassement de leurs suppositions. Le tintement des armures s'éloigna dans la pénombre et le bruit de leurs pas s'estompa dans les fibres des tapis feutrés. L'épais rideau ocre se froissa. Ce fut presque imperceptible.

Edelone s'autorisa à reprendre son souffle, dissimulée dans sa cachette de velours. Pénétrer dans l'enceinte du château d'O'Anlun s'était avéré bien plus simple que prévu. Elle avait anticipé cette étape avec appréhension : le comte d'O'Anlun était un personnage éminent dont elle imaginait la demeure solidement gardée. Par conséquent, la gardienne s'était figuré qu'il serait tâche périlleuse que de s'y infiltrer.

Sa première hypothèse se révéla exacte. De nombreux gardes patrouillaient dans la riche cité, et les effectifs se trouvaient renforcés dans l'enceinte du château. Cette configuration lui confirma une chose : Sylmaris Heleyra n'en avait pas terminé avec elle. Si elle avait échappé à l'affrontement avec la redoutable Tahël, mais le père d'Adren n'abandonnerait pas ses projets pour si peu. Sa recommandation en personne d'Edelone pour la mission prouvait qu'il n'espérait qu'une chose : la voir morte et faire ainsi tomber son fils de ses responsabilités nouvelles.

En revanche, sa deuxième hypothèse était fausse. S'infiltrer se révéla être un jeu d'enfant. Adren avait raison : elle était douée pour passer inaperçu, et cette capacité lui ouvrit les portes du château. Elle se mêlait si bien aux ombres qu'une mission nocturne jouait en sa faveur. Le vicomte supposait que Sylmaris avait penché pour cette option afin de l'empêcher au maximum d'être reposée. Le Comte ne savait pas encore qu'il avait ainsi lui-même saboté ses plans.

Cette aisance ne devait pas devenir une excuse pour prendre sa mission à la légère. Edelone ajusta le foulard noir sur son nez et reprit son chemin en tapinois.

Grâce aux indications de son maître, elle trouva ce qui devait être la chambre du Comte. La porte en acajou qu'elle cherchait n'était pas gardée. Le Comte d'O'Anlun estimait superflue cette sécurité, se reposant un peu trop sur la quantité dissuasive de gardes patrouillant dans le château.

Elle vérifia une dernière fois que le couloir était bien dégagé, puis entrebâilla la porte pour se glisser à l'intérieur. Une fois la porte refermée sur elle, Edelone examina la pièce.

La chambre de Persé Lukian baignait dans l'obscurité. Les lourds rideaux contribuaient au nid confortable de la pénombre. Un bureau était installé sur sa droite, couvert de documents en désordre. Une plume résidait dans l'encrier entrouvert du seigneur. Au fond de la pièce se trouvait un large lit rectangulaire, recouvert d'un baldaquin. Sa qualité de demi-elfe lui permettait de voir dans le noir de façon satisfaisante, toutefois elle n'avait pas la chance de voir à travers les objets. Elle ne sut que le lit était occupé que par le battement paisible du Ki endormi qui en provenait.

Un choix s'imposait. Elle avait un avantage certain dans cette configuration, il convenait maintenant de déterminer comment l'utiliser. La gardienne hésitait. Devait-elle faire d'abord taire Persé Lukian par la magie, au risque de le réveiller ? Ou bien était-il plus malin d'essayer de lui asséner un coup fatal directement ?

La seconde option lui plaisait davantage. Il était peu probable qu'un noble soit rigoureusement entraîné et puisse résister à une attaque se voulait mortelle.

Au service de l'absurde - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant