1 | La différence n'est pas toujours la bienvenue

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Émo

Je suis né avec une différence, et pas n'importe laquelle. Mon père en a honte, une honte si profonde qu'il m'oblige à me cacher des autres en permanence. Il me répète inlassablement que je ne vaux rien, que je ne suis qu'un monstre inutile à ce monde.

Ma mère nous a abandonnés lorsque j'étais encore un nourrisson. Selon mon père, elle n'aurait pas supporté ma "laideur", raison qui justifierait sa fuite loin d'ici. Je peux la comprendre. Après tout, comment assumer ma condition ? J'espère qu'elle a pu se reconstruire et trouver le bonheur ailleurs.

Je n'arrive pas à lui en vouloir, seul mon père reste à mes côtés. Son comportement est exécrable, mais c'est ainsi qu'il exprime son amour, à sa manière déformée. Il m'écarte de la société pour protéger mon secret, cette part de moi "démoniaque" que le monde refuserait d'accepter, toujours selon lui.

J'essaie autant que possible de lui être utile pour toutes les tâches ménagères. Je m'occupe entièrement de la maison en me faisant tout petit, pendant qu'il travaille à l'extérieur. J'espère un peu de reconnaissance de sa part, mais en vainc à chaque fois.

Le royaume a empêché ma descolarisation complète, je suis même inscrit dans le meilleur établissement scolaire qui existe, c'est à n'y rien comprendre, je ne cherche surtout pas à en connaître davantage. Il paraît que je suis le meilleur élève de ma section. C'est peut-être vrai, seulement je n'y prête pas attention. Je suis omnibulé par le fait de rester discret et de m'effacer complètement aux yeux du monde. Si je le pouvais, je disparaîtrai complètement de la surface de la terre.

Dans notre royaume il existe deux clans, ceux qui ont le droit de vivre décemment et au grand jour et les bannis, les pestiférés de la société ceux qui ne méritent que le caniveau, ce qui est notre cas à mon père et à moi à cause du départ de ma mère. Le royaume est très strict, tu n'as pas le droit de divorcer, de partir de ton foyer sans permission, de perdre ton boulot, de devenir alcoolique... si c'est le cas, tu termines chez les bannis. Le royaume veut une société pure et élitiste. Mes résultats scolaires font de moi une exception dans le monde des bannis. Nous sommes les fardeaux de la société et mon père m'en veut d'en être arrivé là. Il ne peut exercer le métier qu'il souhaite. Le royaume assigne à chaque banni le travail qu'il doit accomplir, aucun autre choix n'est possible. Etre un banni c'est vivre en étant esclave du roi et de ses décrets obligatoires.

Pour mon père, je suis la cause de sa déchéance, or j'estime en mon fort intérieur que si ma mère n'était pas partie nous n'en serions pas là. Mon père répondra que si j'étais né « normal », leur vie aurait été différente, donc je me tais. Je reste donc silencieux et invisible à son regard et aux yeux du monde.

Face à la violence quotidienne, je me répète "que c'est pour le mieux" pour apaiser la colère qui gronde en moi. « Après tout, je ne suis qu'un monstre, comme mon père me le rabâche sans cesse, je n'aurais jamais dû naître, j'ai gâché la vie de mes parents, et surtout la sienne ».

Mon avenir est sombre. Je ne pourrai jamais me marier, ni fonder une famille comme tous les villageois. Je suis condamné d'avance, un véritable fléau pour ma famille et ce royaume.

Je pourrai mettre fin à mes jours mais depuis que je suis inscrit dans cette école pour élitiste, j'ai rencontré un jeune garçon qui fait battre mon cœur et illumine mes journées par sa seule présence : Lucas, un jeune de mon âge, nous sommes dans la même classe. Lui c'est le roi du bahut, il peut tout se permettre : mon opposé. Je ne vis que pour le voir chaque jour, sauf les week-end où ma réalité me rattrape inexorablement.

J'évite de montrer à mon paternel à quel point je suis heureux de me rendre en cours, il ne comprendrait pas. S'il découvre qu'un garçon me fait vibrer, ce serait fini de moi et pour de bon. Je signerai mon arrêt de mort ou mon enfermement dans la pièce sous la maison, là où mon père m'a si souvent enchaîné pour me torturer. « Pour mon bien » aime t'il à répéter. Rien qu'en évoquant ce souvenir, mon corps tremble de terreur, hors de question que je sois surpris. Lucas c'est mon secret enfoui profondément dans mon cœur.

L'ange perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant