Chapitre 6

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"Je ne me souviens pas.

-Comment ça ?

Il se tut, et réfléchit un instant. Non vraiment, il ne voyait pas. -Je me souviens de ce qu'elle prenait le matin. Je me souviens de l'heure exacte à laquelle elle se levait le mardi. Je me souviens de notre premier baiser. Mais je n'arrive pas à me souvenir.

-De quoi n'arrivez-vous pas à vous souvenir ? Vous semblez pourtant bien vous rappeler.

Il soupira. -Vous ne comprenez pas...

-Expliquez moi.

-C'est vous qui êtes là pour ça ! Vous qui devez m'expliquer ! Et non pas l'inverse. 

Ce fut à son tours à elle de soupirer. -Nous en avons déjà parler M. Deeks. Je ne peux pas vous aider si vous...

-Je n'ai pas besoin d'aide ! 

-Molière a dit : On entend les discours mais on ne voit pas les cœurs. Laissez moi vous aider Marty. Vous entendez votre propre discours et êtes incapable de vous entendre réellement. 

L'Agent Deeks ferma les yeux. Il se souvenait de toutes ses petites habitudes. La mèche de cheveux rebelle qui refusait de se glisser derrière son oreille. Les chaussures déposées dans l'entrée. La tasse de café toujours posée au bord du comptoir, presque à deux doigts de tomber. Les petits détails, il s'en souvenait sans problème. 

-Je ne me souviens pas.

-Comment ça ? 

-Je ne me souviens pas de ce qui a précédé... ça. Elle ne dit rien, l'encourageant à poursuivre. Vous voyez, je me souviens de l'endroit exact où elle posait sa bière sur ma table basse. Pourtant, je n'arrive pas à comprendre comment tout cela a pu arriver. Nous étions heureux. Tous les deux. Même en temps de guerre. Nous étions heureux. Elle et moi. Et tout a basculé. Je n'arrive pas à me souvenir. Comment cela a-t-il pu arriver ? Si au moins, je me rappelais de ce jour-là... mais je n'y arrive pas. J'ai essayé. Vraiment essayé. Je donnerais n'importe quoi pour y arriver. Mais c'est impossible. Quoique je fasse, jamais je ne me souviens. 

-Peur du souvenir ? 

-Je ne sais vraiment pas.

***

Il n'était pas le seul à ne pas comprendre. Ses yeux n'avaient pas quitté le carrelage froid depuis des semaines. Rien n'avait jamais atteint Henrietta Lange. Mais une perte, c'était plus fort que tout. Et elle s'en voulait. Des pas. Quelqu'un s'approchait. Sans lever les yeux, elle savait qu'il était là. "Dans trois jours. J'ai fixé la date pour dans trois jours. Nous espérons vous compter parmi nous." Ce fut trop pour elle. Hetty se leva, posa d'un geste brusque ses mains sur la table. Serra les poings. Deux grosses larmes se formaient dans ses yeux. 

"Owen... Comment osez-vous ? Comment osez-vous vous présenter ainsi dans mes locaux ?! Revenir, fier, mais seul ! Vous avez gagné une bataille ! Une vulgaire bataille. Au prix de combien de vies ? Combien ? Les avez-vous compter ? Les avez-vous ressenties ? Nous, nous l'avons fait. Nous connaissons le poids de la perte. Mais jamais cela ne vous a traversé l'esprit ! Owen Granger, êtes-vous si peu humain qu'il vous est impossible de respecter la douleur des blessés ? 

-Je l'ai vue. J'ai vu la douleur de trop près. Et je ne veux plus avoir à l'affronter. Je ne suis pas inhumain. Je suis seulement un lâche. Ne pensez-vous pas qu'il soit difficile pour moi aussi de faire cela ?

-Vous ne savez pas ce que c'est ! Vous ne savez pas quelle terrible douleur est infligée aux autres membres de la famille. Le plus dur, c'est pour ceux qui restent. Vous, vous ne vivrez pas avec son souvenir. Vous l'oublierez. Nous, jamais nous ne nous en détacherons ! Alors comment osez-vous vous présenter ainsi devant mon bureau et annoncer d'un ton solennel que l'enterrement aura lieu dans trois jours ?! Comment osez-vous Owen ?!"


 Ses bras tremblent. Et plus que jamais cette femme a besoin d'être réconfortée. Elle ne peut pas supporter cela. Elle ne peut plus. Parce qu'elle en a trop vu. Elle a côtoyé la douleur de bien trop près au fil des années. Elle ne peut plus supporter ce poids devenu trop lourd. Elle s'effondre. Elle s'écroule. Ses genoux cèdent. Son petit corps touche le sol. Autour d'elle, des cris. Mais maintenant, plus rien ne l'atteint. Elle en a trop vu. Elle ne peut plus. Ses yeux se ferment. Les cris. Mais elle ne peut plus. 


Voilà, j'espère que ça vous a plu ! Une petite idée de la suite ?

I will be back.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant