10. Malédiction

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Quel goût a ta peau ?

Leurs regards s'affrontaient dans une tension palpable. La limite entre le jeu et l'outrecuidance s'était faite si mince qu'Edelone l'avait franchie par mégarde. Elle testait les limites avec son maître et venait de se brûler les ailes. La provocation les avait rapprochés, qu'en serait-il de la désobéissance ? La gardienne se pensait capable de vaincre Adren Heleyra, pourtant une appréhension la faisait trembler.

— Je n'aurais pas dû, finit-elle par répondre.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, Edelone. Du moment où tu as laissé un homme prêt à me tuer entrer dans ma chambre, ou de celui où tu t'es permise de me parler comme si tu m'étais supérieure ?

Sa voix basse coupait court à tout compromis. Elle ne sut que répondre. Tout ce qu'il disait était vrai. Son regard étrange l'écrasait. Ses doigts brûlaient sa peau.

— Ceux qui se sont permis cette insolence avec moi ne sont plus là pour en témoigner. Crois-tu être protégée par ton statut ? C'est moi qui tiens ta vie entre mes mains, tu aurais peut-être dû d'en souvenir.

Elle n'osait plus respirer.

La prise d'Adren sur sa mâchoire se relâcha. Sa main glissa dans ses cheveux. Ses poils se dressèrent d'un frisson tiraillé entre crainte et désir. Les yeux du vicomte tombèrent sur ses lèvres.

— Tu m'agaces.

Ses lèvres saisirent celles de sa gardienne. Ses doigts s'engouffrèrent dans sa chevelure de jais. Leurs corps se trouvèrent enfin, soulageant une tension trop longtemps négligée.

Edelone enfonça ses deux mains dans les cheveux déjà désordonnés de son maître. La passion dictait ses gestes. Chaque parcelle de sa peau la brûlait. Le contact fiévreux d'Adren lui faisait perdre la raison. Leurs langues se cherchèrent comme deux âmes sœurs se découvrant. Le goût de ses lèvres justifiait de renier père et mère.

Ses principes s'écrasèrent entre les dents d'Adren mordant sa lèvre. Les mains du seigneur se précipitaient sur son obi. Edelone rompit leur baiser pour reprendre son souffle. Son regard brumeux se perdait dans l'étreinte endiablée de son maître. Sa bouche parcourut le cou de la gardienne, comme il aurait dévoré le fruit défendu. Son obi tomba au sol.

Jusqu'à ce que des bruits de pas leur parviennent aux oreilles. La demi-elfe les entendit en première. L'esprit brouillé, elle ne sut identifier le Ki de l'intrus. En revanche, elle eut la présence d'esprit de réaliser qu'il ne découlerait rien de bon à voir Adren Heleyra embrasser sa gardienne dans une pièce où gisait un cadavre.

Ça, elle en était persuadée.

Elle prit sur elle pour repousser le vicomte, hors d'haleine. Il ouvrit la bouche pour protester. Ses intentions s'étouffèrent avant de naître : il entendit à son tour le bruit des pas qui accouraient vers eux. Son demi-frère étalé dans une mare de sang le rappela à la réalité.

La gardienne eût tout juste terminé de rattacher son obi à sa taille que l'intrus arrivait sur les lieux. Et quel intrus.

Vaelin', bouche bée, ne pouvait que constater le spectacle sanglant qui s'était tenu dans sa chambre d'honneur. Edelone ne savait pas ce qui l'horrifiait le plus. Était-ce d'avoir participé au meurtre d'un héritier du duché, ou d'avoir embrassé son maître sur ces lieux ? Elle éprouva une envie impérieuse de rire, à bout de nerfs. Elle parvint fort heureusement à se contenir.

Le regard de l'hôte passa du corps étendu au sol à Adren, empreint d'une sincère inquiétude.

— Que s'est-il passé ? Balbutia-t-elle.

Au service de l'absurde - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant