CONTE-GENTIL DE BOIS-JOLIE Chapitre 10

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Las, ce n'était point là leur seul malheur ! — Oh non, c'est tout à fait la nuit ! se désola le garçon de la fée à qui sa mère avait laissé le parler !

— Il faut vite nous cacher avant qu'il ne nous remarque ! entama d'expliquer le jeune bouc aux sabots d'argent qu'il était désormais en voyant de l'incompréhension dans le regard caprin que Bois-Jolie avait cependant gardé gris.

— Tous les soirs, mon cadet se change en bouc noir ! Et sème la terreur sur le troupeau, le désespoir ! Vous n'en aviez rien remarqué ni su parce que ma mère vous avait offert l'abri de son étable pour les nuits ! Car si le jour, c'est moi qui gardais les prés, dès le crépuscule passé c'est mon inquiétant frère qui prend le relais...

Le gentil Caprécieux avait à peine prononcé ces paroles qu'un fort bruit de sabots retentit ! En même temps qu'un prénom que semblait marteler ce pas alourdi :

— Ca-bri-ce ! Ca-bri-ce ! Cabrice !

À cette entente, la jeune bergère – toute blanche chèvre qu'elle était devenue – en frémit violemment dans la nuit.

— N'ayez crainte, ma douce, je vous protégerai de lui ! promit le beau bouc en voyant la pâle biquette trembler de peur. Je lutterai s'il le faut, dussé-je y laisser l'existence !

Le courageux pâtre avait à peine dit ces mots que son mauvais cadet surgit à son côté :

— Ta déclaration à cette belle cabre ne sera point perdue dans l'oreille d'un sourd puisqu'à cette promesse de mort j'accours ! Et dès cet instant fatidique, je vais vous offrir cette peine !

— Ah mon frère !

— Crois-tu que parce que tu m'as précédé à la naissance, aîné-né, je t'épargnerai ? ricana le bouc sombre à la barbe lustrée. Certes pas !

— Crois-tu que je laisserais passer une telle beauté, poursuivit-il en bêlant malicieusement à la face de Bois-Jolie-Brebis, alors qu'elle est à ma portée ? Le vice est mon délice et, dès ce moment, je vais m'atteler, ma frêle, à t'en accabler !

— Certes jamais ! s'interposa prestement Caprécieux, faisant barrage de ses cornes afin de protéger la précieuse et vaillante Bois-Jolie toute transie. Je te défie s'il le faut, Cabrice ! Dussé-je pour cela y laisser ma vie !

— Soit ! Puisque tu persistes, idiot que tu es, je vais d'abord te combattre jusqu'à ce que tu n'existes plus !

Et Caprécieux – tout bouc aux sabots d'argent qu'il était désormais – se rua contre son cadet dans la nuit devenue opaque...

Cinq nuitées se déroulèrent ainsi ; le fils aîné de la Cabre-fée gagnant toujours, luttant jusqu'au petit jour ; Cabrice, revenant chaque soir avec vice, afin de le tuer... La cinquième nuit – plus violente que les autres – eut cependant finalement raison des forces du gentil bouc aux sabots d'argent. Et ce fut avec les premières lueurs que, sur l'une des prairies, ce dernier se laissa soudainement aller. Bois-Jolie – qui ne pouvait parler ni même pleurer hélas ! – sentit sa panse poilue se serrer de chagrin, et alors qu'elle bêlait de détresse à la pensée de la mort certaine de celui qu'elle avait appris à aimer... l'espérance lui revint avec la touche d'une petite mouche... venue se poser sur le coin de sa bouche !

— ZZZZzzz ! vibra-t-elle en frottant ses fines pattes. Qui s'épanche à s'en fendre la barbe blanche ?

C'était – mais bien sûr ! – la Dame-de-la-nature qui avait revêtu là son plus bel habit d'insecte ! Coquette, elle avait serré au plus fort sa taille et agrémenté ses gros yeux de reflets zinzolins et d'un voile ajouré de dentelle ! Maraudant par là, elle avait vu s'effondrer, entendu se désespérer, senti mourir et s'était dépêchée – comme ses innombrables compagnes ailées et zélées ! – vers ces deux biquettes dans la pâture !

— ZZZZzzz ! Qui s'épanche donc à s'en fendre la barbe blanche ? redemanda la fée-en-ailes.

— Ce ne sont que moi que nous ! bêla de toute son âme la jeunesse bergère tout à fait dépressive car elle pensait que la dame ne la comprenait. Nous, Bois-Jolie, encore fille des alpages hier ! Et Caprécieux, premier né de Chevrière !

— Grand malheur Bois-Jolie Jolie-Bois, c'est toi ! s'affola la fée-mouche qui avait tout saisi. C'est à nouveau moi ! Dame-nature !

— Comme je suis heureuse de vous retrouver ! Et comme je suis soulagée que vous me compreniez ! s'exclama de plus belle la pauvre jeune fille métamorphosée. Figurez-vous que je me désespère ! La chèvre s'est si mise en colère à la vue de mon déguisement de garçon qu'elle l'a pris pour tromperie, et l'aide que m'a apportée son fils, elle l'a jugée comme vice ! Et je ne suis désormais qu'une frêle biquette condamnée à ses sept prés ! Et ce cher Caprécieux sur le pas de décéder en bouc, parce qu'il lutte pour me protéger chaque nuit de son cadet !

— Ne te désole plus Bois-Jolie Jolie-Bois ! vrombit la mouchette en accélérant ses vols carrés dans l'air. Ton aimé ne va point mourir car je vais le sauver ! Et toi aussi ! Avec mes ailes d'insecte, je vais alerter mes aériennes amies et, Chevrière, nous allons toutes ensemble persuader !

— Mais... mais avec son mauvais caractère, il vous sera impossible de le faire ! Elle ne cède jamais !

— ZZZZZZZZZZZ ! vibra de plus belle l'époustouflante Dame-nature avant de zigzaguer. C'est ce que tu crois !

Et toutes les mouches des environs se rassemblèrent et fondirent sur la Fée-chèvre ! Tant et si bien que celle-ci en perdit son latin, sa méchante humeur et – étonnement ! Miracle ! – sa forme de cabre grise ; redevenant ainsi vieille femme ! Et mère !


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CONTES DE FEES L'anthologie d'ATHENA CALLEAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant