Chapitre 27

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- Maman n'est pas réveillée ? demande Diego en baillant devant la table du petit-déjeuner.

Je me racle la gorge et échange un regard discret avec Bianca.

- Non, elle est malade. Elle est revenue très fatiguée hier soir et...

- Elle était où ?

- Et toi, maman, tu étais avec elle ? demande Julia.

Je me mords la langue pour m'empêcher de dire des bêtises.

- Non, je n'étais pas avec elle. Je ne sais pas où elle était.

- Tu étais où, alors ? m'interroge Julia en penchant la tête sur le côté, comme elle a l'habitude de le faire quand elle pose une question.

Avec ton papa. J'étais avec Raphaël et nous discutions au restaurant pendant que les enfants étaient ici et que Julia se posait des questions sur son père... Cette pensée me perturbe.

- Tu t'es retrouvé un amoureux ?

Le sérieux avec lequel elle demande ça me surprend. Portant, je ne devrais plus être surprise par sa précocité. Mais ça m'inquiète. Elle est si...différente des autres enfants de son âge ! Elle comprend si vite les choses...

Je dépose un baiser sur son front, sans pouvoir me retenir.

- J'étais avec un collègue de la librairie, pour mettre certaines choses au clair. Il n'a pas été très...correct.

- Il t'a fait mal ?

Déconcertée, je fronce les sourcils.

- Non, il ne m'a pas fait mal. Mais il en a...trop attendu. D'accord ?

Elle paraît déçue. Normal. Elle n'a pas de figure paternel à laquelle s'accrocher. Raphaël, son père, était juste dans la rue hier soir, quand il est allé chercher sa voiture après la sortie au restaurant. Julia se trouvait à quelques mètres de son père... Ce constat me fend le cœur pour elle. Elle ne rencontrera jamais son père. Elle ne saura jamais ce que ça fait de grandir avec un père. Un vrai, bien sûr. Pas l'espèce d'alcoolique qui était le mien !

- OK. Je suis capable de comprendre, tu sais ?

Oui, je le sais. Mais je ne parviens toujours pas à m'y faire. Elle est plus mûre que Diego et Bianca sur certains points, alors qu'ils sont plus âgés qu'elle !

- Oui, Julia, je sais.

Je lui adresse un sourire, puis elle se lève de table.

- Je vais me brosser les dents.

- Moi aussi ! s'écrie Diego.

J'acquiesce et ils foncent hors de la pièce. Ils ont toujours hâte d'aller se brosser les dents, parce que la mousse du dentifrice les amuse !

J'empile les assiettes à côté de l'évier et commence à faire la vaisselle.

- Maman ne sortira pas nous dire bonjour, aujourd'hui ? demande Bianca, morose.

Je tente de lui remonter le moral.

- Elle vous dira bonsoir ce soir.

- Si elle est sobre, marmonne Bianca.

Je me tourne vers elle avec un sourire désolé.

- Je ne vous laisserais jamais seuls avec ces hommes, d'accord ? Tu n'as aucune inquiétude à avoir pour ça.

- Mais je m'inquiète pour ma mère, tante Ophélia !

- Ta mère est grande Bianca. Ce n'est pas à moi, et encore moins à toi, de la protéger. Tu ne pourras pas. J'ai tenté, crois-moi...

- Pourquoi elle est comme ça ?

La voix de ma nièce se brise et elle éclate soudain en sanglots. Je me précipite vers elle et la prend dans mes bras. Puis, remarquant que je tiens toujours l'assiette à la main, je la pose sur la table et serre Bianca conte moi.

- Notre père était alcoolique. Je pense qu'elle a dû hérité de cet aspect désagréable.

- Mais pourquoi elle boit ? Ce n'est pas génétique !

Je hausse les épaules.

- Ta mère n'a pas grandi dans une famille saine, tu sais. En partie à cause de moi. Mon frère en a souffert. C'est pour ça qu'il est parti quand il l'a pu...

- Il est parti ? Tu ne l'as jamais revu après ? me questionne Bianca en se détachant de moi.

J'hésite un court instant, puis je décide de lui mentir.

- Non, je ne l'ai jamais revu. Il me manque beaucoup...

- Pourquoi maman ne m'a jamais parlé de lui ?

- Ils ne s'entendaient pas du tout. Émilien était mon frère jumeau et...il n'aimait pas la façon dont Isabella me traitait.

Bianca fronce les sourcils.

- Mais ça veut dire qu'il t'a laissée toute seule en partant ?

- Oui. Je suis restée avec ma famille. J'avais trop peur de partir seule avec mon frère, sans adultes autour de nous, qui pourraient nous aider, veiller sur nous...

- Mais pourtant... Tu n'étais pas avec maman quand j'étais petite, avant la naissance de Julia.

- Ta mère et moi nous sommes retrouvées bien plus tard...

- Julia... Son père est parti ? Il t'a...abandonnée ?

Je pousse un long soupir. Je connais la vérité à ce propos, maintenant.

- C'est plus compliqué que cela.

Bianca pose soudain une main sur sa bouche, l'air horrifiée.

- Il n'était pas au courant que tu étais enceinte ?

- En quelque sorte. Il ne sait pas que Julia existe...

- Mon père non plus ne sait pas que j'existe. En fait, je n'en sais rien. Des fois, ça me préoccupe, et puis...je suis peut-être mieux sans lui, s'il fait partie de ces hommes que ma mère ne voit que pour une nuit...

- Je ne pense pas que tu sois issue d'une union sur le coup d'un soir. C'était peut-être une vraie relation, plus longue. Ou un coup de foudre...

- Peut-être que c'est le cas pour moi. Mais je doute que ce soit le cas de Diego...

- Tu sais que Diego et toi n'avez pas le même père ?

Elle soupire.

- Je le pense. Sinon, maman apprécierait plus Diego. Elle le considérerait comme son fils, comme elle me considère comme sa fille... Mais maman ne l'aime pas. Elle est cruelle, je trouve. Je me rends compte que je lui ai fait du mal, moi aussi. Alors que c'est mon petit frère. En tout cas, à moitié. Mais mon petit frère quand même. J'aurais dû prendre soin de lui...

- Ce n'est pas de ta faute, Bianca. Tu n'es pas une adulte. Ce n'est pas à toi de t'occuper de ton frère. Tu n'y es pour rien. C'est une grande responsabilité d'avoir des enfants. Et, quand on en a, on les aime, les chérit, et on s'en occupe.

- Maman est en train de reproduire presque le même schéma sur Diego que ce que tu as vécu, non ?

Je force un sourire vers ma nièce.

- Effectivement, c'est à peu près le même principe...

Je ne lui dis pas que je suis soulagé que Diego ne vive pas ce que j'ai vécu. Les coups, les mots durs et cruels... Diego subit l'indifférence totale de sa mère, et je ne dis pas que c'est mieux, car ma mère m'ignorait aussi beaucoup. Mais il ne souffre pas physiquement. Et c'est déjà ça. J'aimerais pouvoir faire quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Il existe des assistantes sociales, mais j'ai peur qu'elles mettent le nez dans nos affaires, et qu'elles nous séparent de nos enfants, parce que leur environnement n'est pas sain.

Je voudrais, avant d'en arriver là, comprendre pourquoi Isabella agit comme tel avec son fils.

Only One Life (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant