5. Les débuts de la gardienne

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Je te réserve beaucoup de surprises... dont certaines que tu n'aurais jamais désirées.

Les semaines qui suivirent furent chargées. Le vicomte voyagea dans tout le duché pour des visites officielles auprès d'autres politiques éminents afin de se présenter sous ses nouvelles fonctions. Il était déjà bien connu à Iwatis, les mondanités exigeaient simplement qu'il aille saluer ses pairs sous son nouveau titre auprès de personnalités d'un rang égal ou surpassant le sien.

Edelone était jetée dans le bain de l'aristocratie. Elle respectait à la lettre toutes ses prérogatives et s'ajustait en fonction des remarques des gardes et travailleurs de la Cour. Sir Heleyra n'avait que peu à lui reprocher, ce qui semblait créer une certaine frustration chez lui. Son visage contrit ne trompait personne lorsqu'il scrutait les faits et gestes de la jeune femme à la recherche d'une remarque désobligeante à se mettre sous la dent. C'eût été mentir que de prétendre qu'elle ne tirait pas un plaisir coupable à décevoir ses attentes.

Car le vicomte avait rendu évident qu'il n'accordait aucune crédibilité à sa gardienne. Ayant été choisie de manière prématurée, autant dire que la mise en scène de son échec renforçait l'insécurité d'Edelone. L'adversité ne vaincrait pas sans résistance : elle ne se laissait pas entraîner dans ses tortueux rouages. La moine avait une grande capacité à s'adapter, bien supérieure à celle que son seigneur lui prêtait. Elle adoptait d'ailleurs un nouvel état d'esprit : faire semblant d'être une gardienne digne de ce nom jusqu'à le devenir réellement.

Elle suivait le vicomte sans broncher, se tenait toujours très précisément à trois pas derrière lui et connaissait sur le bout des doigts les tenues à revêtir en fonction des circonstances. Chaque jour, elle s'était endormie après lui, et réveillée avant. Cette tâche lui fut facilitée par les nuits de sommeil de huit heures de son maître. Un véritable jeu d'enfant quand elle avait l'habitude d'en dormir six au monastère. Le petit jeu du vicomte s'essayant à l'inciter à un faux pas trouvait son répondant. La frustration du noble montait en même temps que l'amusement d'Edelone.

En ce qui concernait ses missions de garde, les conclusions n'étaient pas si reluisantes. La survie d'Adren Heleyra tenait davantage de l'absence de tentative d'assassinat à son égard qu'aux compétences de sa gardienne. Le soin qu'elle mettait à être irréprochable dévorait toute son attention, si bien qu'elle n'avait pas la disponibilité pour déceler une attaque.

Prendre conscience de cette faiblesse fut la seule ombre au tableau de ce voyage politique.

Sa partie favorite du leur épopée fut l'opportunité de rencontrer d'autres gardiens. A chaque nouveau comté, elle put découvrir les personnes choisies pour protéger cette famille. De toutes races, ils allaient d'un gnome à la voix fluette jusqu'au goliath criblé de cicatrices, témoins de nombreux combats bravés. La plupart étaient des guerriers ou des barbares. Le choix d'un moine apparaissait inhabituel. Il était vrai qu'un demi-géant impressionnait davantage que la frêle stature d'Edelone, et à raison. Ces choix se justifiaient pour une famille d'elfes qui préféraient la pratique de la magie à l'affrontement musclé.

Tous les gardiens portaient l'emblème de la grue dans des coloris différents. Edelone fut déstabilisée de constater qu'elle était la seule affublée de cette marque sur la joue. Celle des autres se dessinait sur leur bras, voire même sous un vêtement. Son maître avait décidément un goût prononcé pour la provocation.

Il était de coutume que les gardiens n'échangent pas entre eux lorsqu'ils étaient chargés de la protection de leur seigneur. Alors, ce fut pendant une nuit qu'elle eut le plaisir de faire une splendide rencontre. Paldir Bap-bap, le gardien de la sœur d'Adren Heleyra, détonnait autant qu'elle au milieu des autres. C'était le seul lanceur de sort qu'elle vit tenir ce rôle. Les mélodies magiques de son ocarina sublimaient les assauts de sa maîtresse, ces deux-là formaient un duo étonnant et décrié. Les Heleyra rejetaient ce qui ne rentraient pas dans leurs normes, et la sœur d'Adren se rangeait chez les marginaux.

Au service de l'absurde - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant