7 | Eclipse

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Émo

Je me réveille en pleine nuit suite à un cauchemar qui ne m'est pas inconnu. Sa récurrence me dérange même. J'ai voulu une fois en discuter avec mon père, mais il n'était pas à l'écoute, comme à son habitude. Je courais pour échapper à une effroyable bête à trois têtes. Elle voulait absolument me rattraper pour que je sois son prisonnier ; à chaque fois, je réussis à m'en sortir.

Pourtant, j'ai l'intuition qu'un jour elle saura mettre la main sur moi. Ça me fait peur, ce qui est complètement irrationnel, vu que ce n'est qu'un rêve. Il y a six mois, j'ai rêvé que cette bête me griffait. Lorsque je me suis réveillé, j'ai remarqué une marque de griffure sur mon épaule au même endroit que dans mon rêve. Depuis, j'ai la trouille de m'endormir, surtout les nuits où la lune est pleine.

Je me lève pour me passer de l'eau sur le visage. La maison est plongée dans le noir. Aucun bruit, même pas les ronflements de mon père, ce qui signifie qu'il est absent cette nuit ce qui lui arrive régulièrement ; à chaque fois, ce cauchemar refait surface à ce moment précis. Peut-être que je me sens en danger seul dans cette maison. Je trouve ma pensée cocasse. Mon père est mon seul bourreau et sans lui, je suis perdu. Je suis lamentable.

Je profite d'être seul pour déployer mes ailes afin qu'elles prennent leurs aises, ce qui me soulage immédiatement. Un apaisement salvateur, j'aimerais me sentir ainsi à chaque instant. J'ai très peu l'occasion d'être pleinement moi, ce jeune homme mi-ange, mi-humain. Au moment où j'allais battre légèrement des ailes, mon père déboule dans la maison, claque la porte, ce qui secoue la secoue légèrement.
Un jour, tout finira par s'écrouler. Je range mes ailes, mais je n'ai pas le temps de les dissimuler que mon père ouvre la porte de la salle de bain, je sursaute. Il me foudroie du regard. Je me demande une fois de plus ce que j'ai bien pu faire pour provoquer chez lui une telle haine.

« Tu ne comprendras jamais », hurle-t-il. « Cache-moi ces horreurs ou je vais les scier une bonne fois pour toutes. »

J'ai la ferme intention de lui répondre qu'il l'a déjà fait, je me suis évanoui sous la douleur. Hélas pour mon père, quelques mois plus tard, elles ont repoussé. Il a également tenté de les brûler, provoquant le même résultat, sauf que mon dos a été partiellement touché ; j'en porte encore les stigmates aujourd'hui. Il est recouvert de brûlures et de cicatrices. Je me contente de récupérer les bandages que j'ai nettoyés hier. J'enroule une fois de plus mon torse en plaquant mes ailes contre mon dos. L'oppression que je ressens m'étouffe davantage chaque jour. J'aimerais en finir une bonne fois pour toutes, me libérer de ce fardeau autant émotionnel que physique.

Mon père continue à me dévisager avec haine. Je ne doute pas qu'il meurt d'envie de me frapper une fois de plus. Je baisse les yeux, ainsi que la tête. Mon bandage installé, je m'éclipse de la salle de bain en le contournant, il n'a pas bougé. Il sent une fois de plus cette drôle d'odeur que je n'arrive toujours pas à définir,  j'en ai la nausée à chaque fois. Je m'enferme dans la chambre, le seul lieu où je puisse me réfugier et devenir presque inaccessible. Je regarde l'heure, il me reste deux heures avant de partir pour l'école. J'aimerais me rendormir, sauf que je suis engoncé dans mon bandage, j'ai déjà des difficultés à respirer donc dormir m'est impossible, alors je m'envole en pensée.

Je m'imagine libre comme l'air, utilisant mes ailes, les déployant et tentant de voler. J'aimerais connaître la sensation que l'on ressent lorsque l'on s'envole. Je n'ai jamais essayé ; il faudrait me trouver seul dans un lieu isolé, ce qui n'arrive jamais. Mon anniversaire approche et j'aimerais essayer ce jour-là. Je repère depuis plusieurs mois  afin de découvrir un lieu loin de tout où personne ne pourrait m'apercevoir. Je pense l'avoir trouvé. Tout à coup, je pense que ce serait une excellente idée de m'y rendre maintenant. Je m'éclipse en douce de la maison et ce n'est la première fois, je ne perds pas de temps, j'ouvre mon petit placard complètement bancal, il n'est pas de première jeunesse, un meuble que j'ai récupéré lors d'une braderie ; la personne voulait l'abandonner, j'étais heureux de le récupérer pour agencer ma petite pièce qui me sert de chambre. Je prends au hasard un grand sweat noir qui masque les contours de mon corps, un jean également noir, troué aux genoux ; je vais devoir le coudre si je ne veux pas qu'il s'agrandisse. J'enfile mes chaussettes, mes baskets.

Je n'oublie pas mon sac à dos avec les cours. J'ouvre la fenêtre et sors en douce. Mon père n'y verra que du feu, vu qu'il ne s'intéresse absolument pas à moi. Il doit même s'être écroulé dans son lit vu l'heure.

Le jour n'est pas encore levé, mais ça ne saurait tarder. Je me faufile discrètement entre les maisons du quartier des bannis tout en faisant extrêmement attention à ma sécurité. Vivre ici n'est pas une partie de plaisir ; parmi les bannis vivent des criminels de la pire espèce. Il y a souvent des agressions, des assassinats dont le royaume se lave les mains. Mon père et moi avons eu beaucoup de chance jusque-là d'échapper à toute cette violence. Ce n'est pas le moment de tomber sur les mauvaises personnes, tout ça parce que je veux trouver un lieu pour être enfin moi-même.

Il me faut vingt minutes pour m'éloigner complètement du quartier des bannis ; je ne suis pas très loin de l'école et j'y arrive rapidement. Je cherche désespérément l'endroit que j'avais repéré quelques jours plus tôt, impossible de le retrouver. Je m'en veux de ne pas me souvenir suffisamment bien du chemin que j'avais emprunté pour y arriver. Je râle contre moi-même lorsque j'entends un bruit suspect derrière moi. Pas de doute, je ne suis pas seul sur cette route. J'avais la sensation d'être suivi depuis cinq minutes, je pensais que tout se passait dans ma tête, mais non, c'est bien réel. Je pivote discrètement la tête par-dessus mon épaule ; une ombre ressemblant à un être humain se cache derrière les buissons. Pas de doute, je suis suivi. Je ne supporte pas cette sensation qui me colle à la peau depuis que je me suis égaré sur ce chemin que je ne connaissais pas. Mes ailes ont envie de battre, ce qui signifie que je pourrais éventuellement être en danger. Je décide de quitter les lieux rapidement pour rejoindre l'école le plus vite possible.

L'ange perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant