VIII. L'Homme du Pays Blanc

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"Bon, bah moi c'est Gunnar. Vous avez remarqué ma petite taille, n'est-ce pas ?"

Pas l'ombre d'un poil sur le cailloux, pas même plus grand que je ne l'étais. Et pourtant, sa forte stature se démarquait particulièrement des nôtres.

"Très disgracieuse, au passage."

Serait-il possible que l'alchimiste enviait les larges épaules de notre compère ? Que vouliez-vous, peut-être que les femmes qu'il avait côtoyées n'appréciaient pas suffisamment les siennes à leur juste valeur. Ne dites-t-on pas que la jalousie mène souvent à la discorde entre deux êtres ?

"Je t'ai pas demandé ton avis, la blonde."

"En effet..." coupa alors Sélène d'un timbre calme, mais net. "Tu sembles appartenir à un peuple lointain, Gunnar."

"Très loin non, mais ce n'est pas non plus qu'à une semaine d'ici. Je viens du Pays Blanc, et plus précisément du Clan des Renards Blancs. D'ailleurs... "

Il laissa sa phrase en suspens, son attention se tournant lentement vers moi, assise dans l'ombre des flammes. Pourquoi fixait-il soudain les armes nouées à ma ceinture ?

"Je suis fils de forgeron."

Bas les pattes. J'attrapais la garde de mon katana, détournant le bassin pour les éloigner de son regard un peu trop curieux à mon goût. Si j'avais été un fauve, je lui aurais feulé dessus. Personne ne touchait à mes armes, quoiqu'il advienne. Il était hors de question que je ne me sépare de l'une d'elle dans mon sommeil, alors éveillée ? Plutôt mourir. Si même Daigo n'avait jamais eu le privilège d'y toucher, ne serait-ce que pour les observer de plus près, alors personne ne l'aurait.

"Et quel âge as-tu ?" poursuivit l'érudite.

"J'ai dix-neuf ans ! On dirait pas, hein ?"

Donc ce petit homme, à la barbe plus fournie que tous les arbres de cette forêt, prétendait être le plus jeune d'entre nous ? Sélène haussa également les sourcils.

Sa voix était toute aussi haute en surprise que l'était son apparence. Tonitruante, puissante, mais presque enfantine, tant il alignait ses mots d'un enthousiasme et d'une vivacité déconcertants. Sympathiser avec les inconnus... ma hantise. C'est qu'il aurait presque put m'intimider, par ses capacités d'élocution.

"J'étais le disciple de mon père et souvent désigné pour préparer les armes de mon clan, avant que ce dernier ne parte piller les victuailles du Pays Môn, nos voisins un peu plus au Midi. Moi, il faut savoir que je suis un peu fou: mon imagination est infinie, j'adore inventer des choses !"

Et c'est après avoir épousseté son tablier de cuir tâché de suie, qu'il brandit avec fierté le marteau et le bouclier jusqu'à présent dissimulés dans son dos. Finalement, il se pourrait peut-être bien qu'il gagnait mon respect en tant qu'amoureux des armes.

"Mais mon peuple a toujours imposé ses limites quant aux évolutions techniques, de peur de remettre en cause l'équilibre entre chaque clan. Vous savez, ce ne sont que des barbares stupides qui pillent et tuent sans vergogne. Il y avait une personne, une seule, la chamane de chez nous, qui détenait les connaissances que je cherchais. Elle me dit qu'il existait une magie de runes qui permettait d'ajouter aux armes et objets une volée de propriétés magiques. Un livre existe à ce sujet dans le monde et je rêverai de le trouver."

Il marquait un second point dans mon estime. Ce petit pourrait bien m'être utile... J'imaginais déjà mes lames emplies d'une puissance surnaturelle, capables de faire danser les flammes sous leur tranchant ou de métamorphoser leur cible en poussière... Mais encore fallait-il que je ne le laisse s'en approcher. Ca, c'était moins sûr. Qu'est-ce qu'il me prouvait qu'un tel pouvoir était bien réel, et qu'un tel passionné n'utiliserait aucune ruse pour subtiliser les armes d'Amasya ? De toute façon, il se retrouverait mort avant même d'avoir put en profiter. Son sang était celui d'un peuple ignare et cruel, mais pas son esprit affuté.

"Ah, et bien sûr, elle me parla aussi de Kniga, la fameuse citée mécanique où les artisans peuvent même créer des hommes de métal !" continua Gunnar, se tournant vers Dereek. "Toi qui viens de là-bas, tu ne trouves pas ça incroyable ?"

L'interpellé ne sourcilla même pas face à l'engouement du plus jeune. L'état de ses ongles semblait davantage le préoccuper.

"Hum. Oui, en effet. Ce sont de merveilleux objets à tout faire."

Et puis, j'étais là, perdue, à les écouter de mes oreilles parfaitement étrangères.

"Voilà une raison de plus qui me poussa à m'allier aux gens du Pays Môn. Eux, ils étaient bien différents. Ils m'ont même appris à lire et à écrire, j'admirais leur savoir et je me plaisais beaucoup chez eux. Et oui, je m'échappais souvent de mon clan pour les rejoindre quand on partait là-bas."

Encore une âme bien charitable. Je ne m'étais pas trompée à leur sujet. Mais ils n'étaient pas aussi innocents que je l'aurait crut.

"Je ne supportais plus toute la violence et l'injustice que prônait mon peuple, allant jusqu'à massacrer des enfants innocents... Mais au bout de plusieurs années à essayer de camoufler mon alliance avec les Môn, j'ai bien sûr été découvert et pourchassé. Ces personnes aimables que j'avais cherché à défendre finirent par me le rendre en se sacrifiant par dizaines pour que je puisse m'échapper. Alors je suis parti, en espérant trouver de l'aide auprès des monarques à travers le monde pour faire cesser ce carnage. Certains m'ont envoyé balader, mais d'autres m'ont aiguillés vers de nouvelles directions. Alors voilà, j'étais en route pour me rendre à Altabianca, jusqu'à ce que je me retrouve emprisonné par ces brigands avec vous."

Il reprit brièvement son souffle, puis posa lourdement son marteau sur l'épaule, comme s'il s'agissait du poids des nombreuses vies qu'il aurait vu défiler sous ses yeux. La tête penchée, il se rapprocha dans un sourire malicieux.

"Et toi la brunette, tu ne semble pas très bavarde. Je n'avais jamais vues de telles épées, elles viennent d'où ?"

A l'encre de notre sang - [Aria JDR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant