CONTE-GENTIL DE BOIS-JOLIE Chapitre 11

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— Grand malheur mon garçon, que t'ai-je fait subir, perdue dans ma fureur continue ? chevrota-t-elle de sa voix cassée par le temps en se précipitant auprès de son enfant brisé.

— Mais tu n'es pas mort encore, par ma houlette merci ! remarqua-t-elle tandis qu'elle enlaçait son corps de bouc essoufflé. Bois donc ma potion pastorale, celle-là même infaillible pour tout mal et qui a guéri la douzième princesse destinée à mourir...

Et comme elle venait de dire, aussitôt il fut accompli ; le beau Caprécieux au corps d'animal fut ainsi vitement... sur sabots d'argent remis !

— Hélas mère, je ne vous en veux point... déclara-t-il dès qu'il se sentit la force de s'exprimer. Mais si vous vouliez bien faire cesser ce chaos tout entier qui ne sème que malheurs dans ce joli pays, je vous en serais reconnaissant !

— Tu as raison, approuva-t-elle sagement, il est temps de faire la paix.

La fée avait à peine prononcé ces paroles que le Roi-lapin – qui s'était reblotti depuis de nombreux jours dans son terrier incertain – redevint le souverain habillé de brocarts mauves qu'il était, de la terre sur ses joues royales étalée.

— Sanbleu, quel fort fort fort fort fort affront, c'est un peu fort ! grimaça-t-il, immédiatement indigné.

Ce Bon-roi-mauve avait à peine grommelé émergeant de dessous de son haut pré que ses six princesses-moutonnes – qui vaquaient à brouter des herbes de-ci de-là – redevinrent également les précieuses vêtues de soies et d'améthystes qu'elles étaient ; des végétaux dans leurs bouches rouges enfoncés.

— Zinzolin et incarnat, quelle peu précieuse atrocité ! tremblèrent aussitôt ces dernières, scandalisées.

Ces beautés brillantes s'étaient à peine choquées, redressées sur leurs pieds chaussés, que le plus ancestral et talentueux magicien, les puissants mages, les plus grands académiciens, les nobles érudits, les princes, les soldats, et même les chats bottés redevinrent dans l'instant les braves qu'ils étaient, des végétaux dans leurs bouches sévères, rouges, fêlées, félines enfoncés.

— Tudieu, morbleu, diantre, quelle infamie ! crièrent-ils de concert, déconcertés.

Cependant, certains sentiments passent aussi vitement qu'une jeune fille fuyant un bal, et tout ce beau monde à se voir de nouveau humanisé ne trouva pas mieux que de faire éclater sa joie dans un tel boucan qu'il en résonna par-delà les sept prairies, les sept collines en pis et les sept montagnes vertes-de-vessie !

À l'entente de ce terrifiant bruit faisant écho dans tout le royaume, les armées ennemies les plus superstitieuses fuirent instantanément les combats, rebroussant chemin vers leurs frontières ! Qu'étaient-ce donc que ces cris... d'ogres ! Il y en avait donc en ce riche pays ? Sauve qui le peut !

À l'écoute de cet insolite tintamarre, les troupes les plus stratégiques arrêtèrent également leurs batailles, préférant repartir à l'abri de leurs campements ! Qu'était-ce donc que cette cacophonie ambiante ? Il y avait donc une contre-attaque à laquelle on n'avait point pensé ? Vaille que vaille, que tous se replient !

Au même moment – non loin de l'ancestral magicien, des puissants mages, des plus grands académiciens, des nobles érudits, des princes, des soldats et des chats bottés à peine désensorcelés ! – la brave bergère et le romantique fils de la cabre redevenaient la belle Bois-Jolie aux yeux gris et le doux Caprécieux à la guitare qu'ils étaient...

— Chose promise, chose due, jeune fille ! prononça alors Chevrière – qui leur faisait face – d'une voix étrangement émue. Je n'ai pas oublié ma promesse du bâton pastoral à donner au vainqueur afin qu'il anéantisse et souffle net toute entreprise martiale ! Je te le laisse donc, jeune victorieuse, pour que la guerre cesse !

CONTES DE FEES L'anthologie d'ATHENA CALLEAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant