XII. Julia

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Sélène


Un souffle résigné s'empara de mes lèvres. Nous n'avions plus qu'à dire adieu au seul être ici, capable de reconnaître les environs sans souffrir d'absences et de trous de mémoire. Mon plus grand regret était de ne pas avoir eu le temps de lui demander le secret de sa fougue, pour son grand âge... Tant pis. J'espérais au moins que nos chemins viendraient de nouveau à se croiser, si notre petit monsieur aux gros bras ne l'effrayait pas, cette fois-ci.

Je ne pouvais pas en dire autant de la guerrière téméraire à mes côtés, qui s'apprêtait à détaler à sa poursuite avec l'ardeur d'une panthère affamée. Et malgré les siècles à observer les frasques humaines d'un œil timide, mon instinct, lui, restait prompt à me faire réagir.

Mes doigts rongés par l'écorce du bois se posèrent sur l'épaule de notre jeune amie. Tout doux. Il n'était pas question de gaspiller notre temps, ni notre énergie à rattraper l'énergumène qui était déjà loin devant nous. Aucun de nos biens n'avait été dérobé. Et au fond, son départ était une responsabilité en moins. La route était encore longue, et même si deux d'entre nous étaient dotés d'une excellente condition physique, chacun devait se ménager avant que l'épuisement ne nous fauche, comme des brindilles sèches.

J'avais soif. Si soif. Ma gorge se serrait, ma déglutition se faisait chaotique, tandis que je m'efforçais de ne rien laisser paraître. Il fallait trouver un abri avant que la lune ne trône au sommet du ciel. Il le fallait vraiment. Et vite.

Nous n'étions plus très loin de notre destination. Je le savais, je le sentais dans ces fragments de souvenirs qui remontaient à la surface. Ce chemin, je l'avais emprunté tant de fois, et pourtant, aujourd'hui, je luttais pour m'y retrouver au milieu de ces arbres, tous si semblables. Louée soit Ina, la douce présence de Dereek m'aidait à garder les pieds sur terre... du moins, lorsque je ne me perdais pas dans l'éclat doré de ses yeux, tandis que ses mains effleuraient les miennes avec la tendresse de lointaines réminiscences...

Une goutte fraîche me fit frissonner lorsqu'elle tomba délicatement sur le bout de mon nez. Le ciel s'assombrissait, et la neige commençait à tomber, couvrant même les chauves-souris qui voltigeaient au-dessus de nous d'un voile blanc. Je me laissais emporter par cette atmosphère apaisante, comme un doux rêve qui éloignait tous les maux du monde. Chaque bruissement de feuille, chaque souffle de la brise glacée, chaque murmure de la rivière semblait me chuchoter des secrets, me rassurer sur le chemin que nous suivions. Nous étions proches, si proches... La nature m'appelait, d'une voix presque imperceptible, lointaine mais persistante, un murmure qui s'amplifiait lentement, sûrement...

"Quelqu'un ! Il y a quelqu'un !"

Là, c'était Byeol qui parlait. Ses mots perçaient mon voile de semi-méditation, mes yeux s'ouvrant grand avant que je ne réalise qu'ils s'étaient fermés d'eux-mêmes. Nous la rejoignions sans plus attendre, l'écho assourdissant de la cascade emplissant l'air, résonnant jusqu'au fond de la mystérieuse grotte qu'elle dissimulait. Et qu'elle ne fut pas ma surprise lorsque je reconnu, au-delà du cours d'eau, un petit village composé de petites maisonnettes aux toits plats. Un grand pont de bois reliait la terre ferme à ce lieu, mais... il gisait maintenant en ruines. Brisé par un malheur dont l'ombre pesait encore sur les lieux.

Cependant, de l'autre côté, se tenait une jeune fille. La voix que j'avais entendue plus tôt... c'était la sienne, et non celle d'un esprit sage venu nous offrir des conseils avisés comme je l'avais espéré. Mais... il faut croire que j'étais aussi sourde qu'un caillou, car je ne comprenais absolument rien à ce qu'elle disait. En mille vingt ans d'immortalité, vous savez, le corps n'est plus aussi vif que l'apparence ne le laisse croire. Et mon ouïe, en particulier, s'était bien dégradée.

A l'encre de notre sang - [Aria JDR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant