« ON EST LE 19 SEPTEMBRE, il est 13h14 et Ophélie à l'appareil.
Je ne dis pas que j'ai la science infuse, mais j'ai vraiment l'impression parfois, que je suis la seule à avoir conscience de certaines choses à la maison. Alors, oui, étudier la sociologie, ça ne change pas forcément qui on est, mais ça modifie clairement le rapport au monde. Hier à table, Cloé a détesté ma remarque sur les relations hétéro' et toutes les dynamiques pourries qui existent entre les deux genres. À la poubelle, le lesbianisme politique. Elle méprise au fond les hommes autant que moi, mais ne veut pas d'animosité contre eux. Moi je les déteste, tout court.
Ça me blesse parfois quand les filles ne comprennent pas que ça me touche. Je déteste les voir souffrir pour des mecs avec deux neurones. Ça m'insupporte de les voir répéter les mêmes erreurs avec tous les cons de la planète. Elles sont tellement puissantes mais elles ne le voient même pas. Je déteste quand elles pensent que je sors les grands concepts pour leur faire la morale, pour me la péter. Mais en fait, c'est vraiment une révolution à 360° dans ma tête, d'étudier vraiment la socio', lire vraiment les essais qui m'emballent, terrée dans mon lit. Je dévore tout: Bourdieu, Mauss, les féministes matérialistes, Goffmann tous ces noms qui s'entremêlent et que les autres de ma classe connaissent déjà. J'ai l'impression d'avoir une lourde responsabilité maintenant, que je ne peux plus échapper à certains questionnements.
Dans ma communauté en ligne, d'une asso' féministe à laquelle j'appartiens depuis des lustres, on arrête pas de débattre sur trois milles choses à la fois. C'est une bouffée de stimulation, mais assez lourd à la longue. On parle de créer une revue, j'aimerais tellement écrire dedans... mais où trouver le temps?
Si je ne reste pas dans mon lit pour faire du crochet, je suis au comptoir d'un café en train de servir des grenadines. Si je ne suis pas en cours, je suis en train de lire des livres empruntés à la BU. Et si je ne suis pas avec mes amies dans le salon, je joue à des jeux en ligne. Ma vie est bourrée de stress, de moments calmes et de temps lourds; c'est rempli sans l'être, et je passe la plupart de mes journée seule dans la ville. Les filles pensent que je ne veux jamais sortir, jamais rencontrer de personnes sauf elles; mais c'est déjà tellement intense de parler à des personnes en ligne, de vivre mes journées. Le taf m'épuise. C'est trop bizarre d'être dans une bonne université à Paris. On existe à peine mais on croit qu'on peut faire de grandes choses. Tout le monde se sent mériter une place spéciale, un rôle dans le monde. Bullshit. J'ai trop de colère. »
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Quatre-coeurs
Romantizm« Une coloc, on en a toujours rêvé à quatre, depuis qu'on se connaît. C'est rare, de garder ses amies, de la primaire au lycée. Cloé, on l'a rencontrée au collège; Ophélie en seconde. Anne et moi, c'est depuis toujours, le premier toboggan, la premi...