II. L'oisillon

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Amasya, Domaine de l'Empereur Dragon.

Mois de l'affection, An 2012.

" Ta posture est encore mauvaise, petite. Aucun souffle ne passera dans tes poumons si tu continues à comprimer tes bras contre ta cage thoracique."

Les épaules voûtées, la tête basse. Je fermai les yeux, attendant l'arrivée des prochains coups.

"Tes bras tremblent ! Stabilise ta poigne, tu n'as aucune force !"

Ce n'était pas l'envie qui me manquait d'exécuter les demandes de mon maître. Seulement, il semblait que depuis les premières brutalités subies de mon corps, ce dernier avait développé une volonté qui lui était propre. Et qui, bien sûr, ne souhaitait pas s'unir avec ma pensée ardente qui lui criait de bouger, de réagir au son de la voix intransigeante de cet homme, prêt à m'asséner sa discipline.

L'émotion la plus primaire de toute créature me faisait face ; la peur. Elle avait engourdi mon être tout entier, jusqu'à étouffer la moindre étincelle de courage.

"Protège tes points vitaux ! Tu n'écoutes donc rien de ce que l'on te dit ?!"

Une fois de plus, en un battement de cils, l'impact du poing coupait mon souffle. Et l'enfant chétive que j'étais se retrouvait violemment propulsée à terre. Même après moult journées à répéter ce même schéma, je ne voyais toujours pas l'effet du renforcement que l'on me promettait...

Je ressentais tout, absolument. Chaque muscle endolori, chaque ecchymose, chaque fragment de peau écorché par la honte et l'incapacité... J'avais mal. C'était une douleur que l'on pouvait difficilement accueillir à un si jeune âge. Mes larmes étaient tout ce que j'étais en mesure d'offrir en réponse ; des perles salées de détresse qui roulaient en silence sur mes joues. Je n'osai pas lever les yeux, sachant que je ne croiserai que la déception dans le regard de celui qui vouait son temps à m'élever vers ses propres attentes.

"Je n'ai eu qu'à te frôler pour te mettre à terre... Tu es trop lente, trop faible. Et tu n'as même pas de nom. Une coquille vide comme toi ne peut pas espérer avoir sa place chez nous... Tu ne tiendras jamais..."

Les mots claquaient à mes oreilles, résonnant comme des coups de fouet dans le silence oppressant de la pièce. Si forts, plus tranchants que la lame qu'il tenait entre ses doigts. S'en était trop. Jusqu'à présent, je n'avais connu que le froid d'un bout de métal frappé sur les doigts en guise de punition. Et même si autrefois, le timbre réconfortant de mes parents devenaient parfois des rugissements afin de me faire comprendre ce qu'il n'était pas convenable de faire, je finissais toujours par retrouver leurs bras dans un havre de sécurité.

Ici, mon nid d'amour n'existait plus. J'étais seule, dans un désert aride, assoiffée par le manque de leur présence.

Je me relevai, les poings serrés sur la dague tenue par ma ceinture de soie, le dernier trésor qu'il me restait de ma famille. Tel un papillon fragile émergeant de sa chrysalide, mes mains tremblantes tentaient désespérément de retenir la flamme vacillante de ma dignité.

L'humiliation brûlait en moi, un feu ardent qui menaçait de dévorer mes faibles espoirs. Je pris mes jambes à mon cou, mes pas martelant le sol avec une intensité qui reflétait la rage qui bouillonnait en moi. Je courais, une fureur sourde pulsant dans mes veines, sans même savoir où je mettais les pieds dans ce monde dont je ne comprenais ni les règles ni les enjeux.

Mes pas me menaient jusqu'au sommet d'une colline, là où se dressait majestueusement une statue immense de Dragon, sa silhouette imposante de Déité semblant garder les secrets millénaires de ce lieu mystérieux. C'était mon refuge, un sanctuaire où je crachais mon impuissance en silence. Un moment de répit dans l'incessante course du temps.

A l'encre de notre sang - [Aria JDR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant