Non, la réalité n'est pas plus douce.
Je n'en suis pas capable.
C'était ce que son for intérieur lui hurlait. Un chagrin innommable la comprimait, écrasait ses tripes. Supporter cette souffrance et continuer à vivre aux côtés du vicomte excédait ses forces. De très loin. Son corps entier vivait la souffrance de son double pathétique, hurlant ses sanglots avachie au milieu de ses cheveux arrachés. Contrairement à feue sa jumelle, elle n'avait pas le loisir de laisser s'exprimer ce déferlement aux yeux de tous.
Accompagnée de Cinalu qui la ramenait au château, Edelone n'était plus que l'ombre d'elle-même. Ses yeux bouffis et son visage pâle trahissaient sa douleur muette. C'était le souffle court, cisaillée par l'angoisse, qu'elle arriva devant la porte des quartiers du vicomte. Elle ne salua pas les deux gardes, fixant obstinément le sol dans l'espoir risible d'échapper à ses spectateurs. Elle aurait aimé s'épargner cette humiliation indigne de son rang.
— Respire, lui murmura son aînée.
Edelone suivit son conseil, comme elle suivait à la lettre les autres. Cette douleur passerait, c'était en tout cas ce que lui avait certifié la maîtresse des ombres. Alors, elle endurerait patiemment ce châtiment à sa naïveté. Car elle aurait dû s'en douter depuis le début : le vicomte ne batifolerait pas éternellement avec sa gardienne, sans jamais prendre d'épouse. Elle s'était complu dans le berceau de l'ignorance. Le destin finissait toujours par rattraper ses évadés.
Cinalu frappa doucement à la porte. Elle porta deux coups, et le troisième n'eût même pas le temps de retentir que la porte s'ouvrit à la volée. Le vicomte portait sa robe de nuit dans une élégante soie d'un vert pastel. Sa précipitation gonfla la tension ambiante. Se cloîtrer dans sa chambre et ne pas avoir de public : voilà ce qu'aurait voulu Edelone. Juste quelques heures où elle ne serait pas au centre de l'attention de celui qu'elle voulait fuir. L'elfe des profondeurs posa la main sur l'épaule de sa disciple. Inspire. Expire.
— Elle est de retour, mais elle a besoin de repos maintenant, affirma l'aînée.
— Je vous remercie, Cinalu. Vous pouvez disposer.
L'intéressée ôta sa main à contre-cœur et tourna les talons non sans avoir adressé une révérence au seigneur. Edelone aurait fait n'importe quoi pour qu'elle reste plus longtemps, toutefois aucun prétexte crédible ne pouvait la retenir ici en pleine nuit. Les bruits de pas s'estompaient et son malaise grandissait. Elle ne voulait surtout pas entrer dans cette chambre. La lourdeur de ses jambes essayaient de l'en dissuader. Le seigneur ne s'embarrassa même pas de la sermonner. Il saisit son poignet et l'attira derrière lui, avant de refermer la porte sur eux. La gardienne fut surprise de voir ses jambes se déplacer naturellement alors qu'elles étaient encore tétanisées un instant auparavant.
Le contact d'Adren l'électrisa. Son corps réagit avant elle : elle retira d'un geste brusque son poignet de son étreinte. Sa chaleur lui était à la fois tendre et déchirante. Elle ne supportait pas ce paradoxe. Bien que surpris, le vicomte ne fit aucun commentaire. Sa gardienne restait plantée dans l'alcôve, le regard rivé sur ses pieds. Son maître s'était délibérément placé entre elle et la porte de sa chambre, lui intimant de ne pas fuir leur rencontre.
Il fit un pas vers elle. Elle recula d'autant. Le contrôle de son corps lui échappait. Des larmes perlaient au coin de ses yeux, fébrile.
— Tu vas mieux ?
L'inquiétude sincère dans la voix de son maître lui donna la nausée.
— Un peu, Sir. J'aimerais aller me reposer, si vous n'avez plus besoin de moi, tenta-t-elle de s'esquiver.
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Au service de l'absurde - tome 1
FantasyC'est dans le nid de la discorde qu'éclot la fascination. Comment s'accorder à une personne en tout point son opposé ? La hardiesse de la tâche est incontestable. En particulier quand l'honneur d'avoir obtenu ses grâces se transforme peu à peu en ca...