— Hum, hum ! chevrota aussi la Fée-chèvre subitement apparue au côté de Bois-Jolie-Gentil. Félicitations, tu as vaincu ! Mais le soir tombe déjà, pour cette nuit encore, va donc dormir dans mon étable. À l'abri...
— Tu chercheras donc dès demain le roi devenu lapin blotti dans son terrier incertain. Cette fois, tu pourras débuter ta quête à l'aube... Car tu n'auras qu'une journée pour ce faire ! Une seule jusqu'à la tombée du soleil ! Et si tu ne le trouves pas, je te réduirai à cette même existence animalière ! Et dans mes prés, je ricanerai de te voir à ton tour sautiller !
— Oh, je le trouverai ! déclara la bergère déguisée, l'œil vif.
— Je te trouve le teint bien rose et délicat... remarqua Chevrière de très mauvaise humeur, en la scrutant avec... soupçon.
Parce que son regard perçant notait trop de... teintes coquelicoqs... sur la peau pâle de ce jeune garçon.
— C'est que... du saisissement de vous voir surgir... débuta en frissonnant la jeunesse, du bonheur de me voir réussir... j'aurais gardé la couleur du... plaisir !
— Hum, hum, très bien... capitula la vieille fée, si tu découvres le Roi-lapin dans son terrier incertain, demain le mauvais charme sera rompu, foi de bouc velu ! Sur les sept prairies, de moutons il n'y aura plus. De lapin, il n'y aura plus. Des hommes, des princesses et un souverain à part entière, ils seront tous redevenus !
Et sur ces mots, Chevrière disparut !
Le lendemain – dès l'aube blanche ! – Bois-Jolie s'empressa, posant l'écaille rutilante de la Dame-de-la-nature dans tous les prés ! Mais attrape-t-on ainsi un roi devenu lapin mauve ? Parmi plus d'une centaine de terriers cachés ? Et qui se sauve au moindre tintouin ? La première heure passa ainsi, vaine de recherches et pleine d'insuccès. Puis la deuxième, troisième... quatrième... et ainsi de suite jusqu'à l'heure du coucher du jour ! Où la jeune fille se désola totalement, les traits tirés de tant retenir ses larmes, le corps tremblant de ressentir tout son drame à venir, le front brûlant de déposer enfin les armes !
— Je suis perdue... ne put-elle que chuchoter.
Cependant, l'esprit lui revint aussitôt à l'entente d'un pas feutré qui se rapprochait...
Ooooh ! C'était encore le premier fils de la cabre ! Bois-Jolie se comprit démasquée dans son rôle de Bois-Gentil ! Et elle n'avait point tort ! Cet enfant de fée était tout aussi beau que fort éclairé ! Et malgré le déguisement de paysan de la jeune fille, il ne l'avait pas seulement vue depuis deux instants qu'il l'avait devinée et, après deux ou trois autres regards forts respectueux et un peu tendres, en était devenu amoureux !
— Je ne comprends point, Monsieur de Bois-Gentil, s'avisa-t-il à lui dire alors qu'elle évitait avec soin son regard et le bouquet de foin au beau nœud vert qu'il lui tendait, comment quelqu'un d'aussi ingénieux et courageux que vous l'êtes, puissiez être aussi terrassé que vous le paraissez d'un sort encore ravaudable ? Et si je pouvais aisément mettre fin à votre désespérance, je me laisserais à vous dire ces quelques paroles d'amitié. Songez donc que le petit matin et le grand jour sont aux moutons ce que l'aube, le jour tombant et aussi une part de la nuit sont aux lapins !
À cette déclaration, la bergère se figea telle de la pierre ! Parce que c'était LA vérité ! Et elle savait désormais qu'elle pouvait encore se sauver et comment parfaitement le faire ! Se relevant aussitôt du sol où elle s'était laissé choir dans sa désolation, elle saisit la brassée de foin que lui tendait le beau jeune homme attentionné et, mettant son sac de paysan à son cou, en prit les cordons puis alla s'allonger sans plus bouger dans le pré le plus élevé ; afin d'attendre que quelque rongeur vienne s'y fourrer pour manger ce qu'elle y avait entreposé. Les souverains aiment toujours la hauteur ; tout petits garennes qu'ils soient devenus ! Le trône est leur plus précieux objet ! Et la bonne chère est toujours un luxe de palais pour ces derniers ! Adieu donc l'écaille, mais bonsoir succulent repas de foin ! Le soleil tombant allait aussi aider à la tâche car avec lui les bruits alentour faisaient relâche... et avec moins de tintouin se pointeraient les lapins !
Sa patience ne fut guère longue ! Voilà qu'un rongeur s'empressait déjà vers les appétissants végétaux ! Puis deux, puis trois ! Diantre, ça venait de tous côtés, se jetait dans le sac grand ouvert, bataillait sec pour en ressortir avec la bonne chère ! Tentait de se rogner l'un l'autre l'oreille ! Oooh, la jeunesse se sentit agacée en même temps que fort fort amusée ! Parce que l'un d'eux avait le plus beau des pelages – couleur de mauve ! – alors que tous ceux des autres évoquaient le Garenne sauvage...
— Le luxe de cette fourrure à la teinte améthyste ne me laisse aucun doute, Votre Majesté ! déclara l'astucieuse bergère, en saisissant ledit herbivore.
— Hum, et la hardiesse de vos dents non plus ! s'écria tout haut la jeune fille que ce lapin avait... mordue ! Pardonnez ma familiarité Votre Altesse mais c'est ça ou vous restez à jamais animal ainsi que vos filles-princesses !
— Hum, hum ! racla la Fée-chèvre brutalement apparue alors que le jour disparaissait à peine dans des teintes d'orange. Bien estrange que tu aies encore gagné ! On t'y a aidée !
Coquelicoqs : De l'Ancien Français (du 16e siècle). Pour désigner la fleur rouge clair et vif du coquelicot.
Éclairé : Intelligent, rusé, sage.
Ravaudable : Dérivé du vieux mot datant du 16e siècle Ravaulder. Cela veut dire qui peut être ravaudé, raccommodé (en couture), rapiécé ou réparé.
Couleur de mauve : Allusion à la fleur (La Mauve) et à la teinte.
Le Garenne : Pour désigner le lapin de Garenne qui vit dans des espaces herbeux ou boisés (truffés de réseaux de terriers) où ils sont nombreux.
Estrange : Vieille version du mot étrange datant de l'an 1050.
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CONTES DE FEES L'anthologie d'ATHENA CALLEA
Fantasy© Tous droits réservés. Je vous propose là un recueil de mes contes de fées. (pas tous) Il y en a (aura) pour tous les goûts. Comme vous pouvez (pourrez) le voir, il y a (aura) des contes qui sont (seront) écrits de manière littéraire. Avec des mots...