CONTE-GENTIL DE BOIS-JOLIE Chapitre 3

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En cet instant précis... à des lieues et des pieds de là, la petite Bois-Jolie avait bien poussé et poursuivait de le faire en grâce et en beauté au sein des verts prés montagnards de sa bergerie familiale.

D'ultime bourgeon de l'existence de ses vieux parents, elle était ainsi devenue la plus charmante petite fleur qui soit. Et les bergers, ayant compris que plus rien ne leur manquerait désormais pour être heureux à jamais, s'étaient enracinés peu à peu, enlacés à une vie d'ermites. Parce que le bonheur est inconscient et irréfléchi quand on y dore et le savoure chaque jour...

Bois-Jolie atteignit donc l'âge de raison dans le plus grand isolement. Et si elle n'avait vécu dans place si retirée, on eut dit qu'il n'y avait certainement pas plus belle plante à la ronde, teint plus blanc, peau plus lisse ; qu'il n'existait sans aucun doute point plus admirable bouche carmine, arc de cupidon plus arrondi, ni savoureuse vivacité à des lieues et, indubitablement, pas plus désirable fille dans le pays avec ses yeux gris !

Mais il est dit que le malheur est toujours jaloux de si grand bonheur et si longue sérénité.

Il est écrit en outre que l'existence est un cycle en perpétuel mouvement... Rien n'est jamais immuable. Malgré les apparences. Et la vie alterne toujours, tôt ou tard, avec sa sœur...

Il arriva ainsi une année très fâcheuse. La mère mourut. Et le père la suivit de chagrin. Bois-Jolie se retrouva seule, ses parents n'ayant point songé à la placer, du fait de la trop tendre félicité dans laquelle ils vivaient.

Cependant, il paraissait que la jeune bergère était aussi résistante que le bois qui l'avait fait naître... Le bon père porté en terre, les larmes du chagrin à peine essuyées, elle s'était relevée ; prête à accomplir une journée de travail comme à l'accoutumée.

N'ayant nul autre endroit où se rendre et ne connaissant quasi rien du monde, elle demeura dans ses chères montagnes, s'attelant à survivre par ce qu'on lui avait appris le mieux... Le destin l'ayant taillée en orpheline, son troupeau devint sa seule famille, ses seuls amis.

Cinq ans de dur labeur et de solitude dans les hauts alpages eurent cependant finalement raison d'elle.

Le cinquième été, plus loup qu'ordinaire venait de lui emporter ses derniers agneaux. Mangés ! Et alors qu'elle pleurait, le ventre serré de douleur à l'idée de son propre décès prochain, l'espoir lui revint sous la forme d'un gros ours.

— Grrrrreu grrreu ! bougonna ce dernier en balançant du museau. Qui larmoie donc ses petits agneaux ?

C'était en fait la Dame-de-la-nature qui avait revêtu son plus bel habit de poils. Coquette, elle en avait lustré et peigné l'épaisse fourrure. Galopant par là, elle avait entendu pleurer et s'était intriguée de renifler jeune humaine en un lieu si élevé !

— Grrrrreu grrreu ! Qui larmoie donc ses petits agneaux ? répéta la fée-en-poils.

— Ce n'est que moi, répondit la bergère à peine revenue de son hébétement, ce n'est que Bois-Jolie.

Car bien que née dans les altitudes, cette beauté montagnarde n'avait jamais vu la Dame-de-la-nature ni encore moins un ours causer !

— Ne perds pas espoir, Bois-Jolie Jolie-Bois ! gronda la dame-à-fourrure, qui en un mouvement de pattes avait compris son malheur. Dès la fuite des loups, dirige tes pieds vers le village d'en bas...

— Mais les loups ne fuient point !

— Grrrrreu grrreu ! gronda encore la susceptible fée avant de s'élancer pour les traquer. C'est ce que tu crois !

Et les loups se mirent à fuir devant la Dame-ourse !

Bois-Jolie, qui était assez judicieuse pour reconnaître une amie d'une fâcheuse, s'empressa donc vers le hameau situé au pied de sa montagne. Quelle ne fut sa surprise et sa détresse à la vision de ses rues désertées ! De ses habitations vidées !

Parce que la guerre avait éclaté depuis deux années déjà et emporté avec elle tous les hommes valides puis les populations, effrayées d'être pillées ou malmenées tant les frontières ennemies se trouvaient de plus en plus proches au fil des batailles !


Lieue 	: Le kilomètre de l'époque ! Cette mesure de distance 	correspondait à peu près à 4 km

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Lieue : Le kilomètre de l'époque ! Cette mesure de distance correspondait à peu près à 4 km.

Ermite : Personne décidant de vivre seule et coupée du monde.

Carmine : Les (hommes) précieux et (femmes) précieuses utilisaient ce mot pour désigner le rouge vif !

[...] Teint plus blanc, peau plus lisse[...] Bouche carmine [...] Arc de cupidon plus arrondi[...] : Le teint blanc, la peau lisse, la bouche carminée (donc rouge clair) et l'arc de cupidon arrondi par le pinceau de maquillage sont des allusions à la mode en vigueur ou au look que les dames avaient à la Cour de Versailles sous Louis XIV.

Sérénité : Tranquillité, bonheur, paix...

Fâcheuse : Désolante, déplaisante, mauvaise.

À la placer : À lui trouver un emploi.

Alpages : Prairies de haute montagne où les bestiaux mangent. On dit alors qu'ils pâturent.

Hébétement : Être stupéfait, surpris.

Judicieuse : Qui juge bien.

Fâcheux : Personne qui importune, qui gêne et n'aide pas.

Pillé : Volé, dépouillé, mettre à sac.

CONTES DE FEES L'anthologie d'ATHENA CALLEAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant